Araignées rouges, le cauchemar du jardinier décrypté
Vincent Albouy
Araignées rouges des jardiniers et acariens tétranyques des scientifiques : c’est la même chose. Ces minuscules arachnides dont la taille avoisine le demi-millimètre, sont de couleur grise, jaune ou rouge, d’où ce nom commun générique.
Difficile à voir, la présence d’acariens tétranyques est plus facilement décelée grâce aux toiles soyeuses qu’ils tissent sur le dessous des feuilles ou autour des tiges des plantes. L’espèce la plus commune dans les jardins et les cultures porte, pour cette raison, le nom de tétranyque tisserand (Tetranychus urticae). Les autres espèces fréquemment rencontrées dans les jardins sont l’araignée rouge des arbres fruitiers (Panonychus ulmi), l’araignée rouge des conifères (Oligonychus ununguis), le tétranyque du pommier (Amphitetranychus viennensis).
La toile, un abri efficace
Certains acariens se déplacent librement sur la feuille, surtout sur le dessous, et peuvent être détectés à l’oeil nu. Ils se concentrent souvent près des nervures principales. Mais ils s’observent aussi sur d’autres parties de la plante, comme les pétioles, les tiges, les boutons floraux, etc. Une inspection plus poussée permet de voir un fin réseau de fils de soie enchevêtrés au revers de la feuille. Cette toile protège les tétranyques tout en facilitant leurs déplacements. Les toiles les plus importantes sont dues au tétranyque tisserand. En cas de pullulation, les feuilles peuvent se retrouver reliées entre elles par de nombreux fils sur lesquels les araignées rouges se déplacent. La toile forme aussi un abri efficace contre les insectes prédateurs comme les coccinelles, les punaises ou les syrphes, mais aussi contre la pluie car l’eau est néfaste à leur développement.
Maladie du « plomb »
Les araignées rouges sont dotées d’un rostre portant à son extrémité les pièces de la bouche, deux chélicères prenant l’aspect de stylets pointus et creux. L’alimentation des araignées rouges est essentiellement liquide. Contrairement aux pucerons, elles ne se nourrissent pas de la sève des plantes, mais du cytoplasme des cellules de l’épiderme. Elles enfoncent leurs stylets piqueurs dans les tissus des plantes pour se nourrir. Pour faciliter l’absorption, les sucs végétaux sont fluidifiés par inoculation préalable de salive, une sorte de prédigestion extra-orale. Sous l’effet des piqûres, les tissus de la plante sont détruits et prennent une couleur terne avant de se dessécher complètement. D’où les noms de maladie du « plomb » ou de « grise » donnés aux dégâts provoqués par les tétranyques. Légumes, plantes ornementales, arbres fruitiers, arbres d’ornement et d’alignement peuvent être affectés par de graves dessèchements dus à ces acariens.
Petites taches jaunâtres
Les feuilles attaquées présentent un aspect caractéristique. La plupart des espèces, comme le tétranyque tisserand, provoquent de petites taches jaunâtres aux endroits où les cellules épidermiques sont détruites par leurs piqûres. Lorsqu’elles deviennent trop nombreuses, les feuilles entières jaunissent, se dessèchent et tombent. Les aiguilles des conifères attaqués changent de couleur, passant du jaune au roux puis brunissent.
L’attaque d’autres espèces, comme l’araignée rouge des arbres fruitiers, provoque une modification de la couleur du feuillage. Il prend un aspect gris plombé, métallique. Les arbres et arbustes de la famille des rosacées, comme les rosiers, les aubépines, les arbres fruitiers, les pyracanthas, mais aussi les ormes ou les saules y sont très sensibles.
Des acariens très mobiles
Les acariens, malgré leur taille minuscule, sont des animaux très mobiles. Ils peuvent facilement passer d’une plante à l’autre quand les feuillages sont en contact. C’est pourquoi les dégâts se développent en tache dans une serre ou une culture à partir des plantes contaminées. Les araignées rouges s’accrochent aussi facilement aux vêtements, aux outils, à la peau et le jardinier peut les propager d’un point à un autre du jardin sans s’en apercevoir.
