Jardinage écologique : un accompagnement organisé
Florent Roubinet
Depuis toujours, l’Homme s’est attaché à créer des espaces paysagers organisés selon un parti pris esthétique, affectif et alimentaire. Le jardin potager familial, n’échappe pas à la règle. Aujourd’hui apparaît un nouveau jardinage, plus respectueux de l’environnement. Des associations et des professionnels se mobilisent pour accompagner ces nouveaux jardiniers.
Tout comme Jean Baptiste de la Quintinie tentant de produire des salades et des fraises à contre saison pour satisfaire Louis XIV et sa cour, les jardiniers « familiaux », n’ont de cesse d’imaginer divers subterfuges pour contrôler et accélérer le développement des fruits et légumes. Armés de sécateurs, bêches, motoculteurs et pulvérisateurs, ces jardiniers « interventionnistes » se substituent à Dame Nature dans une fuite en avant passionnelle.
Conscient des nouveaux enjeux écologiques et sanitaires, la SNHF[1], la FNJFC[2] et l’association JARDINOT[3], regroupés au sein du CNJCF[4], ont tenu à signer l’accord cadre Ecophyto pour les jardiniers amateurs du 2 avril 2010. Elles s’engagent ainsi à accompagner leurs 135 000 jardiniers adhérents, dans la réduction significative des produits phytosanitaires de synthèse mais aussi dans leur appropriation des gestes écoresponsables.
Connaître et comprendre pour agir
Les premières réunions de travail ont mis en évidence que l’offre de formations à destination des jardiniers amateurs est trop peu développée. Il nous est apparu essentiel de nous investir dans un projet d’envergure permettant de replacer la connaissance au cœur des préoccupations et ainsi tenter d’atteindre les objectifs ambitieux de ce plan.
Dès 2011, avec le co-financement de l’ONEMA[5], le CNJCF a élaboré, en collaboration avec le CFPPA[6] de Brie-Comte-Robert, une formation baptisée « Formation de jardiniers formateurs référents » à destination de jardiniers amateurs « avertis » souhaitant approfondir leurs connaissances. Ces jardiniers référents s’engagent à leur tour à former les jardiniers amateurs.
Une formation en six modules
Cette formation à distance de 112 heures a été articulée autour de 6 modules :
- Le sol : connaître la structure et la texture d’un sol vivant.
- La plante : connaître le fonctionnement et les besoins des végétaux.
- L’eau : préserver et économiser la ressource.
- La protection des plantes : connaître les différentes catégories de nuisibles et de maladies.
- La biodiversité : connaître et encourager la diversité animale et végétale.
- La gestion et la valorisation des déchets verts : appréhender la valorisation de la matière organique issue des jardins ou de la maison.
De la théorie à la pratique
A la fin de chaque module, les formateurs des CFPPA accueillent les participants en présentiel, sur une journée, autour d’ateliers de travaux pratiques illustrant les acquis théoriques.
A ce jour, 111 jardiniers référents ont été formés en 10 sessions réparties sur tout le territoire. Ces référents, doivent réaliser 12 demi-journées d’animations par an pendant 3 ans. Plus de 530 actions ont déjà été réalisées auprès d’environ 10 000 personnes (jardiniers amateurs, agents d’espaces verts communaux, élèves…).
Nous souhaitons vivement que cet engagement collectif soit reconduit dès 2017. Nos associations ont pris la mesure du nouveau plan Ecophyto 2 qui vise, via la loi « Labbé » du 6 février 2014 et, plus encore, via la loi de transition énergétique du 17 août 2015[7], l’arrêt total de l’utilisation des produits phytosanitaires de synthèse chez les amateurs d’ici le 1er janvier 2019. Un septième module relatif à l’usage des méthodes alternatives et, notamment, des produits de biocontrôle[8] est ainsi venu compléter le programme.
Ne pas tuer les prédateurs
Si, par l’utilisation d’un insecticide, nous réussissons à éliminer les pucerons agglutinés sur nos choux ou nos rosiers, nous supprimons aussi leurs prédateurs naturels comme la coccinelle ou la chrysope. Lorsque que nous intervenons sur un maillon de la chaîne alimentaire, celle-ci s’effondre un peu plus, créant de profondes failles dans les équilibres naturels.
Quand on évoque la biodiversité au jardin, on met souvent en avant diverses espèces symboliques comme la coccinelle ou le hérisson. Mais d’autres animaux bien plus discrets et laborieux nous rendent de fiers services. Cette communauté invisible composée d’insectes, de crustacés, de vers[9], de bactéries et de champignons[10], travaille chaque jour pour restituer à la terre les éléments nutritifs que nos cultures prélèvent. Ces travailleurs de l’ombre ont besoin de nourriture, d’oxygène et d’eau qu’ils trouvent dans les premiers centimètres du sol, horizon que nous bouleversons plusieurs fois dans une saison. Pour minimiser notre impact, il est souhaitable de limiter le travail du sol au simple binage. Mieux encore, un sol protégé en permanence par une couverture végétale vivante (fruits, légumes, engrais verts) ou en voie de décomposition (compost, paillage) ne demandera plus d’action mécanique.
Fini les « rangs d’oignons »
Certains jardiniers remettent chaque année à la même place les mêmes fruits et légumes. Cette mauvaise habitude présente quelques inconvénients : la multiplication des insectes et des maladies propres à chaque culture ; une moins bonne utilisation des éléments nutritifs présents dans le sol.
