Suppression des phytos : des jardiniers à préparer
Gilbert Chauvel
La France est un pays de jardiniers : ils sont une quinzaine de millions qui consacrent une partie de leur temps libre à l’entretien de leurs espaces privatifs. Des enquêtes ont montré une grande variété de jardiniers pour lesquels l’occupation au jardin constitue un simple passetemps ou une passion absorbante.
La mise en culture d’un jardin et ses activités d’entretien mobilisent des savoirs faire culturaux et conduisent à utiliser divers intrants dont les produits phytosanitaires. Considérés pendant de longues années comme des produits banalisés, les produits phytosanitaires suscitent aujourd’hui de nombreux débats et controverses. La connaissance de leur dangerosité et des risques potentiels liés aux expositions (application, contamination des milieux, résidus présents dans les végétaux), ne manquent pas d’interroger la société toute entière sur les modalités d’action à mettre en œuvre pour obtenir des niveaux de sécurisation importants.
Un débat d’actualité
Le débat de leur utilisation est particulièrement d’actualité au sein des zones non agricoles (ZNA[1]) professionnelles couvrant les jardins publics, espaces verts et infrastructures (JEVI) et pour les millions de jardins amateurs. Les mobiles d’utilisation en ZNA sont souvent liés au maintien d’une qualité esthétique du cadre de vie, à l’entretien du patrimoine végétal, à la gestion de diverses nuisances, ou encore à la sécurisation des personnes et des biens, voire à la sauvegarde d’une production vivrière dans les jardins.
Leur utilisation peut à la fois découler d’options politiques de la part des collectivités ou, pour les jardiniers amateurs, de leur facilité d’utilisation couplée à la perception de résultats tangibles à court terme. Mais, contrairement aux productions agricoles qui sont implacablement soumises aux calculs de marges économiques et aux exigences liées à la satisfaction du respect des normes de commercialisation, il n’y a rien à vendre en ZNA et l’emploi des « phytos » est communément perçu comme moins indispensable qu’en agriculture…à l’exception notable des raisons de sécurité, ou du respect des normes internationales de jouabilité, pour les golfs et autres sports de compétition.
Une spécificité déjà reconnue dès 2006
Les jardiniers amateurs n’étant pas censés connaître les situations à risque et les bonnes pratiques à mettre en œuvre pour une utilisation sans risque des produits phytosanitaires, le législateur a établi, par un arrêté du 06 octobre 2006, des conditions restrictives d’autorisation et d’utilisation des produits destinés aux non professionnels. La mention « emploi autorisé dans les jardins » est réservée aux produits destinés aux jardiniers non professionnels, en interaction potentielle sur des personnes particulièrement vulnérables tels que les jeunes enfants et les animaux domestiques et qui, de ce fait, doivent présenter une moindre dangerosité. Ainsi, les produits toxiques et très toxiques, nocifs pour la reproduction ou le développement ne pouvaient plus être utilisés par les jardiniers. Ces conditions étaient doublées par des exigences en matière de formulation, d’emballage, de mode d’application et d’expression de l’information sur les étiquettes qui visaient à réduire le risque d’exposition des applicateurs ou de l’environnement. Ainsi, les produits anti-rongeurs et taupicides devaient éviter des formulations liquides pour préparation d’appâts et devaient aussi contenir des agents d’amertume pour éviter leur consommation par les animaux domestiques. Les emballages devaient être refermables de façon étanche et leur conditionnement limité soit à un volume de 5 litres ou masse de 5 kilos, soit à une quantité inférieure limitée à traiter une surface maximale de 5000m².La communication sur l’étiquette ne pouvait en aucun cas, porter des mentions de nature à : « donner une image exagérément sécurisante ou de nature à banaliser l’utilisation du produit »
Produits interdits aux amateurs
La Directive européenne 2009/128 CE promeut largement la protection intégrée et développe tout un ensemble d’actions à mettre en œuvre pour y parvenir afin de limiter l’utilisation des pesticides. Etendues aux ZNA, les mesures du plan français Ecophyto II, de la loi Labbé du 06 février 2014 et de l’article 68 de la loi de transition énergétique visant à mettre en œuvre les objectifs de la directive européenne vont beaucoup plus loin. Elles prévoient la « sortie » de l’utilisation de ces produits pour les jardiniers amateurs dès le 1er janvier 2019 et pour les collectivités dès le 1er janvier 2017. Quelques exceptions pourront toutefois donner lieu à l’utilisation de produits phytosanitaires, telles les portions de voiries difficiles d’accès ou dangereuses pour la sécurité des personnels ou pour combattre des dangers phytosanitaires graves ne pouvant être maîtrisés par d’autres moyens. Les produits de bio-contrôle[2] officiellement listés pourront toujours être utilisés.
