Biodiversité dans les espaces verts urbains et santé mentale
Différents travaux scientifiques ont montré les liens entre l’hétérogénéité paysagère des espaces verts urbains et la santé mentale des citadins. Alice Meyer-Grandbastien en a fait le sujet de sa thèse de doctorat intitulée Perception écologique et sociale de la biodiversité des espaces verts urbains publics. Voici donc comment mieux appréhender ces liens et les mécanismes d’un aménagement paysager bénéfique sur la restauration psychologique.
Dans un contexte d’urbanisation croissante (Figure n° 1), les espaces verts urbains sont aujourd’hui à la croisée d’importants enjeux. Ils représentent des leviers d’action prometteurs en matière d’environnement et de santé publique en permettant d’atténuer les impacts de l’urbanisation sur le déclin de la biodiversité et en améliorant la santé des citadins, notamment mentale (Jennings et al. 2016; McDonnell et MacGregor-Fors 2016). Mais ces enjeux pouvant parfois être contradictoires (Clergeau 2015), un des défis actuels est d’intégrer à la fois la préservation de la biodiversité et la santé humaine au cœur des réflexions, à toutes les étapes de conception et d’entretien des espaces verts urbains. Des travaux scientifiques réalisés ces dix dernières années ont mis en évidence une relation entre la présence de biodiversité, mesurée à l’échelle de l’espèce, et la restauration psychologique des citadins au sein des espaces verts urbains (Jorgensen et Gobster 2010).
Ce résultat suppose qu’augmenter la diversité d’espèces dans les espaces verts urbains permettrait d’y favoriser à la fois la biodiversité et la santé mentale des citadins. Cependant, des études ont également montré que la majorité des citadins ont de faibles compétences en identification naturaliste et ne perçoivent pas systématiquement la diversité des espèces présentes dans un espace vert (Shwartz et al. 2014). Ils auraient tendance à sous-estimer la diversité réelle. Ainsi, la relation qui a été établie entre diversité d’espèces et restauration psychologique des citadins dans les espaces verts urbains n’est pas entièrement expliquée, et des travaux de recherche sont nécessaires pour l’explorer et mieux comprendre les processus sous-jacents. C’est dans ce contexte que s’est inscrit mon travail de doctorat au sein de l’Université de Rennes entre 2016 et 2019 (Meyer-Grandbastien 2019). Le premier objectif de ce travail a ainsi été d’explorer et d’élucider la relation entre diversité d’espèces et restauration psychologique des citadins dans les espace verts urbains. Puis, sur la base des résultats, le second objectif a été d’identifier des pratiques d’aménagement et de gestion de ces espaces permettant d’y favoriser à la fois la biodiversité et la santé mentale des citadins.
Étude de la relation entre hétérogénéité paysagère et restauration psychologique
L’angle d’approche de ce travail de recherche a été d’identifier des paramètres environnementaux au sein des espaces verts urbains qui soient à la fois associés à la diversité d’espèces, perceptible par les citadins, et favorables à leur restauration psychologique. Certaines études ont suggéré que si les citadins ne sont pas capables de percevoir la diversité d’espèces présentes dans un espace vert, ils seraient cependant capables d’y percevoir la diversité structurelle du paysage (Voigt et Wurster 2015). En écologie du paysage, la diversité structurelle d’un paysage est définie comme l’hétérogénéité paysagère (voir encadré). Il a été démontré que plus un espace vert présente une forte hétérogénéité paysagère, plus il est riche en espèces. Mon travail de recherche a ainsi cherché à démontrer que l’hétérogénéité paysagère dans les espaces verts urbains est perçue par les citadins et a un effet positif sur leur restauration psychologique. Pour ce faire, le terrain d’étude a été un échantillon de treize espaces verts publics de la ville de Rennes dans lesquels des mesures d’hétérogénéité paysagère ont été effectuées. Les perceptions paysagères ainsi que le degré de restauration psychologique des usagers ont ensuite été recueillis à travers un travail d’enquête (Figure n° 2). Ces deux mesures écologiques et sociales ont alors été confrontées par le biais d’analyses statistiques. Les résultats ont permis de mettre en évidence que les citadins sont bien capables de percevoir l’hétérogénéité paysagère dans les espaces verts urbains et que ce paramètre a un effet positif sur leur restauration psychologique. Une analyse approfondie des résultats issus des enquêtes a permis d’identifier que les citadins perçoivent l’hétérogénéité paysagère précisément à travers le mélange de zones boisées, de zones arbustives et de zones herbacées de différentes hauteurs avec des zones fleuries.
