Aménagement des jardins : Du végétal décoratif au végétal essentiel
Les jardins d’aujourd’hui ne sont plus ceux d’hier, répondant à des attentes très différentes de leurs propriétaires. Pour évoquer l’évolution de leur métier, de la structure des jardins qu’ils créent et de la diversité végétale qu’ils y installent, nous avons échangé avec deux jardiniers paysagistes reconnus par leurs pairs, que sépare une génération.
Pierre-Alexandre Risser (à gauche) est né en 1962 et a créé, en 1986, dans la région parisienne, son entreprise Horticulture & Jardins, pour laquelle travaillent une quarantaine de collaborateurs. Ses réalisations ont été primées dans de nombreux concours. Franck Serra (à droite), né en 1989, s’est initié très jeune au jardinage auprès d’une grand-mère passionnée. Il a créé son entreprise, Serra Paysage, en 2011 en Dordogne, et y emploie une trentaine de personnes. C’est lui qui a reçu en décembre 2021 le titre prestigieux de Maître Jardinier, décerné tous les deux ans depuis 2011 au Salon Paysalia, avec le partenariat de l’interprofession Valhor.
La cinquième pièce de la maison
Jusqu’aux années 1980, le jardin était déjà en vogue, mais il fallait qu’il soit avant tout esthétique, « joli à regarder ». Les propriétaires ne se lançaient dans sa création que dans un deuxième temps, une dizaine d’années après l’acquisition de leur maison, avec la volonté d’embellir celle-ci. Aujourd’hui, la démarche est différente : ce sont les trentenaires qui s’y intéressent dès leur installation, et ils conçoivent d’emblée leur jardin comme l’une des pièces de la maison, un « lieu de vie » à part entière : canapés et coussins pour le confort, grands bacs en matériaux composites pour le décor, douche, cuisine d’extérieur, jeux de plein air pour le plaisir… y trouvent maintenant tout naturellement leur place. Ces occupants n’ont pas, bien souvent, la passion du jardinage mais ils veulent vivre dehors, recevoir des amis, jouer avec les enfants, faire la fête. Cette pièce récréative leur permet aussi de se rapprocher de la nature et du monde végétal, auxquels ils sentent le besoin de se « reconnecter ». Le jardin prend une valeur éducative et livre de nombreux messages, comme l’obligation de respecter le rythme des plantes. On peut y apprendre les sciences de l’environnement, mais aussi bien d’autres disciplines… Les terrasses et balcons ont également beaucoup évolué de façon parallèle, d’une décoration très basique à l’aménagement de véritables espaces de vie.
La plante, élément phare des jardins
La plante reste l’élément phare des jardins et les utilisateurs y sont toujours très sensibles, mais leurs attentes ont beaucoup évolué. Pour la très grande majorité des jardiniers d’aujourd’hui, ces attentes en matière de végétaux sont d’ordre pratique et esthétique : apport de couleur dans le jardin, persistance pour assurer le décor toute l’année, mais aussi, entretien minimum.
Avec des souhaits complémentaires comme l’assurance d’une bonne isolation vis-à-vis des voisins. « Ils veulent que les végétaux poussent tout seuls et résistent sans qu’ils aient besoin de s’en occuper, constatent nos deux jardiniers paysagistes. Mais nous essayons toujours de les sensibiliser au fait que le jardin a tout de même besoin d’eux. » Il faut les impliquer pour que ce jardin qu’ils apprécient reste à l’image de ce qu’ils en attendent. Autre tendance de ces dernières années, le retour au jardin nourricier, cette fois pour des raisons culinaires et pédagogiques : recherche du goût et valeur éducative. « Un retour aux temps passés, remarque Pierre-Alexandre Risser, puisque dans les années 1950, les jardins étaient aux trois quarts consacrés au potager et à la basse-cour. »
Des végétaux faciles à vivre
Dans les années 1970, l’assortiment végétal des jardins était limité : saule pleureur, cépée de bouleaux, érable pourpre, forsythia, haie de thuyas ou de chamaecyparis, talus de cotoneasters, massif de rosiers… « Alors que le patrimoine horticole de la France avait été très riche au XIXe et au début du XXe siècle, analyse Pierre Alexandre Risser, il n’en restait plus grand-chose après les deux guerres : pauvreté botanique et perte de compétences. C’est au début des années 1980, avec la naissance des Journées des Plantes de Courson, suivies ensuite par bien d’autres manifestations qui vont s’en inspirer, que la gamme végétale va s’étoffer et la demande des jardiniers évoluer. » Les années 1990 vont marquer un renouveau de la plante, avec une recherche de diversification, dans la composition des haies par exemple.
