Un best-seller : « Les Fleurs de pleine terre »
Daniel Lejeune
Par leur dynamisme, leur esprit d’entreprise et leurs relations tôt nouées auprès du Jardin des Plantes, par leur clientèle aisée et exigeante, les Vilmorin-Andrieux ont été associé aux prémices du mouvement horticole dont ils ont largement été moteurs[1]. La Revue Horticole naquit en 1829 d’une initiative des auteurs du Bon Jardinier, soucieux de mieux accompagner une « actualité végétale » devenue galopante. La pagination, le format, l’iconographie, la fréquence trimestrielle de cette revue ne parvenaient pourtant pas à rendre compte de l’incroyable accélération du développement horticole, ni de l’accroissement des espèces et variétés disponibles en culture. Sélectionneurs forcenés et heureux, les jardiniers, leur seront particulièrement redevables de semences de haute valeur dans les domaines potagers et floraux. Le corollaire naturel à cette situation privilégiée dans la diffusion semencière, fut la publication d’aide-mémoires de culture. Ces petites plaquettes évoluèrent rapidement vers deux véritables manuels : les Plantes potagères[2] et les Fleurs de pleine terre, ce dernier titre contenant dans son édition la plus aboutie, outre un dictionnaire végétal, des listes thématiques d’emploi et jusqu’à des exemples de mise en scène donnés par les plus grands paysagistes du moment.
Les Instructions pour les semis des fleurs de pleine terre et le Calendrier des plantations
La SNHF possède une édition 12 X 16 de 1849 des « Instructions pour les semis des fleurs de pleine terre » qui semble être la première du genre et que l’on doit considérer comme une préfiguration des Fleurs de pleine terre et qui comporte 109 pages. La 5e édition, d’un format un peu plus grand 12,5 EX 19 et de 130 pages, est postérieure à 1863. La parution des Fleurs de pleine terre, d’un coût peut-être trop onéreux pour les jardiniers modestes, n’a pas éteint ce petit manuel qui paraîtra indépendamment jusqu’au début du XXe siècle. «…/… pour tous les… détails et renseignements relatifs à la culture et à l’emploi des plantes d’ornement de plein air, nous renvoyons à notre ouvrage ‘les fleurs de pleine terre illustrées’, qui est le développement et le complément de ces instructions. » Il est fait allusion à un calendrier existant dans la dernière édition des Fleurs de pleine terre et qui a donné naissance à une autre plaquette du même format 14 X 22, de 108 pages, éditée à part, non datée et intitulée « Calendrier des semis et plantations ».
Les Fleurs de pleine terre
La première édition des Fleurs de pleine terre est parue en 1863. Ses deux volumes totalisent 1 214 pages L’éditeur explique dans l’introduction qu’il s’agit du développement des Instructions pour les semis de fleurs. Il précise le rôle important joué par Bernard Verlot[3], ainsi que celui du jardinier Ignace Oehlkern dans la rédaction. La liste descriptive des espèces et variétés est suivie d’une série d’exemples d’aménagements illustrés (Barillet-Deschamps et Prof Decaisne) par des planches hors texte chromo lithographiées. Font suite une liste des principales plantes employées pour l’ornementation des plates-bandes du Muséum, du Luxembourg, du Louvre, des Tuileries et un dictionnaire des principaux termes employés avec les synonymes des plantes en anglais, allemand, italien, espagnol, portugais. C’est à notre connaissance la première publication qui prenne en compte la dimension européenne de l’horticulture et de son commerce. Cette première édition, qui avait été analysée par Pépin[4], a été présentée par Édouard André dans la Revue Horticole de 1863 p 438.
La seconde édition date de 1865 et comporte 1 291 pages. L’introduction réitère l’hommage à la collaboration importante de Bernard Verlot. C’est Georges Barral qui la présente dans la Revue Horticole 1866 p 88.
La troisième édition est de 1870, mais l’exemplaire de la SNHF n’est pas daté, ce qui laisse à penser qu’il s’agit d’un retirage. Elle compte 1 563 pages et près de 1 300 figures. L’introduction nous apprend que les illustrations sont dues à Édouard Godard qui a dessiné les plantes d’après nature. Cette édition de 1870 a fait l’objet d’un supplément de 203 pages paru en 1884… La maison Vilmorin-Andrieux et Cie avait fait don d’un exemplaire à la Société Impériale et Centrale[5] qui avait alors chargé Andry d’en faire l’analyse[6].
