Camellia sinensis Le thé breton, filière émergente
L’enseignement agricole français accompagne les apprenants
et les professionnels dans la découverte de filières émergentes. Quoi de plus normal alors, pour nos établissements, que d’orienter leur attention vers une plante, le théier Camellia sinensis (Theaceae), dont les racines s’étendent dans différentes régions françaises ?
L’introduction de la culture du thé en Bretagne permet de comprendre comment les écoles agricoles peuvent se mettre au service de la profession pour favoriser l’émergence de nouveaux produits qualitatifs et rémunérateurs. En mars 2019, à Hennebont, près de Lorient, dans le Morbihan, un projet innovant émerge. Les équipes du lycée horticole, sous la houlette de la directrice Valérie Lepage, rencontrent Denis Mazerolle, producteur de thé proche du lycée. En effet, avec son épouse Weizi, d’origine chinoise, il a fondé, il y a plusieurs années, une entreprise de production et transformation de thé, la Filleule des Fées. Grâce à ses premières tentatives, en 2006, il a acquis la certitude que la météo bretonne et certaines terres difficilement valorisables avec les productions agricoles habituelles de la vallée du Blavet sont parfaites pour le camellia.
Des exigences bien particulières
Un type de camellia particulier se cache derrière la deuxième boisson la plus consommée dans le monde après l’eau. Il existe en fait deux sous-espèces principales chez C. sinensis : C. sinen-sis sinensis et C. sinensis assamica.
Les croisements réalisés par l’homme depuis des temps immémoriaux à partir de ces deux sous-espèces ont fait naître pléthore de cultivars dont les saveurs varient selon les régions.
Le camellia préfère un sol alluvionnaire, acide et particulièrement meuble1. Il affectionne l’humidité et l’eau, particulièrement sur le feuillage, mais craint l’excès d’eau au niveau de ses racines. Il est ainsi conseillé de planter les théiers dans les régions où les pluviométries dépassent les 1 150 mm par an et où l’hygrométrie est comprise entre 70 et 90 %2.
Une trop forte exposition au vent est déconseillée, en raison des risques de retard dans la croissance et de dessèchement, voire de perte, des jeunes bourgeons et feuilles, qui sont la matière première pour fabriquer du thé.
Enfin, une trop forte exposition à un gel inférieur à -7 °C affecte la vitalité de la plante, qui préfère des températures comprises entre 13 °C et 30 °C.
Une filière prometteuse à construire
Concernant la filière, il s’agit d’articuler la production des plants, la formation des techniciens et futurs producteurs, en s’appuyant autant sur le savoir-faire chinois que sur une structure de commercialisation.
Pour les formateurs du lycée d’Hennebont, le projet est une excellente occasion d’emmener sur le terrain leurs apprenants en horticulture, pour travailler dans les champs de thé, découvrir la plantation, l’entretien et la récolte.
Par ailleurs, la directrice rencontre Mickaël Mercier, dirigeant des pépinières Mercier, spécialisées dans le camellia et alors président de Val’Hor, l’interprofession française de l’horticulture, de la fleuristerie et du paysage. Le projet correspond à son souhait, pour les pépinières et entreprises françaises du paysage, de pro-poser de nouveaux produits. Le thé pourrait-il venir s’installer dans nos jardins ?
Produire des théiers
Tout d’abord, l’exploitation du lycée doit se doter de théiers. L’entreprise la Filleule des Fées fournira les graines et les apprenants, avec leurs enseignants, les feront pousser.
Les graines sont placées à 1 centimètre de profondeur, tête en bas, dans un substrat à base de sable et de terreau maintenu humide, disposé dans des serres à température supérieure à 30 °C, pour des levées qui interviendront entre 20 et 90 jours. Pour obtenir des plants racinés bons à planter, il faudra attendre en moyenne dix-huit mois. Or, pour que le projet soit viable, il faut que le champ de thé prenne forme rapidement. Pour cela des plants issus de bouturage des premiers théiers de Denis Mazerolle, déjà acclimatés à la région, sont plantés sur le domaine du lycée, dans ce qui deviendra un conservatoire de cultivars de théiers.