Des méthodes plus douces
La mise en œuvre des techniques de protection intégrée dont le bio-contrôle, est beaucoup plus complexe et difficile que la simple utilisation des moyens de lutte chimique. Les résultats attendus peuvent en plus être de moindre niveau d’efficacité et plus aléatoires dans des délais immédiats et courts, mais une transition vers une utilisation de méthodes plus douces ne manquera pas de donner satisfaction si tous les acteurs savent mobiliser leurs énergies pour former, informer et surveiller pour mieux protéger. Les jardins amateurs ne sont pas engagés dans l’économie de concurrence et, de ce fait, il est quasi-évident que la combinaison des méthodes de protection intégrée disponibles devrait être suffisante pour limiter les dégâts causés par les organismes nuisibles à des niveaux acceptables et compatibles avec les diverses fonctions du jardin et les attentes des jardiniers.
Former et informer
La formation à l’utilisation aux méthodes alternatives pour les jardiniers passe par la formation nationale de jardiniers référents des diverses grandes associations de jardiniers[3]. Ceux- ci seront ainsi capables de démultiplier des formations destinées à des formateurs locaux ou directement à des publics de jardiniers amateurs. La nécessité d’être bien formés s’adresse aussi et prioritairement aux responsables de rayons et vendeurs des grandes enseignes de jardineries, libre services agricoles et magasins de bricolage qui commercialisent les intrants du jardin. En tant que conseillers des clients, ils sont un rouage important du dispositif de transmission des connaissances. La société nationale d’horticulture de France (SNHF), qui regroupe en son sein de nombreuses associations de jardiniers amateurs et qui a pour vocation d’accompagner les actions de transmission des savoirs horticoles, a déjà mis en place, avec le soutien de l’ONEMA, une plate-forme nationale d’informations et d’échanges pour la réduction des pesticides dans les jardins www.jardiner-autrement.fr.
La connaissance du parasitisme présent en jardins amateurs est également indispensable pour appréhender l’identité, la répartition, la fréquence et l’importance des organismes nuisibles du jardin pour une meilleure mise en place des stratégies de protection intégrée. Outre l’élaboration d’un « guide d’épidémiosurveillance », la SNHF va renforcer ses actions en compagnie de ses partenaires[4] pour aboutir à une couverture de l’ensemble du territoire national. Rappelons que la protection intégrée, après les réglementations d’interdiction visera à limiter les dégâts en deçà d’un seuil de nuisibilité et / ou de nuisances acceptable en utilisant de façon conjointe toutes les méthodes alternatives disponibles.
Un jardin bio-diversifié
Au jardin, il faut tout d’abord défavoriser l’installation des bioagresseurs en achetant des semences et plants reconnus sains au départ par des schémas de certification et en privilégiant certaines pratiques culturales. Plus le jardin sera bio-diversifié, plus l’équilibre entre les utiles et les nuisibles s’établira facilement.
On peut faciliter la lutte biologique par conservation en aménageant de façon adéquate le jardin. La présence de haies arborées composites peuplées d’essences diversifiées qui constituent à la fois des sites d’hivernage, des zones de refuges et des sources de nourriture pour les auxiliaires (pollen, nectar, miellat, ou proies) est essentielle. Les noisetiers, chênes, sureaux, prunus, aubépines…sont particulièrement intéressants. Les bandes fleuries peuvent présenter des fonctions similaires, de même que la disposition des plantes cultivées en de nombreux poquets qui, par rapport à des planches cultivées mono-spécifiques, freine la propagation des organismes nuisibles tout en permettant une meilleure régulation par les auxiliaires présents sur la végétation environnant ces îlots de culture.
