Binette et fourchette, outils de l’innovation sociale et économique
Eric Prédine
Ce n’est que depuis quelques années que les concepteurs de jardin collectif, mais aussi simplement les jardineries, constatent le renouveau d’intérêt pour le potager. D’année en année, l’exigence d’un complément de revenu par l’autoproduction d’aliments de qualité et d’origine connue, redevient une des motivations principales à la saisie du manche de la binette. Fourchette et binette, les instruments d’une santé pour tous.
Le potager encore difficile d’accès à ceux qui en ont le plus besoin.
Les populations les plus fragiles ont moins accès à l’autoproduction alimentaire, comme le démontrent les études du PADES[1]. Selon ces études, l’offre de parcelles de jardins par les associations traditionnelles de jardins familiaux, ou par les acteurs des associations de jardins partagés, semble peu adaptée à l’implication des plus fragiles d’entre nous.
Malgré la réelle volonté des associations, les méthodes de mobilisation, d’animation et d’accompagnement, mais aussi les moyens en termes de ressources humaines semblent pour le moins perfectibles.
Pourtant les acteurs associatifs, institutionnels et territoriaux reconnaissent que l’autoproduction alimentaire est un formidable levier de développement social et un véritable enjeu de santé publique.
Pouvoir donner pour mieux recevoir…
La capacité de produire, et donc d’offrir, permet au jardinier de se connecter à un réseau relationnel de qualité basé sur le don et le contre don, et la reconnaissance de la valeur de chacun. Ce petit exercice continuel d’échange de services et de biens permet de s’inscrire dans un groupe informel, solidaire et sécurisant, ce que « les initiés » dénomment le lien social. On perçoit aisément les conséquences de son délitement : l’exclusion, la déchéance. Le jardinage est donc un support efficace pour impliquer les plus exclus mais à la condition d’adapter l’offre de jardinage.
Les jardiniers consommateurs plus avisés…
Plusieurs enquêtes qualitatives ont démontré que le fait de produire une partie de son alimentation, même en très faible quantité, modifie son comportement alimentaire mais aussi de consommateur. Un nouveau producteur de tomate, même sur son balcon dans un « jardisac », se met à les cuisiner avec plus d’attention, puis à s’en procurer de façon différente dans le commerce. Comme le réalise à son échelle le mouvement des « Ambassadeurs du Jardinage et du Bien Vivre Alimentaire », le passage à l’action de jardiner ou cuisiner aboutit, dans le respect du choix des personnes, à modifier ses comportements de consommateur. Il en découle une recherche de saveur, de texture, de traçabilité qui atténue le simple critère du prix comme choix pour privilégier la saisonnalité et la proximité de la relation au producteur.
Lutte inégale
Malheureusement trop peu de territoire utilise le levier de l’autoproduction alimentaire dans ses stratégies de consolidation de la sécurité alimentaire. Pourtant, qu’y a-t-il de plus local et sécurisant qu’un panier de légumes issus de son potager ou de celui de ses voisins ?
Les campagnes pédagogiques se concentrent principalement sur la notion de « gâchis alimentaire » sans remettre réellement en cause les modes de production et, surtout, ceux de la grande distribution.
C’est bien sûr une lutte inégale. Le budget de publicité dans le monde occidental pour vendre la production de l’agro-industrie est 10 fois plus élevé que le budget nécessaire à résoudre la malnutrition et l’accès à l’eau potable pour l’ensemble des habitants de la planète[2].
Le potager, une initiation à un autre modèle économique
Toutefois, cette forme d’éducation populaire aux fondamentaux du jardinage et au bien vivre alimentaire est un travail de fond pour engager un rapport à l’alimentation qui soit dans le plaisir mais surtout de prise consciente sur sa santé. Produire son alimentation en jardinant ou cuisinant, c’est s’initier à une autre économie plutôt basée sur la valeur utilitaire, fonctionnelle, émotionnelle de la production que sur l’empilement de la valeur ajoutée qui ne tient pas compte des effets désastreux sur l’économie de nos sociétés. Aujourd’hui, une grande part de la population est malade de son alimentation : diabète, maladie cardio-vasculaire, allergie, obésité, sans oublier, qu’une grande partie de nos sols sont dégradés et engage notre avenir.
Avenir plus serein
En juin prochain, un colloque franco-américain « jardinage, développement social et santé publique », réunira des chercheurs et des acteurs des deux pays à Paris. Depuis 25 ans, il existe un véritable renouveau des jardins collectifs dans ces deux pays. Des regards sur l’évaluation des dispositifs, une préconisation sur les méthodes et les moyens nécessaires pour que le développement social attendu aille au-delà des bonnes intentions sont nécessaires.
Le potager accessible à tous et particulièrement aux plus démunis comme enjeux d’un avenir plus serein, d’une société plus solidaire reste autant d’actualités que du temps de l’abbé Lemire.
Radis, tomates, laitues, carottes, haricots… tiennent la vedette dans les jardins des écoles. La culture des légumes est en effet pratiquée par près de 8 enseignants sur 10 lorsque des activités de jardinage sont mises en place dans les écoles1. Les légumes conviennent particulièrement bien à une programmation d’activités sur toute l’année scolaire avec des récoltes au fil des saisons, ainsi qu’à la rentrée si le jardin est entretenu durant les vacances d’été. Le potager est, par ailleurs, un espace privilégié pour de multiples activités d’éveil et d’apprentissage en commençant naturellement par les sciences de la vie. Les enfants découvrent les conditions de germination des graines, les besoins des plantes pour se développer, leur mode de reproduction, leur cycle de vie. Ils observent les animaux du jardin, apprennent à distinguer « les amis » et les « ennemis » des cultures, découvrent l’interaction entre les végétaux et les animaux… Livre ouvert sur la nature, le potager est ainsi un formidable support pour les initier aux pratiques qui respectent l’environnement et favorisent la biodiversité. Pour les enfants, le jardin est un lieu de plaisir, d’expression et bien sûr d’éveil des sens. Ils découvrent la diversité des formes et des couleurs : les laitues à feuilles vertes, blondes ou rouges, à bord découpé ou frisé, des radis longs, ronds, blancs, roses, rouges, violacés et même noirs, des haricots à gousses vertes, jaunes ou violettes, des tomates rondes, allongées, côtelées, en forme de cerise, de poire aux multiples couleurs : rouge, verte, orange, jaune, zébrée… Ils apprennent les mariages bénéfiques avec les fleurs et créent des espaces colorés et esthétiques. Ils accèdent à tout un univers de parfums et de saveurs. Cette activité participe ainsi tout naturellement à l’éducation au goût et à une alimentation saine et équilibrée. Avec des enfants de plus en plus citadins, très souvent coupés de la nature, le jardin est un moyen de mieux comprendre ce qu’ils retrouvent dans leur assiette, de connaître les parties des légumes qu’ils consomment et de découvrir la saisonnalité des productions. Projet très enrichissant et motivant pour les enfants, riche sur le plan éducatif, le jardinage à l’école est une activité à promouvoir, à encourager et à soutenir. 1 « Quelles pratiques de jardinage dans les écoles ? » Résultats de l’enquête nationale menée de 2012 à 2015 auprès des enseignants d’écoles maternelles et élémentaires (synthèse des 2 435 réponses) Pour en savoir plus : www.jardinons-alecole.org Dominique DaviotLes potagers fleurissent dans les écoles !
Le potager : un intérêt pédagogique indéniable
À la découverte des couleurs et des saveurs