Ail, oignon et échalote : Origine et création de nouvelles variétés
Cela remonte à des siècles : les trois espèces condimentaires ail, oignon et échalote, du genre Allium, ont été domestiquées et introduites en Europe occidentale. Depuis, elles ont fait l’objet de nombreuses sélections. Autant dire qu’on est loin des aulx sauvages de nos campagnes !
Ail, oignon et échalote sont classés dans les Allium alimentaires. Leur place est notable dans notre alimentation : d’usage principalement condimentaire, ils représentent près de 680 000 tonnes consommées en France chaque année, soit 13 % de l’ensemble des légumes.
Des propriétés singulières
Ce genre Allium comprend plus de 700 espèces. Ce sont des plantes généralement herbacées à bulbes, à feuilles simples, basiques engainantes et aux fleurs formant une ombelle à l’extrémité d’une hampe nue. Ce sont des monocotylédones hermaphrodites de la famille des Amaryllidaceae (anciennement Liliacées). Le fruit est une capsule contenant les graines. En outre, certaines se multiplient végétativement à partir de bulbilles, en général provenant de la souche, parfois des inflorescences. Leur odeur forte, assez typique de chaque espèce, est due à des précurseurs soufrés qui se transforment en sulfures volatils.
Une domestication ancienne et lointaine
Le centre de primo-diversification de l’ail (Allium sativum) se situerait en Asie centrale, autour de Samarcande en Ouzbékistan et plus largement dans le Kazakhstan, le Tadjikistan et le Xinjiang. À partir de là, cette espèce aurait gagné le Caucase et la Méditerranée vers l’ouest, l’Afghanistan et le nord de l’Inde. Ces souches sauvages seraient à l’origine des divers cultivars sur lesquels s’appuie la sélection récente. On trouve trace de la présence de l’ail très anciennement en Mésopotamie, en Égypte, en Grèce et chez les Romains. La relative aisance avec laquelle il était possible de multiplier des plantes comme l’ail, mais aussi l’échalote, à partir de petits bulbes conservés (caïeux et bulbilles), a dû faciliter l’amélioration vers des formes plus évoluées, notamment à partir de 1600, comme on le constate dans Le Théâtre de l’agriculture d’Olivier de Serres.
Ensuite, la sélection des Allium a utilisé alternativement la voie sexuée par graines et la voie végétative par bulbilles ou caïeux, cette dernière étant la plus spontanée. Dans les années 1980, un travail collectif a permis de recenser tous les groupes variétaux d’ail que l’on peut répertorier sur la planète.
Des caractères recherchés comme la grosseur du bulbe, l’intensité du goût, le comportement cultural plus ou moins aisé (adaptabilité à la zone de culture, longueur de jour influant sur la tubérisation…) ont orienté le travail de sélection, qui s’est intensifié à partir du milieu du XXe siècle.
La sélection massale de populations s’est ensuite perfectionnée vers un mode de sélection clonale. Pratiquée sur des populations anciennes, par nature très hétérogènes, elle se faisait en réservant des bulbes prometteurs en tant que plants pour l’année suivante. Et ces derniers ont ensuite été cultivés sur plusieurs générations, afin de confirmer l’amélioration des clones retenus. L’étape suivante, dans les années 1970-1980, fut la régénération par culture de méristème, qui a permis d’éliminer la présence de virus quasi généralisée sur les plants d’ail en France, notamment l’OYDV (Ognon Yellow Dwarf Virus), encore appelé « bigarrure de l’oignon ». Ceci a débouché sur l’obtention de plants certifiés indemnes de virus, sous le contrôle d’organisations structurées (Gnis-Semae, Soc, Prosemail, Inrae…). Des techniques de création variétale sont en développement pour obtenir de nouveaux clones à partir de semis de graines.
Des nouveautés sont cultivées désormais à grande échelle, et des travaux utilisant la variabilité in vitro pourraient s’avérer intéressants.
L’oignon : une reproduction par graines
L’oignon (Allium cepa gr. cepa) était consommé largement dans l’Antiquité, dans toute la région allant de la Palestine au nord de l’Inde (Baloutchistan) et dans le bassin méditer ranéen. Il était très courant dans la nourriture en Sicile au cours du Xe siècle.
On peut découvrir que l’oignon et l’échalote étaient recommandés en l’an 800 dans le capitulaire de Villis de Charlemagne. L’oignon, espèce bisannuelle, se reproduit principalement par graines. Une graine d’oignon semée au printemps donne un bulbe unique qui est récolté de l’été à l’automne. Laissé en terre, il donnera une repousse au printemps suivant, avec développement d’une hampe florale produisant des graines en cours d’été.
L’oignon est une espèce majoritairement allogame et la fécondation croisée est entomophile. Elle se combine avec un certain pourcentage d’autofécondation. Ainsi les cultivateurs ont sélectionné jusqu’au milieu du XXe siècle des variétés-populations issues de l’observation des bulbes en première année.
Des variétés hybrides d’oignons ont ensuite été sélectionnées par des firmes spécialisées avec, pour principal argument, une homogénéité de plus en plus élevée, facteur d’accroissement significatif des rendements. Ceci a eu aussi pour conséquence d’élargir la culture aux grandes plaines céréalières.
En 1996, un oignon de forme allongée, au léger goût d’échalote, fut classé dans une rubrique spéciale intitulée « échalion », distincte du catalogue « échalote ». Enfin, l’échalote grise est considérée comme une espèce à part, Allium oschaninii, originaire également d’Asie centrale. Elle a une tunique très coriace, une chair violacée, des racines puissantes et une quasi-absence de montaison à graines.
En pratique, la grande différence entre échalote et oignon est, outre leur goût bien distinct, la tendance naturelle de l’échalote à se reproduire de façon végétative, avec de nombreux bourgeons apparaissant au niveau du « plateau » racinaire. L’échalote est donc plantée et non semée.
La sélection de l’échalote en France a consisté, à partir de 1980, à régénérer les variétés populations fermières en les débarrassant du virus OYDV : une demi-longue de Jersey (Mikor) et une longue de Jersey (Jermor) sont issues de ces travaux de l’Inrae. Comme pour l’ail, un schéma de production de plants certifiés d’échalote se met en place avec les mêmes acteurs dans les années 1980. Les résultats s’avérèrent rapidement très probants, encourageant la généralisation de ce procédé et la création de nouveautés variétales. Surviennent au tout début des années 2000 des variétés « d’écha- lotes » se cultivant à partir de semis de graines, proposées par un sélectionneur néerlandais (suivi par d’autres).
Il y a depuis un conflit (non soldé) portant sur la légitimité d’appeler échalotes de semis des plantes qui peuvent s’avérer botaniquement plus proches de l’oignon (car issues de croisements entre le groupe cepa et le groupe aggregatum). La culture de ces échalotes de semis est mécanisable comme celle de l’oignon. Il existe un enjeu commercial entre échalotes traditionnelles plantées et échalotes de semis. L’IGP échalote d’Anjou offre au consommateur la certitude d’avoir une échalote plantée et aux arômes puissants.
Jacky Bréchet
Ingénieur agricole, spécialisé en productions légumières