Une rotation des cultures s’impose en tenant compte :
- Des besoins nutritifs des végétaux cultivés,
- Du type d’organes que les plantes développent : racine, bulbe ou tubercule, feuille, fleur, graines ou fruits.
- De la famille botanique des végétaux.
Par ailleurs, on peut travailler sur l’association des plantes potagères afin :
- De mieux occuper l’espace en associant des espèces à cycle court et à cycle long
- De profiter de l’azote atmosphérique fixé par les nodosités racinaires des plantes de la famille des fabacées (haricot, pois, trèfle…)[11]
- De bénéficier de l’effet protecteur (face aux maladies) ou répulsif (face aux insectes) de certaines espèces.
Se rapprocher de la nature
L’aménagement d’un jardin ne doit plus tenir seulement aux choix subjectifs du jardinier. Il doit aussi mettre en œuvre une véritable conception environnementale. Même si le jardinage restera toujours une appropriation « artificielle » de ce que la nature nous offre, il est tout à fait possible de se rapprocher de ce qu’elle fait de mieux. Comprendre et transposer les multiples interactions qui régissent notre environnement constituent les principaux enjeux du jardinage de demain. Le jardinier découvrira bien vite que la prise en compte de cette composante apportera des réponses à la limitation des nuisibles et des maladies, les économies d’arrosage, l’enrichissement des sols, une meilleure pollinisation, etc…
A lire …
Si vous souhaitez approfondir votre savoir-faire : retrouvez tous les renseignements sur ces formations sur le site www.jardiner-autrement.fr
Les jardineries se préparent à l’application de la loi Labbé
Les produits chimiques les plus vendus aux jardiniers amateurs sont les désherbants, la vente des fongicides et des insecticides dépendant davantage de la saison et des conditions climatiques. Les questions les plus posées par les jardiniers concernent en général un problème rencontré sur les plantes au jardin.
La mise en application de la loi Labbé en janvier 2019* avec l’interdiction d’utiliser des produits chimiques de synthèse, conduit les jardineries à revoir de façon conséquente le dispositif de vente et de conseil des produits de santé des plantes.
Une visite de deux jardineries en mars 2016 nous a permis de visualiser les solutions mises en œuvre.
JARDILAND
Les produits phytosanitaires, hors produits de biocontrôle, sont désormais vendus derrière un comptoir. Une enseigne « Pharmacie des plantes » indique aux clients le lieu. Les produits sont regroupés en deux types : jardinage conventionnel et jardin au naturel. Cette dernière mention « jardin au naturel » est indiquée sous tous les « produits alternatifs », du rayon de la binette aux produits de biocontrôle en passant par l’équipement de protection individuel. Pour obtenir l’un des produits derrière le comptoir, le jardinier doit obligatoirement demander conseil au vendeur.
Les produits de biocontrôle sont regroupés dans un ilot central. Dans un petit réfrigérateur, se trouvent en libre-service les phéromones, macro et micro-organismes ; en-dessous un « petit guide des pièges à phéromones », donne au jardiner des informations, par exemple, sur les pièges contre le ver du poireau, le ver de la cerise, la mineuse du marronnier. Un « guide pratique de la lutte bio pour un jardin vraiment naturel », donne des informations générales sur les nématodes, coccinelles, chrysopes et acariens.
TRUFFAUT
Les produits phytosanitaires hors produits de biocontrôle sont là aussi vendus derrière un comptoir. Ces produits sont rangés par type d’usage : contre les insectes, les maladies, les limaces ou les « mauvaises herbes ».
Un ordinateur est mis à disposition des jardiniers pour les aider à identifier les bioagresseurs des plantes et les produits de lutte existants.
Les produits de biocontrôle sont mis à disposition dans des réfrigérateurs. Des guides sur les pièges à phéromones et la lutte biologique sont en libre consultation sur place.
Des notes « conseils de soins Truffaut » sont remplies avec le conseiller au comptoir afin de donner à l’acheteur toutes les informations nécessaires sur le traitement à appliquer.
Des conseils sur le jardinage du moment sont donnés à l’entrée du magasin sur un tableau.
Voici donc deux organisations attrayantes, confortables pour l’acheteur et efficaces pour atteindre l’objectif. Autres enseignes, autres solutions, à chacun de les mettre en œuvre, à nous de les découvrir.
Anne-Gaëlle Cabelguen, Yvette Dattée, Hannah Surmely
* Voir dans ce même numéro l’article de Gilbert Chauvel Suppression des phytos, des jardiniers à préparer
Merci à Hannah Surmely et Jean-Marc Muller pour leur relecture attentive.
[1] Société Nationale d’Horticulture de France
[2] Fédération Nationale des Jardins Familiaux et Collectifs
[3] Association Nationale de jardins familiaux du personnel de la SNCF
[4] Conseil National des Jardins Collectifs et Familiaux
[5] ONEMA : Office National de l’Eau et des Milieux Aquatiques
[6] Centre de formation professionnelle agricole pour adultes
[7] Voir l’article de Gilbert Chauvel dans ce dossier
[8] Voir l’article de Philippe Reignault dans ce dossier
[9] Voir l’article de Guénola Peres dans le dossier « Sols, un capital à protéger » : Les vers de terre, ingénieurs de l’écosystème
[10] Voir l’article de Jean Garbaye dans le dossier « Sols, un capital à protéger » : La stratégie discrète des symbioses
[11] Voir l’article de Jean Garbaye déjà cité : La stratégie discrète des symbioses