Abondance des bioagresseurs chez les Apiacées
La famille des Apiacées, riche de plus 3 700 espèces, est la cible d’un vaste cortège de maladies et ravageurs, aux effets et impacts variables. Pour la seule carotte, on ne compte pas moins de 140 bioagresseurs qui se répartissent en bactéries, champignons, oomycètes (1*), virus et phytoplasmes, nématodes, insectes, acariens, plantes parasites, et même des invertébrés et des vertébrés. Le présent article n’aborde que les problèmes majeurs et transversaux.
Les maladies du feuillage
Les taches noires/marron avec ou sans auréoles jaunes font partie des trois grands types de symptômes rencontrés. Discrètes, dans un premier temps, elles vont rapidement être coalescentes et aboutir à des desséchements, si les conditions sont favorables. Dans cette catégorie, se trouvent les Alternaria spp., les Septoria spp. et les Cercospora spp., mais aussi des bactéries, principalement Xanthomonas hortorum. Ces pathogènes ont la particularité de pouvoir être transmis par les semences. Il existe de grandes différences de sensibilité variétale, pourtant cette information n’est pas toujours facilement accessible. Certains stimulateurs de défense, grâce à différents mécanismes d’action, donnent un niveau de protection acceptable. Il faut éviter les conditions qui favorisent un feuillage humide, et qui sont favorables à la germination des spores de ces champignons. Les taches blanches ou jaunâtres, souvent accompagnées d’un aspect duveteux, sont dues aux oïdiums (principalement Erysiphe heraclei) et aux mildious (Plasmopara spp. que l’on retrouve sur carotte, persil et panais). Dans le cas d’attaques d’oïdiums, ces symptômes sont facilités par les conditions chaudes et sèches. Ils sont plus problématiques dans la production de semences.
Enfin, le troisième type de symptômes se présente sous la forme de décolorations du feuillage allant du jaunissement au rougissement. Ici, le diagnostic est plus délicat car les causes peuvent être d’origine biotique (virus, phytoplasmes ou bactérie du phloème) ou abiotique (carence ou excès d’un élément fertilisant…), ou encore liées à un problème racinaire, attaque de champignons (Pythium, Phytophthora…) ou de ravageurs, comme la mouche de la carotte. La solution sera dépendante du problème rencontré.
Les ravageurs du feuillage
Au sujet du feuillage, on va également trouver trois principaux types de ravageurs. Tout d’abord, ceux qui mangent le feuillage : il s’agit en premier lieu des différentes noctuelles défoliatrices (dont principalement Autographa gamma et Helicoverpa armigera). Si les pontes ou les chenilles de premier stade ne sont pas observées dès le début, l’ensemble du feuillage peut être consommé en quelques jours, voire quelques heures. Au niveau du potager, une observation régulière et un ramassage manuel sont généralement suffisants. En revanche, compte tenu de sa rareté et des très faibles dégâts, la présence de la chenille de Papillo machaon sur feuilles de carotte ou de fenouil ne nécessite aucune intervention.
Le deuxième type de ravageurs réunit l’ensemble des insectes suceurs-piqueurs (pucerons, psylles, cicadelles et punaises). Ils posent des problèmes surtout quand ils surviennent dans les premiers stades de développement. Dans ce cas, les dégâts peuvent aller jusqu’à la mort des plantes. De plus, ils transmettent une série d’organismes (virus, phytoplasmes, bactérie du phloème…) qui provoquent leurs propres dégâts d’autant plus préjudiciables que les infections interviennent précocement dans le cycle de culture. Enfin, notons les diptères qui se nourrissent du parenchyme et provoquent différentes formes de mines sur les feuilles et les pétioles. On peut avoir des espèces relativement spécifiques, comme la mouche mineuse du céleri (Euleia heraclei) : ils attaquent principalement les céleris mais aussi quelques Apiacées cultivées ou sauvages (angélique, ciguë ou berces), ou des espèces très polyphages comme les Liriomyza. Ces mouches mineuses peuvent causer d’importants dégâts sur les jeunes plants. Sur céleri branche, la présence de ces mines peut nuire à la qualité commerciale du produit.
Les maladies des racines
Les légumes racines (carotte, panais, céleri-rave, persil tubéreux, arracacha (2*)…) souffrent tout particulièrement des maladies des racines. Il faut distinguer celles qui surviennent au cours de la culture (principalement les Pythium, le rhizoctone brun) et celles qui interviennent en cours de conservation. Il y a deux types de conservation, dans les parcelles ou en chambre froide, silos et caves.
