La germination des orchidées : quoi de neuf ?
Mélanie Roy , Marc-André Sélosse
Les orchidées produisent des graines parmi les plus petites du monde, à peine plus longues que 50 micromètres, et dépourvues de réserves (Fig. 1a). Elles sont produites en grand nombre, et chaque gousse peut contenir près de 2000 graines. A maturité, les gousses sèchent et s’ouvrent par trois fentes. Les graines sont ainsi dispersées, le plus souvent par le vent, plus ou moins loin de la plante-mère. Le paradoxe entre le nombre de graines produites et la rareté des orchidées dans la végétation a longtemps étonné, notamment Charles Darwin qui « ne pouvait dire ce qui limitait leur abondante multiplication ».
Une germination sous contrainte
Si la plupart des orchidées sont aujourd’hui reproduites par culture in vitro, c’est notamment que la culture dans le sol à partir des graines est longue et aléatoire. Les premiers essais de culture à partir de graine avaient, dès le début du XXe siècle, montré une absence de germination, qui pouvait cependant être permise par l’ajout de sucres au milieu de culture, ou de glutamine. Par ailleurs, des facteurs tels que le froid ou une période de séchage semblent aussi améliorer cette germination. Néanmoins, le pourcentage de germination ne dépasse que rarement les 50% sur les premiers mois, sans aboutir nécessairement à une plante adulte.
Une germination assistée
Dans la nature, la germination peut être suivie en enfermant les graines dans de petits sachets de filet de nylon (Fig. 2) dont la fine maille laisse passer les microorganismes, mais non les graines, qui peuvent ainsi être retrouvées un mois, un an ou plus après la plantation. Sur une année, le pourcentage de germination est généralement de l’ordre de 1% : les graines ont alors gonflé et pris une teinte brune et forment un protocorme (Fig. 1b). L’observation de ces protocormes révèle non seulement le développement de l’orchidée, mais aussi celui d’une symbiose : la couleur brune provient en effet de la colonisation par des champignons de l’intérieur même des cellules de l’orchidée (Fig. 3a). La découverte de cette germination symbiotique est due à Noël Bernard, au début du XXe siècle. Ces champignons n’attaquent pas la plante, bien au contraire, ils constituent une source de carbone organique et d’autres nutriments pour le protocorme, encore non chlorophyllien et incapable d’exploiter par lui-même le sol. Ils deviendront les partenaires mycorhiziens ultérieurement présents dans les racines de la plante adulte.
A partir de cette observation, des études sur la physiologie de cette association orchidée-champignon ont démontré qu’un transfert de carbone avait lieu du champignon vers l’orchidée, au moins à ce stade de protocorme. Les orchidées sont donc hétérotrophes et dépendantes des champignons, et à ce titre « mycohétérotrophes », pour leur germination. Certaines espèces restent d’ailleurs totalement dépendante du champignon, et sont privées de chlorophylle à l’âge adulte. Chez les espèces vertes, y compris les épiphytes tropicales, le champignon reste présent dans les racines où il assure un approvisionnement minéral en échange de sucres issus de l’orchidée.
Une germination doublement assistée
La dépendance des orchidées vis à vis des champignons est un caractère bien décrit chez les orchidées, mais plus récemment, le rôle de bactéries a aussi été mis en évidence. En effet, certaines semblent produire de l’auxine, voire des cytokinines, et ainsi favoriser la germination des orchidées, en présence de champignons mycorhiziens. L’importance de ces hormones avait été découverte par des travaux in vitro, et n’est pas propre aux orchidées. D’ailleurs ces bactéries ne semblent pas spécifiques des orchidées, mais plutôt présentes dans le sol, comme des Rhizobium, ou les tissus végétaux, comme les méthylobactéries roses.
Une germination personnalisée
Les champignons qui permettent la germination des orchidées sont, au contraire des bactéries, plutôt spécifiques. Il s’agit de champignons dont la phase sexuée n’est pas toujours connue, rassemblés dans le groupe composite des rhizoctonia (Fig. 3b), parmi lesquels on trouve surtout des Tulasnella, des Sebacina, des Ceratobasidium. Les orchidées sont par ailleurs associées tout au long de leur vie à des champignons mycorhiziens, et les associations à l’âge adulte sont parfois encore plus spécifiques. Ainsi, des germinations in vitro peuvent avoir lieu avec un champignon alors que cette association n’est pas viable sur le long terme, ni observée dans la nature. La germination est donc sélective, mais d’autres goulots l‘étranglement surviennent au cours des étapes suivant la germination, par exemple au stade protocorme chez certaines Céphalanthères.
