Anches végétales : un festival de cannes

Un petit bout de végétal peut faire vibrer un orchestre : l’anche. Elle équipe les instruments à vent tels les bassons ou les clarinettes. Un département français est leader de sa production, le Var, où pousse naturellement la canne de Provence, matière première de sa fabrication. Nicolas Righi, de l’entreprise Marca, nous présente la vie cachée de l’anche.

On ne soupçonne pas le rôle que peut jouer une « anche » dans la qualité de la pratique d’un instrument à vent. Il s’agit d’une petite lamelle qui, au passage du souffle du musicien, va vibrer et produire le son. Elle équipe le bec d’instruments comme les saxophones, les clarinettes ou, en anches doubles, les hautbois, les bassons, etc. Deux matières sont utilisées : le plastique ou le roseau*. Mais 90 % des anches sont en roseau « car elles offrent un son plus chaleureux et naturel que le plastique », explique Nicolas Righi, codirecteur de l’entreprise Marca, un des leaders mondiaux de fabricants d’anches, située à Ollioules, dans le Var.

Mistral gagnant

Le végétal utilisé est le roseau du Var ou canne de Provence (Arundo donax). Il pousse naturellement, en Provence, soit sur les bords des cours d’eau, soit en tant que haies brise-vent. D’autres pays, comme l’Espagne ou l’Argentine, sont aussi de gros producteurs de roseaux. « Mais récoltée sous d’autres latitudes ou climats, la canne de Provence n’atteindra pas les mêmes performances. C’est comme un terroir pour la vigne », souligne Nicolas Righi. La spécificité de la canne poussant en Provence est sa souplesse. Elle la doit au Mistral, qui l’oblige à se courber régulièrement et lui confère son élasticité. Sans oublier le climat, avec un vrai hiver qui lui permet de se reposer, contrairement à d’autres pays où sa croissance est continue.

Des dimensions précises

La récolte s’effectue à la main, à la cisaille, au ras du sol. On coupe la canne lorsqu’elle atteint 6 à 8 mètres de haut, au bout de 18 à 24 mois de pousse. « La première année, elle croît en hauteur. La deuxième année, elle atteint le niveau de lignification exigé pour la fabrication d’une anche et une bonne densité de fibres, autre atout non négligeable », explique Nicolas Righi. Le diamètre de la tige doit être de 26 mm à un mètre de haut. S’il est inférieur à 20 mm, la canne sera destinée à la vannerie. On coupe la tige récoltée à 2,5 mètres de haut, la partie supérieure sera brûlée, broyée pour paillage ou servira de tuteur (tomates…).

Le jaune soleil caractéristique du Var

L’époque de récolte se déroule entre fin novembre et début mars, selon les années, à une période où la sève et descendue. La tige est nettoyée de ses feuilles et branches. On la fait sécher à la verticale, les « pieds en l’air », bien exposée au soleil, pendant deux à trois mois, en gardant un espace entre les tiges de 10 cm. Le soleil fait alors son travail en tournant autour de la canne pour la sécher uniformément.

Cette méthode évite l’apparition de maladies. Elle permet aussi l’amélioration et la fixation du vernis, une sorte de paraffine, que la chaleur fait durcir et qui lui confère une jolie teinte « jaune soleil ». Par cette caractéristique, un connaisseur pourra reconnaître l’origine de l’anche.

Puis on rentre les cannes sous abri, déposées à l’horizontale dans un local bien aéré pour achever le séchage pendant un an. « Par exemple, un roseau récolté à l’hiver 2020 ne pourra pas être travaillé avant septembre 2021 ou janvier 2022 », précise Nicolas Righi.

La canne de Provence est déposée à l’horizontale dans un local abrité, pendant un an, pour terminer son séchage © D.R.

La qualité est suspendue aux lèvres des musiciens

On procède ensuite à différentes opérations : découpe, mises à plat, biseautage… Les portions utilisées sont les tronçons entre les entre-nœuds. Le niveau de la tige déterminera la destination de l’anche car plus on va vers le haut, moins la partie sera ligneuse. Jusqu’à 1,25 mètre de hauteur seront taillées les anches pour les clarinettes et saxophones ; au-delà, jusqu’à 2 mètres, celles pour les bassons. On utilise la partie externe de la tige sur une épaisseur de 3 à 4 millimètres, voire 5. Les chutes seront broyées et serviront comme paillage, avec l’avantage de ne pas pourrir rapidement car elles sont riches en silice.

Avant la mise en marché des anches, des tests seront réalisés avec des musiciens de différents pays. L’entreprise Marca, qui vante l’homogénéité de ses produits, propose huit modèles différents par instrument, pour arriver à 700 références ! Le musicien, qui change d’anche environ tous les un à deux mois, selon l’usage de l’instrument, a donc le choix. Avec ces précisions apportées par Nicolas Righi, vous ne considérerez peut-être plus du même œil ou de la même oreille une clarinette ou un saxophone !

 

Jean-François Coffin
Membre du Comité de rédaction de Jardins de France

 

* Il existe des anches métalliques mais elles sont utilisées pour d’autres instruments comme l’orgue, l’harmonica ou l’accordéon.

DE LA VANNERIE À L’ANCHE

L’entreprise Marca, « Manufacture d’anches et roseaux de la Côte d’Azur », a été créée en 1957 par Franco Guccini, le grand-père de Nicolas Righi et Lionel Maurel, les dirigeants actuels. « Italien d’origine et mécanicien avion de précision dans l’armée, il est parti chercher du travail à Paris. Il en a trouvé dans une fabrique d’anches. De fil en aiguille, il a racheté la société. Ne voulant pas rester à Paris, il a installé l’entreprise dans le Var, à côté de la production de roseaux, à Ollioules », explique Nicolas Righi.

L’industrie de la canne a commencé à se développer dans la région avec l’arrivée de nombreux Italiens, venus travailler dans la vannerie. C’était le cas des parents de Franco Guccini, dont la société confectionnait des paniers pour la vente et le transport des fleurs. L’activité vannerie a donc laissé place à celle de la confection des anches.

Entreprise du patrimoine vivant

Marca utilise 200000 cannes par an pour produire les anches et réalise un chiffre d’affaires de 700000 euros. Ses clients sont des distributeurs et magasins de musique. L’entreprise exporte vers 70 pays. La Chine, la Corée du Sud et le Japon constituent ses premiers clients.

« Entreprise du patrimoine vivant »*, Marca emploie neuf collaborateurs travaillant à tous les postes et se situe parmi les leaders mondiaux de la production d’anches aux côtés d’autres grands fabricants du Var, tels Rigotti ou Vandoren.

 

Marca Reeds
718 chemin des Delphinium
83190 OLLIOULES
www.marcareeds.com

* Le label Entreprise du patrimoine vivant (EPV) est une marque de reconnaissance de l’État mise en place pour distinguer des entreprises françaises aux savoir-faire artisanaux et industriels d’excellence. www.patrimoine-vivant.com