Adventices : Les premières installées
Pour appréhender les adventices, ces premières plantes qui colonisent des sols squelettiques ou perturbés, rendus accessibles à découvert, il faut connaître leurs conditions de vie.
Spécialistes des milieux difficiles
Pour qu’apparaissent des plantes venues d’ailleurs, que l’on n’a ni semées ni plantées, il faut des conditions particulières : un sol en général remanié, quelquefois depuis longtemps, par des aménagements urbains ou une pratique agraire. Les différentes couches de sol (les horizons du pédologue) ont été bouleversées. Ainsi, les microorganismes des couches supérieures, indispensables auxiliaires de la croissance des plantes, sont en grande partie inopérants.
Ces conditions perturbées favorisent les adventices. Elles sont aussi des spécialistes des milieux difficiles, avec très peu de substrat, ce qui donne l’impression de les voir pousser dans les cailloux, l’asphalte, le béton…
Colonisatrices, utiles ou non ?
Le sol découvert, même partiellement, est un bon réceptacle pour certaines graines apportées par le vent (anémochorie), ou accidentellement par l’homme (anthropochorie). Il faut encore qu’elles aient une autre propriété, celle de se développer facilement et vite, y compris dans un milieu peu hospitalier.
Ce sont des plantes très souvent annuelles, à cycle court, de la flore indigène ou exogène, intégrées depuis peu dans nos régions (néophytes, soit après 1500), ou alors importées de fraîche date par des moyens de transport relevant de l’activité humaine. Plus des deux tiers de notre flore, considérée comme indigène, viennent de l’extérieur, et ce, dans une période postérieure à la dernière glaciation, dont une grande partie dans les deux derniers siècles.
Combattons les idées reçues : les adventices ne sont pas toutes des indésirables, certaines même se révèlent des auxiliaires précieux. Les indésirables, dans les cultures, sont souvent les repousses des années précédentes, parfois vigoureuses.
Un fort potentiel de reproduction
L’espace libre, l’absence momentanée de concurrence, la lumière, parfois les nutriments apportés par une fertilisation antérieure disproportionnée les favorisent. Mais elles possèdent surtout une capacité germinative exceptionnelle, associée à un fort potentiel de reproduction, avec un cycle végétatif court. Ce type de stratégie les oppose aux espèces compétitives à durée de vie longue (vivaces). Aucune plante, quel que soit son mode d’adaptation, ne peut se passer de la coopération de microorganismes, champignons microscopiques, bactéries… depuis le premier stade de sa croissance. Elle sera donc accompagnée dans le sol d’organismes microbiens possédant une stratégie oligotrophe (2*).
Le développement de ces plantes à cycle court, le plus souvent, ne peut cependant se faire que dans un écosystème avec des interactions entre les êtres vivants. Ces plantes premières installées sont souvent anémochores. D’autres peuvent avoir passé la mauvaise saison dans le sol, qu’elles soient issues d’adventices implantées les années précédentes, ou vivaces et ayant grainé sur place.
Apparition
Les premières espèces visibles dans les milieux perturbés ont besoin d’un semblant de vie microbienne dans le sol. Il faut également prendre en compte les algues (environ cinq millions par gramme de sol), qui contribuent grandement au cycle du carbone, et les bryophytes (mousses colonisant la surface du sol), souvent les premières arrivées parmi les plantes terrestres.
Celles-ci ont une énorme capacité de rétention de l’eau, et, en s’installant, créent des micro-habitats qui hébergent une grande diversité faunistique (un mètre carré de mousses abrite des milliers d’espèces de vers, acariens, rotifères, collemboles, tardigrades…). Comme notre exemple, le bryum d’argent, beaucoup sont capables de coloniser des milieux très artificialisés, ici de l’asphalte. Les premières plantes apparaissent majoritairement au printemps précoce, mais en conditions favorables (eau, lumière, durée du jour, absence de grands froids) ce peut être une grande partie de l’année.
Une longue liste
Leur apparition est en général printanière mais peut, pour les espèces à plus grand développement, avoir lieu une grande partie de l’année. Dans l’hypothèse d’un terrain nu, remanié, en site urbain ou péri-urbain, dans des substrats difficiles, ce sont les premières, quelquefois les seules avant longtemps, à apparaître. Leur stratégie pour survivre est en grande partie basée sur la célérité qu’elles ont à profiter de conditions parcimonieusement favorables, avant leurs concurrentes. Dans notre article, nous illustrons certaines espèces, parmi les plus fréquentes (cf.encadré) : par exemple bourse à Pasteur, séneçon, laiteron, mouron, ortie sont parfois intéressantes pour leur interaction avec le milieu. Mais cette liste est loin d’être exhaustive.
Dans un jardin, apprendre à composer avec les adventices et les gérer peut constituer une façon de limiter par concurrence la prolifération excessive de certaines indésirables, tout en préservant un certain équilibre. Mais c’est un autre sujet…
Philippe Richard
Ancien directeur du Jardin botanique de Bordeaux
(1*) Étymologiquement, une plante qui s’ajoute à un peuplement végétal auquel elle est initialement étrangère est une plante adventice (lat. adventicium, supplémentaire). On distingue les adventices réellement étrangères (exotiques), spontanées dans des régions éloignées (érigéron du Canada), pouvant disparaître rapidement, et les adventices indigènes, qui s’ajoutent de façon indésirable ou nuisible à une culture, et constituent les « mauvaises herbes » (Encyclopædia Universalis).
(2*) Les oligotrophes sont définis comme ayant des taux de croissance faibles, une plus grande affinité spécifique pour leurs substrats (donc une plus grande capacité à exploiter des ressources difficilement accessibles ou peu labiles) et une grande tolérance aux stress. Ils sont censés devenir dominants dans la communauté microbienne lorsque les ressources sont rares (Noah Fierer, Mark A. Bradford et Robert B. Jackson, Toward an Ecological Classification of Soil Bacteria, Ecology, vol. 88, no 6, 1er juin 2007).
RÉFÉRENCES
Seppey CVW, Singer D, Dumack K, Belbahri L, Mitchell EAD, Lara E. « Distribution patterns of soil microbial eukaryotes suggest widespread algivory by phagotrophic protists as an alternative pathway for nutrient cycling ». Soil Biology & Biochemistry. 2017;112:68-76.
Ducerf, Gérard, 2010. L’Encyclopédie des plantes bio-indicatrices alimentaires et médicinales. Vol.1 Guide de diagnostic des sols, Promonature