Le vent est le principal responsable de la propagation à longue distance. Certaines espèces montent en haut des plantes et sécrètent un fil de soie qui les emporte comme un parachute dans les courants aériens. Le très faible poids des larves, des adultes et des oeufs permet au moindre coup de vent un peu fort de les emporter au loin.
Œufs d’hiver et œufs d’été
Les araignées rouges sont en général très prolifiques et leur développement est rapide, si bien qu’elles peuvent pulluler et commettre des dégâts considérables, surtout en période sèche. Les femelles pondent deux sortes d’oeufs.
Les oeufs d’hiver, peu nombreux, sont pondus généralement à l’automne, dans les fentes de l’écorce des rameaux, dans les crevasses des branches et des troncs. Bien adaptés aux climats rigoureux, ils résistent au froid. Ils doivent d’ailleurs subir une période de froid suffisamment importante pour pouvoir éclore. Certaines espèces, comme le tétranyque tisserand, hivernent à l’état adulte, entre les écailles des bourgeons, dans les crevasses de l’écorce, à la base des plantes herbacées, parfois dans le sol. Elles ne pondent sur les plantes basses qu’à la fin de l’hiver, car leurs oeufs sont incapables de résister au froid. Ces deux catégories d’oeufs d’hiver donnent naissance à des femelles.
Les oeufs d’été sont pondus en grand nombre sur les feuilles des plantes attaquées. Ils peuvent être de deux types, soit des oeufs fécondés donnant des mâles et des femelles, soit des oeufs parthénogénétiques donnant uniquement des femelles.
De cinq à huit générations
La durée de l’incubation des oeufs, comme celle du développement des larves qui en sortent, dépend de la température. Les oeufs éclosent après 22 jours à 15 °C, mais en 4 jours seulement à 30 °C. Les larves atteignent le stade adulte en 7 à 20 jours chez les espèces les plus communes. Les jeunes femelles commencent à pondre 3 à 10 jours après leur émergence. L’adulte vit de 10 à 30 jours en moyenne. Mais quand la nourriture est riche (haute teneur en acides aminés des feuilles), cette durée peut être notablement allongée, ce qui arrive notamment en cas d’excès de fumure en azote et en potasse.
La plupart des espèces d’araignées rouges connaissent de 5 à 8 générations en été selon le lieu et les conditions climatiques de l’année, et jusqu’à 10 à 15 en serre pour le tétranyque tisserand. En serre chaude, il n’y a pas de diapause hivernale et les dégâts sont à craindre tout au long de l’année.
Le froid ralentit le développement, et parfois entraîne la mort des acariens, tout comme une température trop élevée, au-dessus de 30 °C, une atmosphère trop sèche ou trop humide, ou encore la présence d’eau de condensation sur les feuilles.
Résistances aux pesticides
Longtemps, les araignées rouges sont passées inaperçues ou presque dans les cultures. De sérieux problèmes ont commencé à se poser à partir de la fin des années 1940, lorsque sont apparus les traitements massifs à base de DDT et autres pesticides chimiques de synthèse. Les acariens ont alors bénéficié de l’élimination massive de leurs concurrents végétariens qui les maintenaient jusqu’alors sous des seuils de densité relativement bas. Ils ont pu pulluler d’autant plus spectaculairement qu’ils développent très vite des résistances aux pesticides, qui éliminent par contre leurs prédateurs, souvent d’autres espèces d’acariens, les typhlodromes, les meilleurs agents de contrôle des populations de tétranyques. Des pullulations importantes et récurrentes d’acariens dans un jardin ou dans une serre sont généralement un signe d’utilisation excessive et mal maîtrisée des traitements phytosanitaires.