Au détour des chemins : Les Ombellifères sauvages
Tout le monde les connaît et les a croisées au détour d’une randonnée ou lors de la dégustation d’un repas. Leur particularité morphologique, leur caractère aromatique, leurs qualités gustatives et curatives ou leur toxicité ne laissent personne indifférent. De nombreuses espèces d’Ombellifères peuvent se rencontrer dans les divers espaces naturels.
Variété des goûts des Ombellifères
Les Ombellifères sont avant toute chose des plantes utilitaires et alimentaires. Certaines ont subi des transformations par sélection, qui les ont rendues plus productives (voir articles spécifiques) et dans tous les cas moins « sauvages ». Certaines cultivées sont néanmoins restées proches de l’état originel, comme le chervis (Sium sisarum*), dont la saveur rappelle le salsifis et la livèche (Levisticum officinale*). Originaire du Proche-Orient, cette Apiacée au feuillage aromatique, appréciée des rois au Moyen Âge, est aujourd’hui un incontournable des potagers alsaciens car employée pour parfumer le pot-au-feu. D’autres ne constituent pas – ou plus – des cultures à proprement parler. C’est le cas de la châtaigne de terre (Bunium bulbocastanum*). Cette petite vivace produisant un tubercule de 1 à 3 cm de diamètre a fait l’objet d’une culture importante. Elle est aujourd’hui tombée dans l’oubli en raison des échecs d’amélioration de l’espèce et de l’introduction de la pomme de terre. Le maceron noir (Smyrnium olusatrum), plante bisannuelle monocarpique, est un « légume oublié ». Toute la plante se consomme. Il fut cultivé jusqu’à la fin du XVIIe siècle avant d’être détrôné par le céleri. Citons également l’envahissante herbe aux goutteux (Aegopodium podagraria*) dont les feuilles se consomment crues ou cuites.
Plus localement, le criste maritime (Crithmum maritimum), poussant en zone littorale, est une plante condimentaire dont les feuilles charnues peuvent être conservées dans le vinaigre à l’instar des cornichons. Le cerfeuil musqué (Myrrhis odorata*), seul représentant de son genre, combine de nombreux intérêts. C’est une vivace ornementale au feuillage à forte odeur anisée, tout comme une plante condimentaire (semences immatures) et alimentaire (légume feuille, liqueurs comme la chartreuse). C’est aussi une espèce fourragère censée favoriser la lactation des vaches, qu’on peut utiliser pour polir le bois et à usage médicinal (fumée comme du tabac par les asthmatiques). Au rang des incontournables, évoquons également l’angélique (Angelica archangelica*) plante monocarpique à vie brève qui affectionne les sols frais. Ses usages sont multiples : épice, aromate. Elle est utilisée en confiserie, en parfumerie et comme insecticide, mais il faut aussi s’en méfier car elle est désormais proscrite par la réglementation pour risque de réaction cutanée. C’est aussi une espèce tinctoriale des feuilles de laquelle on extrayait une teinture jaune et qui contient des tanins qui ont servi à remplacer l’écorce du chêne pour le tannage des cuirs.
Les Apiacées pour se soigner
Nombre d’espèces d’Apiacées ont des propriétés médicinales, avec des usages variés. Le cumin, la coriandre et le fenouil, mais aussi l’aneth odorant (Anethum graveolens) et l’anis vert (Pimpinella anisum) offrent des propriétés carminatives et stimulantes.
On extrait des huiles essentielles du benjoin français ou impératoire (Imperatoria ostruthium), du cerfeuil aromatique (Chaerophyllum aromaticum) et de l’herbe aux cure-dents (Visnaga daucoides) qui tire son nom de l’usage des rayons secs des inflorescences comme cure-dents naturellement parfumés. On obtient aussi une gomme résineuse d’un séséli (Seseli gummiferum*), une vivace calcicole originaire du bassin méditerranéen, et de l’ase fétide (Ferula asafoetida), une endémique iranienne aux multiples vertus.
D’autres Apiacées avaient des propriétés supposées magiques, comme le petit boucage (Pimpinella saxifraga*) qui, en Alsace, était jeté dans les feux de la Saint-Jean pour conjurer le mauvais sort.
Pour le plaisir
Au-delà d’une apparente uniformité, les Ombellifères offrent aux jardiniers une incomparable palette végétale, tant au niveau des hauteurs, des formes et coloris de feuillages que des milieux auxquels elles s’adaptent : du plus humide au plus sec et du plus sombre au plus lumineux.