Vers des pratiques d’aménagement et de gestion favorables à la biodiversité et à la santé mentale
Les résultats obtenus ont permis de supposer que des pratiques d’aménagement et de gestion des espaces verts urbains visant à augmenter le mélange de différentes hauteurs des trois strates de végétation et des zones fleuries permettraient d’y favoriser à la fois la biodiversité et la santé mentale des citadins. De telles pratiques pourraient être, par exemple, de favoriser la végétation spontanée à travers une réduction de la fréquence des pratiques de tonte et de désherbage, d’aménager des lisières arbustives entre les zones boisées et les zones de pelouses (Photo d’introduction), ou de favoriser la plantation de haies complètes composées des trois strates de végétation plutôt que de haies monospécifiques nécessitant une taille fréquente. Il s‘agirait également de favoriser la plantation d’espèces d’arbres et d’arbustes à fleurs ainsi que de semer des espèces herbacées vivaces au sein des zones herbacées (Figure n° 3). S’il a été largement reconnu que les espaces verts urbains présentent de nombreux effets bénéfiques sur la santé des citadins (1*), les recherches actuelles tendent à expliquer et spécifier ces effets. Nombre d’études récentes ont ainsi eu pour objectif d’identifier les aspects du paysage et de l’environnement des espaces verts urbains qui entrent en interaction pour permettre l’établissement de cette relation thérapeutique (Rojas-Rueda et al. 2019). Ainsi, il est désormais possible de progresser sur des recommandations opérationnelles permettant de favoriser et d’optimiser les effets bénéfiques des espaces verts urbains sur la santé des citadins (Figure n° 4).
Alice Meyer-Grandbastien
Plante & Cité
(1*) Voir l’article de Bastien Vajou en page 24 dans ce numéro de
Jardins de France.
BIBLIOGRAPHIE
Burel F & Baudry J. (2003). Landscape Ecology: Concepts,
Methods, and Applications (1re éd.). CRC Press.
Clergeau P. (2015). Manifeste pour la ville biodiversitaire: Changer pour un urbanisme inventif, écologique et adaptatif. Apogée, Rennes Jennings TE, Jean-Philippe SR, Willcox A, Zobel JM, Poudyal NC & Simpson T. (2016). The Influence of Attitudes and Perception of Tree Benefits on Park Management Priorities. Landscape and Urban Planning, 153:122-128
Jorgensen A. & Gobster P H. (2010). Shades of Green: Measuring the Ecology of Urban Green Space in the Context of Human Health and Well-Being. Nature and Culture, 5(3):338-363
Kaplan R & Kaplan S. (1989). The Experience of Nature: a Psychological Perspective. CUP Archive. McDonnell MJ & MacGregor-Fors I. (2016). The Ecological Future of
Cities. Science, 352(6288):936-938
Meyer-Grandbastien A. (2019). Perception écologique et sociale de la biodiversité des espaces verts urbains publics [Thèse de doctorat, Université de Rennes 1]. These.fr. http://www.theses.fr/2019REN1B073
Shwartz A, Turbé A, Simon L & Julliard R. (2014). Enhancing Urban Biodiversity and its Influence on City-Dwellers : an Experiment. Biological Conservation, 171:82-90
Rojas-Rueda D, Nieuwenhuijsen MJ, Gascon M, Perez-Leon D, Mudu P.
(2019). Green Spaces and Mortality: a Systematic Review and Meta-Analysis of Cohort Studies. The Lancet Planetary Health, 3(11):469-477
Voigt A & Wurster D. (2015). Does Diversity Matter? The Experience of Urban Nature’s Diversity: Case Study and Cultural Concept. Ecosystem Services, 12:200-208