Chloroses et défaut de nutrition
Sylvain Charpentier
Si la carence en éléments nutritifs aboutit le plus souvent à un dérèglement métabolique se manifestant par une chlorose, inversement, l’excès d’éléments indispensables (par exemple Cu, Mn) ou non (par exemple Ni, Cr) peut aussi provoquer des décolorations. Le diagnostic visuel de l’élément à l’origine de la décoloration est un exercice compliqué qui requiert, de bonnes connaissances du rôle des éléments dans le métabolisme des végétaux d’une part et de la dynamique de leur biodisponibilité dans le sol d’autre part, de l’expérience sur l’espèce végétale considérée, et un bon sens déductif.
En effet, les chloroses d’origine nutritive sont fonction de l’espèce végétale. Deux espèces n’auront pas les mêmes symptômes face au même dérèglement nutritif. Elles ne sont pas toujours spécifiques de l’élément en cause, deux éléments différents pouvant exprimer leur carence par des décolorations identiques sur une même espèce. Elles sont quelquefois difficiles à percevoir sur certains végétaux ornementaux au feuillage fantaisie (panachures, zébrures etc.…).
Les principales expressions de chlorose
Les manifestations chlorotiques chez les végétaux s’accompagnent souvent d’autres phénomènes comme des retards de croissance, des morphogenèses ou des fructifications perturbées. Tous ces paramètres participent à l’élaboration du diagnostic mais nous n’aborderons que l’effet des six macroéléments de la nutrition racinaire (N, P, S, K, Ca, Mg) et des six microéléments (Fe, Cu, Mo, Mn, Zn, B) communs aux végétaux supérieurs.
Le diagnostic visuel de la chlorose nécessite de déterminer avec précision :
– le positionnement dans la plante, des feuilles les plus affectées, plutôt en haut sur les feuilles les plus jeunes ou en bas sur les feuilles les plus anciennes,
– l’allure (uniforme, tache, bande) et l’emplacement (bordures, situation inter-nervaire) des décolorations sur la feuille.
Indications pour de nombreux végétaux
Positionnement sur la plante :
– en haut de la plante (jeunes feuilles) : déficit en Fe, Ca, B
– en position intermédiaire : déficit en N, K, Mn,
– dans les parties basses (feuilles anciennes) déficit en N, P, K, Mg, Cu, Mo, Mn.
Cette répartition s’explique par la mobilité des éléments dans la plante, Fe (essentiellement véhiculé au sein du xylème) et Ca (immobilisé dans les parois cellulaires) seront peu remobilisables pour un transport des parties anciennes, qui ont pu profiter du stock initial, vers les parties les plus jeunes, en cours de croissance. Inversement, N, P, K ou encore Mg seront facilement transférés des parties anciennes qui vont alors exprimer une chlorose, vers les zones en croissance (jeunes feuilles).
Positionnement sur la feuille
– plus ou moins régulièrement sur le tour : déficit en P,
– irrégulier et s’aggravant de l’intérieur vers l’extérieur : déficit en K, Ca,
– entre les nervures : déficit en Ca, Mg, Fe, Cu, Mn, Mo
– éclaircissements irréguliers : déficit en Mo,
– toute la feuille : déficit en N, Fe, Cu.
Facteurs de chlorose dus au sol
Pour les macroéléments non métalliques dont le stock total (immédiatement disponible ou disponible après minéralisation) dans le sol est uniquement (N) ou surtout (P, S) organique, une faible teneur du sol en matière organique sera un facteur de carence difficile à contourner sans apports externes. Les sols à Capacité d’Échange Cationique (CEC) réduite (sol sableux à faible teneur en MO) ou mal équilibrée génèreront des déficits en macro éléments métallique (Ca, Mg, K, Cu, Zn).
S’il n’intervient pas directement sur la nutrition, le pH de la solution du sol a un fort impact sur la solubilité et donc la biodisponibilité de nombreux éléments de la nutrition. On citera en premier Fe dont la solubilité est divisée par 1000 quand le pH augmente d’une unité, Mais d’autres éléments, P, Mn, Zn, Cu, B seront à suspecter dès que le pH s’élève au-dessus de 7. Pour les sols à pH faible, seul le Mo qui voit sa solubilité décroitre avec le pH peut être soupçonné, mais d’autres risques comme la sensibilité aux toxicités aluminique ou ammoniacale seront susceptibles de générer des chloroses chez les plantes de milieux neutre à alcalin.
La chlorose d’origine ferrique
La situation la plus fréquente et aussi la plus connue est la chlorose d’origine ferrique assez simple à diagnostiquer lorsque les plus jeunes feuilles de la plante sont uniformément décolorées. Si la biodisponibilité de Fe pour la plante est extrêmement variable et très dépendantes des teneurs initiales et du pH, la sensibilité des plantes à la carence ferrique a aussi une grande variabilité et sera fonction du métabolisme interne mais aussi de la capacité à faire chuter le pH de plus d’une unité au voisinage des racines par le dégagement du CO2 de leur respiration.
L’horticulture et les jardiniers ont depuis longtemps trouvé le moyen de contourner cette contrainte en utilisant des portes greffes très efficaces pour l’absorption du fer en milieu calcaire. D’autres carences de Fe peuvent être induites par un taux très élevé d’un autre élément, on citera les excès de Cu avec une expression analogue à la carence ferrique, situation fréquente sur les sols ayant reçu des apports répétés de bouillie bordelaise (ancienne vigne).
Le déficit en Magnésium
Une autre occurrence assez courante sur les arbres fruitiers ou ornementaux consiste à observer en fin de printemps une décoloration inter-nervaire bien répartie sur les feuilles les plus anciennes qui se termine le plus souvent par la chute précoce de ces feuilles sans raison apparente de sécheresse. Elle est avant tout due à un déficit en Magnésium (mauvais équilibre édaphique) qui entraîne une redistribution de Mg des premières feuilles apparues au printemps vers les nouveaux rameaux en croissance.
Le cas des cultures en pots
Les situations de chlorose en culture en pots sont plus rares dans la mesure où les producteurs de substrat organique maîtrisent parfaitement leur préparation avec un pH toujours autour de 6 et une fertilisation de fond adaptée. Le vieillissement du système par épuisement de certains éléments sur la CEC, l’utilisation répétée d’eau d’irrigation à l’alcalinité élevée, ou encore l’application de fertilisants non adaptés peut cependant entraîner une dérive du pH vers des valeurs trop élevées.
Les traitements de fond passent par un choix approprié des végétaux en fonction du pH du sol et une approche classique de la fertilité des sols. Pour un traitement curatif du végétal déjà planté, il existe des formulations commerciales à base de pulvérisation foliaires de sels solubles ou d’oxyde. Les carences ferriques pourront aussi être traitées au sol par un apport d’EDDHA-Fe (nom commercial Sequestrene®).
Bien connaître le végétal
Si les manifestations de chlorose sont faciles à observer, le diagnostic précis de l’élément mis en cause n’est pas toujours immédiat et nécessite une bonne connaissance du végétal concerné et de son environnement racinaire, conditions indispensables à la recherche d’une solution curative.