Commençons par celles qui cachent leur appartenance à la famille comme la grande astrance (Astrantia major*), vivace infatigable dont l’ombelle dispose d’un involucre des plus spectaculaire.
Les panicauts, avec leur faux air d’Asteracées, sont tout aussi épineux que remarquables, leurs tiges colorées et leur floraison qui rend les insectes frénétiques en font des incontournables.
En voici quelques-uns qui trouveront leur place au jardin pour peu que le sol soit drainé : le panicaut de Bourgat ou chardon bleu des Pyrénées (Eryngium bourgatii*), vivace aux feuilles très découpées veinées de blanc, porte des inflorescences de 40 à 60 cm bleues à lilas.
Le panicaut géant (Eryngium giganteum*), bisannuel originaire du Caucase, se naturalise sans être envahissant et apporte une touche graphique jusqu’en hiver avec ses inflorescences pouvant atteindre plus d’un mètre. Le panicaut à feuilles planes ou chardon bleu (Eryngium planum*) porte des hampes florales bleu azur.
Le panicaut gracieux (Eryngium venustum*), rustique bien qu’originaire du Mexique, appréciera un peu d’ombrage aux heures les plus chaudes de la journée. Pour finir, le panicaut à feuilles de yucca (Eryngium yuccifolium*) est une vivace formant de belles touffes de feuilles atypiques d’où émergent des tiges jusqu’à 1,5 mètre portant des pompons gris blanchâtre. Le buplèvre ligneux (Bupleurum fruticosum*), avec son feuillage entier persistant, est la seule Apiacée ayant un port arbustif sous notre climat. Pouvant atteindre 2 mètres de haut, il supporte la chaleur, la sécheresse et le froid en sol drainé. La sanicle d’Europe (Sanicula europaea*) se plaira au contraire à l’ombre et mérite un emplacement de premier plan par sa taille modeste.
Le cerfeuil sauvage pourpre (Anthriscus sylvestris ’Ravenswing’) est surprenant par son feuillage foncé presque noir. C’est une bisannuelle qui se ressème facilement et apprécie le soleil. Le cerfeuil poilu rosé (Chaerophyllum hirsutum ’Roseum’) est, pour sa part, une plante vivace qui arbore de belles ombelles de fleurs roses au printemps, surmontant un feuillage découpé duveteux, au parfum de pomme.
La férule commune (Ferula communis) est une vivace méditerranéenne spectaculaire, dont l’inflorescence, qui mesure jusqu’à deux mètres, est munie de fleurs jaunes. Elle est rustique jusqu’à -11 °C et apprécie les terrains calcaires secs. Ses tiges contiennent une moelle qui brûle comme l’amadou sans en consumer les parois et servaient à corriger les enfants, d’où l’expression « avoir quelqu’un sous sa férule ».
Le laser à feuilles à trois lobes (Laser trilobum*), seul représentant du genre, protégé en France, a néanmoins sa place au jardin pour son allure particulière et sa résistance au sec.
Citons également la mutelline à feuilles d’adonis (Mutellina adonidifolia*), une vivace fourragère de taille moyenne, originaire de nos montagnes, au feuillage finement découpé, et la baudremoine (Meum athamanticum*), une autre montagnarde appréciant les terrains siliceux pauvres, au feuillage aromatique finement découpé et à la floraison estivale.
Le grand boucage à fleurs rouges (Pimpinella major var. rubra), belle vivace de 1,2 mètre à fleurs roses, est digne d’intérêt tout comme l’une de nos favorites, le couscouil (Molopospermum peloponnesiacum*), une vivace robuste atteignant 2 mètres de haut, au feuillage imposant. Enfin, un selin originaire de l’Himalaya (Selinum wallichianum*), rustique et pérenne, aux pétioles rouges et au feuillage ciselé mérite que l’on tente de le cultiver.
Avec les Apiacées, il faut cependant garder à l’esprit que l’on a affaire à des plantes hors du commun qui imposent beaucoup de prudence et d’humilité, ne souffrant aucune erreur d’identification si l’on souhaite les consommer et restant, quoi qu’il arrive, sauvages.
Pierre Meppiel
Jardinier du Jardin botanique du col de Saverne
* Les plantes marquées d’un astérisque sont cultivées au Jardin Botanique du Col de Saverne (Bas-Rhin, Alsace) par l’auteur.