Une ethnologie des jardins fleuris
Martine Bergues
Le fleurissement fait l’objet de nombreuses études, publications ou thèses. C’est le cas pour Martine Bergues qui nous résume la thèse qu’elle a soutenue sur les jardins fleuris, avec sa vision d’ethnologue.
Les jardins fleuris conservent une place de choix dans les communes - © N. Blaya
Le contact, travail et loisir à la fois, est au principe du jardin. Mais la littérature spécialisée inclut à sa définition d’autres dimensions. Ainsi, Françoise Dubost décrit-elle les jardins comme des lieux où, “ s’opposent et coexistent mesure et démesure, ordre et désordre, nature et artifice, sauvage et domestique ”. Le prisme du fleurissement permet de quitter l’espace clos du jardin, souvent défini par sa petite échelle et son caractère privatif pour s’attarder sur les cortèges de fleurs qui ornent les espaces publics. A regarder de plus près, on note, en ces dernières décennies, une sensible évolution de ces plantations. On voit apparaître des fleurs des bois dans les ronds-points urbains, digitales au cœur violet, fougères et graminées, et des légumes ornementaux dans les parterres publics, oseilles, choux, rhubarbes et calissons. Ailleurs, en d’autres places, les géraniums rouges et autres impatiens, bégonias, roses d’Inde aux couleurs vives poursuivent un parcours d’agrément entamé de longue date. Ainsi, le fleurissement public témoigne du même mouvement que celui qui s’observe à l’échelle privée, dans l’aménagement des entours de la maison. Ce que j’’appelle le “ jardin au naturel ” ou modèle paysager succède et pour l’instant coexiste avec le “ jardin fleuri ” qui demeure dominant.
Le modèle paysan
Cependant, le “ jardin fleuri ” apparaît succéder lui-même à un autre modèle que j’ai nommé paysan. Là, les fleurs disent ce que l’on est, comme le disent aussi ces tabliers de nylon que portent les femmes à longueur d’année, ou ces chaussures de plastique qui conduisent au potager ou à “ donner aux poules ”. Là, les fleurs sont parfois brinquebalantes, parfois plus soignées, mais toujours résistantes et associées à d’autres de manière inédite, dans des pots qui ont déjà connu une autre vie. Elles disent l’importance de la vie agricole qui se trame, dehors plus que dedans ; une vie ouverte sur le voisinage, sur les bois et les fossés, plus que sur un territoire plus vaste. A l’extérieur du jardin, à l’échelle du village, les empreintes du bricolage et du travail agricole sont visibles, ici et là quelques plantes poussées au gré du vent ou d’une initiative individuelle, passage aisé entre privé et public, entre soi et les autres, entre sauvage et domestique. Ce modèle paysan dominait sans doute dans les campagnes du début du XXe lorsqu’apparaissent les premiers concours de fleurissement. Depuis, les “ concours du village coquet ” jusqu’à aujourd’hui, une volonté d’intervention s’affirme sur des pratiques jugées peu compatibles avec les normes du “ bon à regarder ”. Ces interventions privilégient une mise en ordre emblématique du modernisme, une rationalisation de l’espace, une esthétisation que la palette végétale relativement restreinte du jardin fleuri aura charge d’exprimer.