D’où le succès, aujourd’hui, des arbustes et des vivaces, auxquels on demande de colorer les jardins, de garder une certaine durabilité et de s’adapter à l’évolution du climat: bambous, érables du Japon, camellias, cornus… la passion du végétal va se développer, entraînée par le travail de communication des pépiniéristes collectionneurs et autres acteurs de la production et de la distribution.
« Pourquoi la tendance est-elle aux graminées ? donne en exemple Pierre-Alexandre Risser. Tout simplement parce que celles-ci répondent parfaitement aux quatre critères qui font force aujourd’hui: peu d’entretien, peu d’arrosage, pas d’engrais, pas de phytosanitaires. »
Un métier d’avenir
Comme les propriétaires d’un jardin ont perdu le sens du bricolage, ils font de plus en plus appel à des entreprises spécialisées. Un métier qui exige échanges et pédagogie, et qui apporte plaisir et partage. « Nous ne sommes pas des “artistes”, explique Franck Serra : notre ambition est de faire un jardin non pas pour qu’il nous plaise à nous-mêmes, mais parce qu’il va répondre à l’attente du client, tout en l’amenant à des découvertes. Créer un jardin, c’est faire passer des émotions. On ne va pas forcément réaliser le jardin tel qu’il l’imaginait, mais l’amener à une nouvelle conception, lui passer des messages avec bienveillance. »
« On apporte de la satisfaction à nos clients, renchérit Pierre-Alexandre Risser, mais celle-ci n’est pas immédiate. Pour nous, il faut savoir l’écouter, comprendre comment il vit, l’amener peu à peu à définir ses attentes. Pour lui, il faut savoir donner avant de recevoir, apprendre la patience, l’humilité, apprendre de ses erreurs. » L’aménagement et l’entretien de so jardin lui permettent de comprendre les rythmes et les besoins de la nature, le cycle de la vie, le temps nécessaire pour qu’une floraison revienne, sans se décourager. « C’est une activité qui remet en avant l’intelligence de la main, qui évacue le stress, qui permet de retrouver les sensations de son horloge biologique, qui donne la satisfaction du geste bien accompli », se félicitent nos deux jardiniers paysagistes.
Les nouveaux jardiniers doivent savoir retrouver l’usage d’un temps dont l’a privé la multiplication des activités de loisirs. Si leurs parents et grands-parents n’avaient pas de jardin, c’est un univers nouveau pour eux. « À nous de les sensibiliser et de les emmener dans des endroits qu’ils ne connaissaient pas, de leur faire passer le message que le jardin a besoin d’eux, de les impliquer pour qu’il soit ce qu’ils en attendent », se réjouissent Pierre-Alexandre Risser et Franck Serra. Pour les professionnels de la création et l’entretien des jardins, c’est un métier qui « a du sens », mêlant de nombreuses compétences, techniques mais aussi pédagogiques, à mettre en parallèle par exemple avec les métiers de la cuisine, qui sont de plus en plus reconnus et médiatisés. Et la génération qui arrive est souvent un bel exemple de reconversion professionnelle. Un métier qui a une histoire, mais plus que jamais un vrai métier d’avenir.
Marie-Hélène Rocher-Loaëc
Journaliste horticole, membre du comité de rédaction de Jardins de France