Ces boutures avaient été prélevées et plantées dans une pépinière spécialisée deux ans auparavant. Pour ce faire, des tronçons terminaux de jeunes tiges de théiers avaient été replantés en pots de substrat à base de terreau de bouturage, puis placés dans une serre avec un arrosage tous les deux jours.
Ce fut l’occasion pour les élèves de participer aux différents travaux : préparer le terrain, faucher les adventices, délimiter les rangs, passer le cultirateau pour retourner le sol sur 25-30 centi-mètres, puis repiquer les boutures.
Ce fut l’occasion, aussi, de mener des expérimentations sur la gestion des adventices : sur certains rangs, les théiers sont accompagnés de légumes, sur d’autres rangs il s’agit de paillage de miscanthus, ou d’un couvert végétal en lamier et, pour certains, d’une simple pelouse. Avec ces semis, ces plantations et ces expérimentations, la plateforme technique était prête. Il fallait cependant commencer à bâtir de nouvelles formations pour venir l’animer.
Mettre une formation adaptée sur pied
« Du champ à la table : les multiples facettes du théier bio du Blavet », voici le nom du projet qui allait offrir à l’enseignement agricole ses premières séquences pédagogiques dédiées à la culture du thé. Sollicité, le ministère de l’Agriculture a permis le renforcement de l’équipe grâce au tiers-temps de Marine Chotard, enseignante en sciences et techniques horticoles. Le contenu pédagogique a été enrichi grâce au savoir-faire d’autres producteurs comme Ty Botanica ou la maison Émile Auté, ainsi que des transformateurs tels que Stéphane Masquelin de Tea & Cie.
L’enseignement agricole ayant aussi vocation à faciliter la coopération internationale, il est vite paru intéressant d’aller cher-cher des ressources complémentaires directement en Chine, grâce à l’appui du réseau « Chine », mis en place par la Direction générale de l’enseignement et de la recherche du ministère de l’Agriculture.
Le lycée d’Hennebont, fort de ses quelque 150 apprenants, est ainsi devenu partenaire du Jiangsu Vocational College of Agriculture and Forestry qui compte, lui 12 000 apprenants. Cet établissement dispose d’un domaine de 170 hectares dédié au thé ainsi que du musée du thé du Jiangsu.
Après une première visite des équipes françaises fin 2019 en Chine, de nombreux échanges ont été organisés par visioconférence durant les années Covid et, finalement, deux étudiants ont effectué un stage en Chine en octobre 2023 afin de gagner en compétences sur la multiplication, la production, la récolte et la transformation du thé. Ils ont passé une semaine chez leur partenaire du Jiangsu et une semaine chez un producteur du Yunnan.
Désormais, des modules pédagogiques intégrés aux formations CAP et certificat de spécialisation sont disponibles à Hennebont et des formations à destination de professionnels souhaitant s’installer ou bien à la recherche de diversification sont régulièrement organisées. Les feuilles des théiers implantés dans les terres du lycée sont récoltées et transformées par les apprenants et les enseignants. Bientôt la production sera telle qu’elle pourra être commercialisée au sein du magasin de l’école.
Des rencontres, des histoires, des rêves communs et un terroir idéal, voici ce qui a permis de voir une nouvelle filière se développer en Bretagne, et aux théiers de transmettre leurs subtiles
saveurs.
Max Monot
Coordinateur du réseau Chine de l’enseignement agricole
1 Jean Montseren, « Le thé dans le champ », dans Guide de l’amateur de thé : les thés du monde entier, Solar, 1999
2 Alain Guerder, Théiers, Théieraies, Feuilles de Thés, Écohameau de Barthès, 2021