Abeille domestique : un dépérissement aux multiples causes
Yves Le Conte , Michel Pitrat
Les pesticides, en particulier les insecticides.
L’industrie chimique a mis à la disposition des agriculteurs des produits qui sont utilisés pour lutter contre les insectes ennemis des cultures : depuis la nicotine utilisée dans la première moitié du XXème siècle, jusqu’aux néonicotinoïdes (Gaucho®, Cruiser®) et phénylpyrazolés (Régent®) plus récents en passant par les organochlorés (DDT), les organophosphorés (parathion), les carbamates (carbaryl), les pyréthrinoïdes de synthèse (deltaméthrine). D’après un décret de 1976 « sont présumés dangereux pour les abeilles tous les insecticides, à l’exception de ceux qui portent sur leur emballage la mention “non dangereux pour les abeilles” ». Les insecticides peuvent se trouver non seulement sur les cultures traitées mais aussi dans le sol, dans l’air et dans les eaux. Ainsi, différents insecticides peuvent être présents dans le pollen, la cire, le miel ou les abeilles vivantes.
Maladies, parasites et prédateurs
Un acarien présent en France depuis une trentaine d’années, Varroa destructor, cause des pertes importantes et nécessite des méthodes de lutte. Il ne peut pas être tenu comme seul responsable de l’effondrement des colonies. Des champignons unicellulaires (Nosema), des bactéries (loque européenne, loque américaine) et de nombreux virus pouvant affaiblir les abeilles ont été identifiés en France et dans le monde. D’autres insectes peuvent s’attaquer aux abeilles. Le frelon asiatique (Vespa velutina), présent depuis quelques années en France, est un prédateur direct des ouvrières. Le petit coléoptère des ruches (Aethina tumida), pas encore présent en France, se nourrit de miel, de pollen et de couvain à l’intérieur de la ruche.
Une alimentation réduite
Les modifications des paysages agricoles et forestiers au cours des cinquante dernières années ont pu avoir des répercussions sur la santé des abeilles. La très forte diminution des haies et l’augmentation de taille des parcelles cultivées de manière homogène ont réduit la diversité de leur alimentation. Il a été montré que des abeilles nourries avec du pollen de plusieurs espèces végétales se défendaient mieux contre les maladies que lorsqu’elles étaient nourries avec du pollen d’une seule espèce comme le tournesol ou le colza. Par ailleurs, il n’y a pas de sélection des variétés pour la qualité et la quantité du nectar.
Des races menacées
Il existe en Europe plusieurs races ou sous-espèces d’abeilles qui sont adaptées aux conditions locales (longueur et rigueur de l’hiver, précocité ou tardiveté des floraisons et des miellées), ce qui se traduit par des aptitudes particulières d’accumulation de provisions, d’essaimage, d’agressivité… L’abeille jaune italienne (sous-espèce ligustica) ou ses hybrides est aujourd’hui la plus répandue mais n’est pas forcément la mieux adaptée. Les abeilles noires locales sont menacées de disparition.
Le changement climatique
Le changement climatique peut avoir des incidences sur la survie des abeilles. Soit directement sur le cycle biologique de l’abeille : hivers plus ou moins doux, printemps plus ou moins précoces. Soit indirectement à plus long terme par des modifications de la flore qui peut être plus ou moins mellifère.
Interactions néfastes
Aucun de ces facteurs pris individuellement ne peut expliquer les effondrements de colonies observés depuis une dizaine d’années. Il est plus probable que sont impliquées des interactions entre différents pesticides, entre différents agents pathogènes, entre pesticides et agents pathogènes, entre paysages agricoles et pratiques apicoles… De telles synergies[1] ont été démontrées par exemples entre pesticides. Ces facteurs, pris isolément ou en combinaison, peuvent affecter également les populations de pollinisateurs autres que les abeilles domestiques.
Revoir les pratiques
Les procédures pour l’homologation des pesticides devront être revues pour tenir compte des effets de synergie entre pesticides et des effets de très faibles doses qui ne tuent pas les abeilles en 24 ou 48 h mais perturbent par exemple leur sens de l’orientation. Les pratiques agricoles et horticoles d’utilisation des pesticides doivent mieux intégrer les notions de lutte raisonnée et de seuil de nuisibilité pour aller vers la lutte intégrée, l’agriculture biologique ou l’agriculture écologiquement intensive. De nouvelles méthodes de lutte et de piégeage contre Varroa ou contre le frelon asiatique doivent être recherchées. L’utilisation de plantes mellifères ou productrices de pollen dans les haies, dans les jachères, dans des intercultures ou bien dans les bandes enherbées le long des cours d’eau doit être privilégiée. Enfin l’utilisation de la variabilité génétique de l’abeille et la sélection de souches se défendant mieux contre certains agents pathogènes est aussi une voie à étudier.
Un observatoire sur les abeilles
L’OFA (Observatoire français d’apidologie), initiative privée, est une association d’intérêt général ayant pour objet de répondre à l’impact de la disparition des abeilles en considérant l’importance écologique et économique de ce pollinisateur indispensable à la vie végétale, à la chaîne alimentaire et au maintien de la production agricole. Installée dans le Var, au sein du Massif de la Sainte Baume, l’OFA agit en faveur du repeuplement des abeilles en formant des jeunes producteurs de reines et d’essaims sélectionnés et en réalisant des opérations de R&D. Ainsi, l’OFA, en association avec le CFPPA d’Hyères, a créé la première école de formation longue spécialisée en apidologie et s’appuie sur une équipe d’une dizaine d’experts apicoles français et étrangers. Cette organisation unique a mis en place le plus important cheptel apicole expérimental européen avec 800 ruches, objet d’un suivi scientifique et placées dans une zone à forte biodiversité végétale. L’OFA y dispose d’un laboratoire de sélection génétique et de testage des performances, inauguré en juin 2015 par le ministre Le Foll et le prince Albert de Monaco. Soucieux de la pureté génétique de l’Apis mellifera et de son écotype local, l’Observatoire gère le Conservatoire de l’Abeille noire de Provence situé sur l’île de Porquerolles. L’OFA agit également au niveau de l’UE, le manque de pollinisateurs ayant aussi un impact négatif sur la rentabilité du secteur agricole et, donc, sur le budget de la PAC. Au Parlement européen, il a initié en 2015 le projet pilote européen « Restructuration de la filière apicole et programme d’élevage et de sélection pour la recherche sur la résistance au varroa », programme actuellement à l’étude auprès de la Commission européenne. L’OFA a aujourd’hui pour partenaires 15 fondations dont, en particulier, celles du Prince Albert de Monaco et du Crédit Agricole PACA, et des entreprises privées telles que Truffaut. L’Association est ouverte aux partenariats avec des mécènes français et étrangers, présents ou non dans les filières végétales, mais partageant ses objectifs d’intérêt général de création d’emplois et de sécurité alimentaire. Jean-Pierre d’Estienne d’Orves Membre du Comité de direction de l’OFA www.ofapidologie.org
A lire …
Albouy et Y. Le Conte (2014) Nos abeilles en péril. Editions Quae