Une germination de longue durée
Les orchidées les plus rapides peuvent produire leurs premières feuilles après… seulement six mois de germination. Les plus longues peuvent attendre plusieurs années sous terre, produire un protocorme, un tubercule ou un rhizome, des racines, et enfin des feuilles. Lors de cette période de développement à l’ombre, les orchidées sont encore dépendantes des champignons pour leur nutrition minérale et carbonée. Cette période est souvent moins étudiée que les premiers stades, et l’association aux champignons peut être renouvelée au cours de cette période. Encore une fois, la mortalité des protocormes est forte, ce qui contribue davantage à la rareté des orchidées adulte malgré la production d’un grand nombre de graines.
Une germination contrôlée ?
Les protocoles utilisés pour suivre la germination des orchidées sont aujourd’hui aussi utilisés pour étudier les facteurs écologiques de la germination des orchidées dans la nature - par exemple, en enfermant les graines dans de petits sachets (Fig. 3) à différentes distances du pied mère. Cependant cet usage reste limité à la recherche sur quelques espèces d’orchidées ; elle illustre pour certaines espèces au moins que c’est bien la disponibilité du champignon dans le sol qui est limitante ; parfois en revanche, les champignons ad hoc sont présents dans des milieu où la plante adulte ne pousse jamais, suggérant que les étapes ultérieures de développement puissent être limitantes. In vitro, la germination avec la souche de champignon spécifique est possible, et même maîtrisée dans le cas d’orchidée à usage médicinal en Chine. La réintroduction dans la nature est possible, mais rarement suivie sur le long terme. Le plus souvent, suivant des méthodes décrites par N. Bernard, puis stabilisées par H. Burgeff, on sait remplacer la présence du champignon par des milieux nutritifs sucrés (Fig. 4) : bien que la plupart des orchidées commerciales se plient à ce jeu, de nombreuses espèces résistent encore à cette germination « asymbiotique ».
Une germination encore mystérieuse
Si les orchidées sont autant dépendantes des champignons pour leur germination, leur probabilité de germination est donc dépendante de leur dispersion, et de la présence des champignons dans le milieu. La proximité d’une plante mère peut favoriser la rencontre avec les champignons, mais comment expliquer la germination sur les talus d’autoroute, ou dans de nouveaux milieux ? Les facteurs de la présence du champignon, les mécanismes d’attraction possibles entre partenaires, et le dialogue qui pourrait exister entre orchidées et champignons restent encore mystérieux.
Par ailleurs, si les orchidées sont dépourvues de réserve et de chlorophylle à la germination, et donc hétérotrophes, les champignons le sont aussi : ils doivent donc bénéficier d’une autre source de carbone, qu’ils partagent ensuite avec les orchidées. Or, à quelques exceptions près, la nutrition de ces champignons reste encore peu connue. Il en va de même des mécanismes des échanges avec l’orchidée. Les filaments du champignon qui colonisent les cellules d’orchidées subissent après quelques temps une destruction (Fig. 3a) dont on a pu penser que c’était l’étape de transfert vers la plante. Des travaux récents suggèrent qu’effectivement cette étape est l’occasion d’un transfert, mais que celui-ci a aussi lieu dès avant la destruction des filaments.
Ainsi, les coûts et bénéfices de cette association restent difficiles à évaluer pour les champignons, et le statut même de symbiose prend ici son sens le plus large.
Toujours plus loin ?
L’étude de la dispersion des orchidées montre que la majorité des graines tombe au pied de la plante-mère, ce qui permet aussi à un plus grand nombre de graines de germer. Cette observation est assez générale chez les orchidées : leurs peuplements sont assez denses localement, dispersés et rares à plus grande échelle. Pour les amateurs de jardinage et de prairies naturelles, on peut retenir que les orchidées germent mieux auprès de leurs parents ou, au moins, d’individus de la même espèce, et que pour cela, elles ont besoin des racines ou mieux, du mycélium qui les environne, et… de beaucoup de temps.
