Bientôt des vaccins à base de plantes ?

Si les réticences à l’égard des vaccins ont toujours existé, elles se sont renforcées avec la crise sanitaire de la Covid-19. Alors les vaccins à base de plantes seront-ils mieux acceptés ? Dans ce secteur, les recherches ont beaucoup progressé. La science nous étonnera toujours !

Durant la crise sanitaire de la Covid-19, l’annonce de vaccins à base de plantes aurait sûrement été mieux acceptée que ceux à « ARN messager » ou « protéine recombinante ». Ces termes scientifiques ont pour effet de susciter de la méfiance, comme si le produit vaccinal pouvait pénétrer dans le noyau de nos cellules et avoir une action sur notre génome, ce qui n’est pas le cas.

Les vaccins, une longue histoire

Les premiers vaccins dits « vivants atténués » remontent à 1798 avec Edward Jenner qui découvre que les personnes infectées par la vaccine, une maladie bénigne des vaches, sont immunisées contre la variole. Puis en 1879, Louis Pasteur met au point le premier vaccin vivant atténué artificiel, qui protège contre la rage.
Près d’un siècle plus tard, apparaissent les vaccins dits « inactivés », car ils contiennent des agents infectieux (ou une toxine produite par ceux-ci) qui ont été tués à l’aide d’un produit chimique ou par la chaleur.
La nouvelle génération de vaccins vivants dits « recombinants » est née avec les progrès des biotechnologies. Ils utilisent une toute petite partie d’un microbe, un fragment de son matériel génétique, rendu inoffensif. C’est le cas des tout récents vaccins contre la Covid-19, dits à ARN messager, pour lesquels l’exploit a été accompli de les fabriquer en si peu de temps.
Un procédé encore plus innovant consiste à se servir des plantes comme des « usines à vaccins ». Contrairement à ce que l’on pourrait penser, cela n’implique aucune modification génétique de la plante. Celle-ci est en effet utilisée comme hôte pour produire la matière active du vaccin.

Quelle étrange idée de vouloir produire des vaccins à partir du tabac ! En fait, cette plante est très utilisée en virologie et dans le domaine des interactions hôte-pathogène © N. Bertrand-Inrae
Pour l’introduction de particules virales dans la plante, on utilise une bactérie du sol, Agrobacterium tumefaciens © N. Bertrand-Inrae

Les espoirs de la virologie végétale

Habituellement, tout vaccin contient un antigène, c’est-à-dire la réplique inactive d’un virus qui induit une réponse immunitaire sans contaminer la personne vaccinée. Mais les plantes peuvent aussi servir de support à la création de ces antigènes en devenant des hôtes du virus : on appelle ce procédé « virologie végétale à base de bioréacteurs ».
Pour ces expérimentations, l’espèce souvent retenue est Nicotiana benthamiana, une espèce parente du tabac. Cette plante se distingue par son système immunitaire affaibli, résultat de modifications génétiques naturelles au fil des millénaires. Ainsi, les expérimentateurs peuvent y introduire des particules virales sans qu’elles soient rejetées. Le vecteur utilisé est une bactérie du sol, Agrobacterium tumefaciens, responsable de la galle du collet (nodosités au niveau du collet ou des racines). Les plantes sont immergées dans une solution liquide contenant ces bactéries infectées, et l’ensemble est mis sous vide. La pression exercée évacue l’air qui se trouve entre les cellules de la plante, la solution pénètre alors les feuilles. Ainsi, la bactérie entre en contact avec une cellule végétale et lui injecte une partie de son ADN. Cet ADN transféré ne s’intègre pas à l’ADN de la plante. En fait, c’est par une sorte d’expression transitoire qu’il va être transcrit et l’on ne peut donc pas parler de plantes transgéniques.
Ce transfert d’ADN va obliger la plante à produire des particules pseudo-virales (PPV), qui ressemblent à des virus, mais qui ne sont pas infectieuses et peuvent donc être utilisées pour la vaccination humaine. Après injection du vecteur bactérien dans les plantes, il suffit de quelques jours pour qu’elles activent ce mécanisme de production incroyable. Les feuilles sont ensuite broyées, mélangées à une solution de purification qui va permettre d’en extraire les particules pseudo-virales. Celles-ci sont alors isolées, stérilisées et chimiquement assemblées pour former la base précieuse du vaccin.