La quatrième édition est parue en 1894. Elle a considérablement augmenté en format (16 X 25) et en nombre de pages : 1 347. Elle prend dorénavant en compte les conditions de culture existant sur l’ensemble du territoire, y compris sous le climat méditerranéen. Elle contient 1 600 gravures dans le texte. Les plans de parcs et de jardins et les divers exemples sont exclusivement dus à Édouard André. Il s’agit d’abord d’un parc paysager à Reims, réalisé pour le compte de Madame Vve P. (probablement le parc Pommery). Le second plan concerne les parterres du jardin du Lude dans la Sarthe, où les travaux exécutés pour la marquise de Talhouet-Roy, s’échelonnèrent de 1880 à 1888. Le troisième exemple est plus exotique, puisqu’il s’agit de la place Florès à Montevideo, exécutée dans le cadre de la commande d’urbanisme végétal dont Édouard André fut chargé sans doute à l’issue de l’exposition universelle de 1889. Le quatrième exemple concerne un jardin alpin non identifié. Le seul élément probable serait l’implication de son collaborateur spécialiste Jules Allemand, qui réalisera plus tard et à son compte, le jardin alpin de la Jaÿsinia à Samoëns. Le cinquième plan vient préciser cette approche et présente un intérêt tout particulier, puisqu’il s’agit d’une scène alpine dans la propriété personnelle d’Édouard André à La Croix-en-Touraine. Le sixième exemple est celui de différents parterres dont l’orientation pédagogique correspond quelque peu à l’enseignement dont il fut investi à l’École Nationale d’Horticulture de Versailles à partir de 1892. Cette édition, dont Pierre Duchartre a publié une analyse[7], comporte des listes thématiques d’emploi des espèces décrites.
La cinquième édition, de 1909 est distribuée par l’éditeur sous une reliure en percaline bleue imprimée d’Œillets. L’ouvrage comporte 1 375 pages et 1 800 gravures dans le texte. C’est à René-Édouard André que Philippe de Vilmorin a fait appel, pour les plans de parcs et jardins. Les trois planches hors texte de ces réalisations sont suivies d’une série de modèles de grandes décorations florales. Cette cinquième et dernière édition a été présentée dans la Revue Horticole de 1909 p 94 par G. T. Grignan.
L’Atlas des Fleurs de pleine terre
Parallèlement aux Fleurs de pleine terre, est paru l’Atlas des Fleurs de pleine terre, contenant 1 128 gravures sur bois dessinées par Édouard Godard. Les vignettes sont regroupées à 6 par page jusqu’à la figure 1085. L’exemplaire de la SNHF porte un envoi de Vilmorin-Andrieux, qui l’avait offert en 1867[8]. « Nous avons eu pour but de montrer le port, le faciès des plantes que nous avons décrites dans « Les Fleurs de Pleine Terre »…nous nous sommes imposés, pour la dimension des dessins, un format qui nous permît de les intercaler dans le texte de l’ouvrage principal, lorsque, plus tard, nous aurons à en publier d’autres éditions… ». Fait rarissime pour l’époque, les graveurs des vignettes sont cités : Laplante, Thiebault, Simon, Gabry, Magdelin, Midderich, Ottmann, Badoureau, Blanadet, Trémelat, Marchand, etc. La parution de ce petit ouvrage, présenté par Elie-Abel Carrière dans la revue Horticole en 1867 p 438, jette un pont entre la seconde édition des Fleurs de pleine terre qu’il complète temporairement et les éditions suivantes qui en reprennent les vignettes.
En Allemagne aussi
Des versions étrangères de cet important ouvrage ont été éditées à Berlin, chez Paul Parey, sous le titre Vilmorin’s Blumengärtnerei, Beschreibung, Kultur und Verwendung des gesamten Pflanzenmateriel für deutsche Garten.
Quelques acteurs de la parution des Fleurs de pleine terre
Édouard Godard
Illustrateur des Fleurs de pleine terre, mais aussi des Plantes potagères, il a aussi collaboré au Dictionnaire d’Horticulture et de jardinage, de Nicholson et Mottet, pour 22 planches hors texte.
Henry Lévêque de Vilmorin (1843-1899)
C’est à son initiative que sont parues plusieurs éditions des Fleurs de pleine terre et des Plantes potagères.
La dernière édition sera pilotée par Philippe (1871-1917)
Eugène Ramey (1834-1877)
« M. Ramey était moins connu qu’il n’eût mérité de l’être, si ses travaux n’avaient été absorbés dans l’immense train des affaires de l’établissement célèbre auquel il appartenait et où l’on rendait pleine justice à ses talents. M. Ramey avait collaboré très activement au beau livre intitulé Les Fleurs de pleine terre. »
Bernard Verlot (1836-1897)[9]
Les Fleurs de Pleine Terre constituent toujours un manuel de référence, une publication qui n’a pas pris une ride. Lui reprocher aujourd’hui une iconographie au trait noir et des gammes variétales quelque peu surannées serait bien mesquin devant la richesse et l’exhaustivité des renseignements techniques, toujours aussi indispensables au jardinier comme au paysagiste.
[1] Voir l’article sur la famille dans ce dossier
[2] Voir l’article de michel Pitrat dans ce dossier
[3] Voir l’article de Daniel Lejeune dans ce dossier
[4] journal de la SICH 1864 p 134
[5] journal SICH 1870 p 198
[6] journal SICH 1870 p 230
[7] journal de la SNHF 1894 p 546
[8] journal de la SICH 1867 p 589
[9] Voir sa biographie dans ce dossier par Daniel Lejeune