Botaniste de Marc Jeanson et Charlotte Fauve
Il y a des voyages que l’on vit, que l’on rêve, que l’on s’imagine, que l’on conte, que l’on nous raconte. Il y a des rencontres fécondes dont on se réjouit qu’elles aient eu lieu. Celle de Charlotte Fauve et Marc Jeanson est de celles-là. On ne peut que se féliciter qu’elle ait été provoquée par les éditions Grasset & Fasquelles puisque l’on tient Botaniste entre ses mains et que se dévoile alors la merveilleuse aventure de l’herbier national du Muséum national d’Histoire naturelle.
Marc Jeanson etCharlotte Fauve ont écrit Botaniste à l’image d’un herbier, par feuillets, succession de courts chapitres naviguant du passé au présent, de récits poétiques, tendres et émouvants, à des récits drôles et cocasses, parfois inquiétants, mais toujours porteurs d’espoir. Les plantes ont cette capacité, comme le rappelle Marc Jeanson, à reprendre leur place, à rejaillir à l’endroit même d’un chaos. Marc Jeanson, c’est une passion dévorante pour le vivant, pour les plantes qui nous entourent. Des interstices des trottoirs aux parcs et jardins, en passant par les Alpes ou les bords de mer, jusqu’aux jungles les plus lointaines pour les plus téméraires, elles sont toutes là à attendre d’être observées, décrites, herborisées. Si l’herbier national ne compte pas moins de 8 millions de spécimens, ce ne sont pourtant pas plus de 10 % du vivant qui sont décrits.
Ces descriptions minutieuses sont l’œuvre de nombreux hommes et femmes, tous botanistes passionnés. Découvrir les travées de l’herbier c’est « Sans le savoir, [remonter] le temps en compagnie de Michel Adanson : être botaniste, c’est cheminer hanté par les fantômes : nos voyages sont jalonnés d’horizons à jamais disparus et de génies souvent oubliés. » Ainsi, au fil des pages nous croisons avec bonheur une myriade de personnages : « Il y a là Tournefort, goguenard et blagueur […]. Il bute sur Adanson, qui avec une folie touchante perd son interlocuteur dans des descriptions à rallonge […]. Il y a ce pauvre Lamarck […] flore à la main et regard perdu dans les nuages […]. Il y a aussi Pierre Poivre, le botaniste manchot, qui cache sa récolte dans la doublure de son manteau. Plus près de nous, il y a Léon Mercurin, ce méticuleux employé des postes mort avec son secret, celui d’un herbier à la couleur inaltérable […]. Et puis Monsieur Aymonin, ce cher Monsieur Aymonin, qui d’un moulinet de canne clôt la marche, clopin-clopant sur les traces de ses illustres prédécesseurs. » De la plume des auteurs se dégage une profonde tendresse pour tous ces découvreurs. Grâce à leurs mots et au travail de tous ces botanistes, une page d’herbier nous entraîne en d’autres lieux, en d’autres temps, comme si l’espace d’une page, d’une feuille, nous partagions un secret avec eux. Les descriptions botaniques révèlent des territoires, des époques, des parcours humains ; de fait une grande partie de notre histoire.
Botaniste, c’est bien sûr l’histoire d’un homme, Marc Jeanson, mais c’est aussi et surtout l’histoire de toutes ces femmes, de tous ces hommes, de ceux qui ont parcouru le monde. C’est l’histoire de ces êtres curieux et magnifiques qui ne se lassent jamais de découvrir le vivant, de le décrire, de le transmettre… c’est l’histoire des botanistes du Muséum national d’Histoire naturelle, d’hier et d’aujourd’hui, c’est l’histoire de cet herbier et puis c’est un peu aussi notre histoire. Notre histoire, en ce sens que nous cohabitons avec ce vivant, nous le voyons vivre, évoluer, nous le voyons aussi disparaître… Car il s’agit bien également de cela, l’observation des espèces, inhérente à la pratique de la botanique, engendre forcément l’observation de leur absence. Mais est-il possible de s’habituer à les voir s’éteindre ? Ne serait-il pas encore plus violent, pour ces amoureux du vivant, de l’éprouver ? Constat amer…
Mais Botaniste c’est aussi, nous le disions en préambule, des scènes d’une drôlerie malicieuse. Quelle délectation de parcourir avec Marc et son amie Laure les rayonnages de l’herbier, nous arrêtant avec eux à Madagascar, croisant les savants du Muséum affairés à leurs travaux, nous esclaffant avec eux à l’évocation de l’attention bienveillante professée au modelage de la graine du Lodoicea maldivica Pers., Meet the cocofesse par une des dessinatrices scientifiques de l’institution. Le sourire s’invite de nouveau sur nos lèvres lorsque l’on découvre que passer des graines aux frontières peut entraîner bien des sueurs froides ou qu’herboriser dans les espaces urbains peut apparaître comme une activité pour le moins suspecte.
Enfin, Botaniste ce sont bien entendu ces douces inclusions d’italique dans le texte. Les plantes, dans leurs noms latins, apparaissent discrètement au début du livre, puis, comme rassurées de votre bienveillante attention, se font de plus en plus présentes jusqu’à se dévoiler généreusement dans la page. Pour les néophytes, la poésie des mots encourage l’imagination et la curiosité, pour les botanistes aguerris, elle offre le plaisir de retrouver des amies connues. Lorsque la dernière page se tourne, c’est un peu comme quitter des proches mais avec la promesse de se retrouver bien vite – autour des plantes – et qui sait, d’herboriser à notre tour, tout ce qui nous entoure.
Emmanuelle Royon
Responsable bibliothèque, patrimoine et mécénat à la SNHF
Grasset, 224p., 18,00 €