Mélanie Roy, chercheur à l’Université Paul sabatier Toulouse-UMR5174
Au pays des racines, les orchidées forment des alliances un peu à part. Les orchidées épiphytes et beaucoup d'orchidées terrestres forment des symbioses dès la germination avec des champignons saprophytes communément appelés rhizoctonia, qui rassemblent des champignons de genres différents. Les orchidées forestières forment parfois des symbioses avec des champignons connus par ailleurs pour s'associer à des arbres. Par exemple, la néottie nid d'oiseau (Neottia nidus-avis) est associée à des champignons de la famille des Sébacinacées, qui vivent par ailleurs en symbiose (ectomycorhizienne) avec des chênes environnants. Neottia nidus-avis et d’autres orchidées non-photosynthétiques1 (comme l'épipogon sans feuille Epipogium aphyllum) s’associent avec des champignons tantôt ectomycorhiziens (comme des Inocybes), tantôt saprophytes (comme des Mycènes, associés à une orchidée mycohétérotrophe de Guadeloupe, Wullschlaegelia aphylla) ou même parasites (comme des Armillaires, associées à des orchidées asiatiques du genre Galeola). L’étude de la sous-tribu des Néottiées, bien représentée en France, peut permettre de mieux comprendre les facteurs évolutifs qui ont conduit à une telle diversité de symbioses chez les orchidées et les déterminants écologiques de leur répartition. Par exemple, certaines espèces de Néottiées, ont la capacité de faire la photosynthèse et de recevoir du carbone organique de la part des champignons, elles sont dites mixotrophes, comme la Céphalanthère de Damas, Cephalanthera damasonium. Chez ces espèces, des mutants albinos complètement dépendant des champignons apparaissent ponctuellement. Elles utilisent essentiellement du carbone d'origine fongique notamment en début de saison, lorsqu'elle sortent de terre, ou alors lorsqu'elles poussent dans des forêts particulièrement sombres. Ces observations, corrélées aux données de répartition des espèces mycohétérotrophes, suggèrent que la mycohétérotrophie est une stratégie écologique sélectionnée en contexte forestier, relativement humide. On considère que la sélection d'associations mycorhiziennes capables de fournir du carbone à l'orchidée serait antérieure au fonctionnement photosynthétique, puisque ces associations sont observées chez toutes les Néottiées mixotrophes et mycohétérotrophes.
Enfin, une des caractéristiques de ces symbioses est aussi leur importance pour la culture des orchidées : la plupart sont ainsi dépendantes au cours de leur germination de leurs champignons symbiotiques. Les implications pour les programmes de conservation semblent évidentes, et sont pourtant peu prises en compte. La culture in vitro d’orchidées avec leurs champignons a été reproduite plusieurs fois, que ce soit pour certaines Céphalanthères ou des Epipogon. Le plus limitant reste la connaissance des champignons. Ainsi, la culture de Cephalanthera falcata, une orchidée complètement mycohétérotrophe à l’âge adulte, a été possible, non seulement avec ses champignons (des Théléphoracées ), mais aussi des plantules de chênes). Les méthodes de culture des Gastrodia pour la pharmacopée chinoise reposent sur la culture de leurs champignons, et semble maîtrisée en Chine depuis les années 60, bien avant l’identification des champignons par des méthodes moléculaires. Etonnamment, c’est lors de la mise au point de ces techniques que d’autres champignons nécessaires à la croissance de Gastrodia ont été révélés, soulignant qu’un seul champignon n’est parfois pas suffisant.
En contexte naturel, des individus de la même espèce peuvent servir d’inoculum de champignons pour des graines et ainsi permettre la reproduction de la symbiose. De telles expériences restent anecdotiques et plutôt menées par des scientifiques que des gestionnaires. Lors de la culture des orchidées terrestres, la transplantation reste une opération délicate, ce qui souligne bien leur dépendance vis à vis des champignons environnants. Compte tenu de la diversité de leurs associations mycorhiziennes, la meilleure façon de préserver à la fois les orchidées et leurs champignons consiste donc à limiter la perturbation de leurs racines.
Pour en savoir plus...
1 Ces orchidées non-photosynthétiques dépendent des champignons pour leur nutrition, elles sont dites mycohétérotrophes.
Pour aller plus loin...
… en français :
Roy M, Selosse MA. 2010. De la graine à l’adulte, de l’individu à l’espèce : des orchidées plus hétérotrophes qu’il n’y paraît ? Cahier de la Société Française d’Orchidophilie 7: 186-195.
Selosse MA. 2000. La symbiose : structures et fonctions, rôle écologique et évolutif. Vuibert, Paris. 154 p.
Selosse MA, Guillaumin JJ. 2005. De la germination à l’âge adulte : les champignons symbiotiques des orchidées, in M. Bournérias & D. Prat, ed., Orchidées de France, Belgique et Luxembourg, p. 34-44. Parthénope, Mèze.
Selosse MA. 2012. Existe-t-il des plantes sans symbiose ?, in Actes du colloque « Alliances au pays des racines », p. 6-13. Société Nationale d’Horticulture de France, Paris.
… en anglais :
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mars-avril 2013
Article très intéressant et très détaillé sans être trop « scientifique ». Moi qui pensé récupérer les graines de mes orchidées pour ensuite tenter une germination…. Oups loupé!
Dommage, je suis résident au Cambodge et j’ai quelques beaux spécimens sur ma terrasse, des spécimens commerciaux mais d’autre un peu plus atypiques.
Merci pour votre travail.