Simplicité et rapidité

Si l’on compare ce procédé au système de vaccins traditionnels, produits le plus souvent sur des cellules vivantes d’oeufs fécondés, d’embryons de poulets ou sur des cultures de levures, il ressort deux atouts essentiels : la simplicité et la rapidité de mise en oeuvre. Ce court délai, de quelques semaines au lieu de quatre à cinq mois, constitue un avantage primordial car la vaccination est toujours une course contre la montre. Rappelons-nous la propagation fulgurante de la Covid-19. Et même pour la grippe saisonnière, chaque année se pose le même problème : étant donné le laps de temps de fabrication du vaccin, la souche de virus qui circule peut avoir muté et n’être plus celle contre laquelle le vaccin protège.
Autre bénéfice, les vaccins issus de plantes ne contiennent que très peu de résidus des cellules végétales hôtes, comparativement aux vaccins produits dans des cellules animales. Ceci pourrait contribuer à diminuer, voire éliminer, les effets secondaires, tels que les réactions allergiques.

La technologie des « plantes à traire » brevetée par la société PAT consiste à extraire, à partir des racines, et de manière non destructive, les molécules d’intérêt recherchées © Inrae / Ensaia / INPL / PATSAS

L’entreprise Medicago, toute proche d’un succès

Les recherches de vaccins à partir de plantes ne datent pas d’hier. On peut rappeler le projet Plaprova (Plant Production of Vaccines), en 2009-2011, financé par l’Union européenne, qui portait sur l’étude des systèmes d’expression des plantes pour la mise au point de vaccins contre certaines maladies graves des animaux d’élevage, telles que la grippe aviaire et la fièvre catarrhale.
Plus récemment, les programmes de recherche pour la vaccination humaine se sont intensifiés. Plusieurs pistes sont travaillées et des progrès réels ont été réalisés. À ce jour, l’entreprise biopharmaceutique canadienne Medicago est passée tout près d’un succès. Cette société s’est spécialisée il y a plus de vingt ans dans ce type de recherches. Au début, les travaux se concentraient sur une méthode de production utilisant de la luzerne Medicago sativa, d’où le nom de l’entreprise. Cette espèce expérimentale a très vite été remplacée par Nicotiana benthamiana. En 2021, les études sont très prometteuses : le vaccin Covifenz a démontré son efficacité dans une étude de phase 3 parue dans le New England Journal of Medicine. Et en février 2022, Santé Canada approuve ce produit tant attendu : le premier vaccin au monde à être produit à partir de plantes. Mais, un mois plus tard, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) met fin à l’aventure en décidant de rejeter le vaccin. Une des raisons majeures serait les liens de la société Medicago avec l’industrie du tabac. Medicago, à cette époque, était détenue conjointement par le Japonais Mitsubishi Tanabe et par le géant de l’industrie du tabac Philip Morris International. Depuis, la société a été dissoute. Mais ses brevets et une partie de ses installations ont été repris en décembre 2023 par Aramis Bio-technologies, dont le siège social est au Québec.
Entretemps, cette nouvelle avait suscité des commentaires prudents et également ironiques : peut-on se réjouir qu’une espèce de plante parente du tabac soit utilisée à des fins qui servent la santé, au lieu de la desservir ?
Le lien entre les plantes et la santé est avéré depuis des millénaires. Les nombreuses espèces médicinales en témoignent. Ce qui est plus nouveau, ce sont les recherches autour de la production de médicaments à partir de plantes, ce que l’on nomme « moléculture végétale » ou « agriculture moléculaire » (voir encadré). Comme dans le cas des vaccins, tous ces projets sont porteurs de grands espoirs. Ces travaux de recherche sont longs, mais ils devraient révolutionner le monde médical et agricole du XXIe siècle.

blog.vegenov.com https://blog.vegenov.com/2015/07/plantes-demain-usines-vaccins-humain

Laure Gry
Journaliste et membre du Comité de rédaction de Jardins de France