Dans la période de repos végétatif, où les défenses naturelles des plantes ont tendance à être réduites, toute une gamme de champignons et d’oomycètes peuvent se développer, dont certains même à basse température : au champ, des Phytophthora, le rhizoctone violet, les Sclerotinia spp. ; en chambre froide, du Botrytis, du Mycocentospora acerina et bien d’autres champignons souvent à croissance à lente. Certains peuvent se développer dans les réfrigérateurs des consommateurs, surtout sur les carottes lavées, c’est en particulier le cas de Chalara elegans.
Les Pythium sont le numéro un des problèmes au niveau de la carotte mais s’avèrent aussi très fréquents sur les autres Apiacées cultivées (panais) ou sauvages. Outre leur capacité de faire leurs propres symptômes, ils permettent la colonisation de pathogènes secondaires, ce qui peut rendre difficile le diagnostic. Les cultures d’Apiacées présentent un fort impact sur les équilibres biologiques des sols, ce qui est favorable aux bioagresseurs. Aussi est-il important d’avoir de longues rotations, au minimum six ans : pas toujours simple à faire au potager ! Mais il faut aussi favoriser au maximum la biodiversité des micro-organismes du sol, d’une part par une forte diversité dans les successions culturales et, d’autre part, en apportant régulièrement de la matière organique.
Les ravageurs des racines
Les nématodes, ravageurs de premier plan, s’avèrent extrêmement polyphages comme les différents Meloidogyne, nématodes à galles, et une espèce très spécialisée, le nématode à kyste (Heterodera carotae) que l’on retrouve sur carottes (cultivée et sauvage) mais aussi sur une Apiacée sauvage, Torilis leptophylla. Se protéger contre ces ravageurs est relativement délicat, même si des résistances ont été mises en évidence. Là aussi, il est important de maintenir la diversité des communautés de nématodes dans le sol pour faire baisser les dégâts, comme l’ont prouvé certains travaux. Quelques plantes ont des effets sur les populations de nématodes comme les tagètes (Tagetes putula, T. erecta et T. minuta), principalement sur les Meloidogyne mais pas sur H. carotae. Dans le cas du nématode à kyste, il existe une technique de plante piège, avec une variété résistante issue d’un Daucus sauvage (Terapur de Vilmorin-Mikado). Ce piège provoque la sortie des larves de deuxième stade des kystes (J2) mais ne permet pas leur développement dans la plante. Les autres ravageurs sont moins nombreux. Il y a les polyphages comme les larves de taupins (vers fils de fer), les noctuelles terricoles (Agrotis segetum et A. ipsilon principalement). Et puis il y a la mouche de la carotte, Psila rosae, qui ne se contente pas de la carotte. Les galeries se retrouvent sur panais, céleri-rave ou encore cerfeuil tubéreux. Les attaques peuvent les rendre impropres à la consommation d’autant plus que champignons et bactéries secondaires se développent souvent dans les galeries. En termes de protection, il est possible d’utiliser des filets insect-proof pendant les périodes de vol (deux à trois en France selon les zones) qui peuvent être suivies à l’aide de pièges jaune bouton d’or. On peut brouiller les signaux de reconnaissance en faisant une culture associée, par exemple, oignons, poireaux ou encore œillets d’inde.
Particularité de la production de semences
Quelques bioagresseurs, plus spécifiques des ombelles, provoquent soit leur mortalité, soit une réduction de la viabilité des semences. Le champignon Diaporthe angelicae cause un desséchement prématuré des ombelles. Il ne se développe pas exclusivement sur les Apiacées cultivées ou sauvages : Angelica spp., Anthriscus spp., Daucus spp. et Eryngium spp.
Et puis, il y a le problème touchant de nombreuses plantes : les punaises. Certaines sont spécifiques des Apiacées comme la punaise arlequin (Graphosoma lineatum) et des polyphages, principalement appartenant à deux genres Orthops spp. et Lygus spp. Ces insectes suceurs piqueurs se nourrissent aux dépens des fleurs et des graines, entraînant une réduction du rendement en semences mais aussi une diminution de la faculté germinative.
François Villeneuve
Ingénieur honoraire du CTIFL, membre du Comité de rédaction de Jardins de France
(1*) Oomycète : micro-organisme autrefois parmi les champignons, actuellement classé dans le règne des Straménopiles.
(2*) Arracacha (Arracacia xanthorrhiza) : plante-racine pérenne originaire des hauts plateaux andins, du Venezuela à la Bolivie, cuisinée un peu comme une pomme de terre compte tenu de sa teneur en amidon (10 à 25 % du poids frais). Cinq mille hectares sont cultivés dans les Andes péruviennes.