Des techniques culturales appropriées
La mise en œuvre de techniques culturales appropriées permet à la fois de favoriser la vigueur des plantes cultivées et de limiter les bio-agresseurs. La fertilisation doit être équilibrée, sans excès azotés favorisant les populations de pucerons. Les excès d’eau doivent être évités pour réduire les risques de pathogènes du sol et des systèmes racinaires. De même que les irrigations par aspersion doivent être raisonnées non seulement en fonction des régimes pluvio-climatiques et des types de sols, mais selon les horaires de déclenchement. Il convient de ne pas allonger les périodes d’humectation sur feuillage favorables au processus d’infection et, pour cela, le moment idéal est d’irriguer à l’apparition du point de rosée, survenant souvent à une heure tardive de la nuit (ce qui n’est pas forcément pratique !) et non pas en fin de journée où l’on risque de générer un doublement des temps d’humectation. La gestion de l’aération des cultures, très importante pour beaucoup de maladies, doit être envisagée en choisissant les micro-emplacements des cultures, en limitant leur densité et en pratiquant la taille des parties végétatives trop abondantes.
Choisir la résistance
Le ramassage, le broyage et destruction des organes malades y compris les déchets de tonte des pelouses, la destruction des repousses, sont de plus en plus pratiqués pour limiter les bio-agresseurs. Le contrôle génétique[5] constituera un levier très important au cours des prochaines années surtout pour prévenir des grands groupes d’organismes nuisibles contre lesquels nous ne savons pas lutter efficacement (virus et bactéries sur les fruitiers) ou qui nécessitent de nombreuses applications pour leur maîtrise (tavelure du pommier, mildiou de la tomate). Les créateurs de nouvelles variétés appartenant aux gazons, espèces légumières et fruitières, rosiers vendus aux amateurs précisent de plus en plus l’existence et les niveaux de tolérance ou de résistance à certaines maladies et ravageurs.
Protéger et piéger
Les méthodes de protection de type barrières physiques tels que les filets protecteurs[6] sont de plus en plus utilisées de même que des bandes pièges en carton ondulé contre le carpocapse, sur pommier et poirier. Il en va de même pour les pièges utilisés contre les chenilles processionnaires des pins qui collectent les chenilles descendantes dans un récipient où elles vont s’accumuler pour être ensuite détruites.
La glu est utilisée dans le midi de la France contre Paysandisia archon sur palmiers. La flore adventice peut être combattue par la solarisation en inter-culture (mise sous bâche de sol humide pour élévation de température), par le désherbage manuel ou mécanique, le désherbage thermique n’étant lui même pas écologiquement irréprochable. La lutte contre les adventices peut être remplacée utilement et efficacement par des mulchs et paillis de toutes natures présentant chacun leurs avantages et inconvénients. Des tapis de plantes couvre sol (il n’y a que l’embarras du choix !) autour des arbres et arbustes et sur les aires d’abords de cultures peuvent aussi être mis en place.
Bio contrôler
Le biocontrôle est destiné à prendre une place pré-éminente dans la protection intégrée des jardins pour remplacer en partie les produits phytosanitaires. Il est basé sur un contrôle des nuisibles par un ensemble d’agents d’origine biologique et par des interactions naturelles. Il est assuré par quatre grands types d’agents qui sont développés dans ce dossier par Philippe Reignault :
– Les macro-organismes prédateurs, parasitoïdes et entomopathogènes. Les non indigènes sont soumis à une analyse de risques phytosanitaire et environnemental avant autorisation préalable d’entrée sur le territoire.
– Les micro-organismes qui sont capables de se répliquer dans leurs organismes hôtes. Ils nécessitent une caractérisation et une inscription de leur souche pour une autorisation de mise en marché (AMM) au sens du règlement CE 1107/2009.
– Les médiateurs chimiques : ils nécessitent une AMM selon les modalités définies au règlement CE 1107 / 2009.
– Les substances d’origine naturelle végétale (prêle, écorce de saule, vinaigre.), animale (chitosan, lactosérum), microorganismes (poudre de diatomées) ou minérale (argile, silice, hydroxyde de calcium, bicarbonate de sodium).
Surveiller attentivement
Les produits de bio-contrôle sont vendus par centaines de spécialités commerciales toutes catégories confondues et peuvent concerner sélectivement de nombreux couples hôtes / parasites présents dans les jardins. L’utilisation raisonnée de ces produits par les jardiniers demandera de nombreuses actions d’accompagnement de formation et d’information. Préalablement au déclenchement des stratégies de lutte, les jardiniers devront redoubler d’attention pour surveiller très attentivement leurs cultures et détecter précocement les organismes imposteurs potentiellement nuisibles. Gageons que les contraintes réglementaires qui se profilent à court terme soient l’occasion, pour les jardiniers amateurs, de faire un grand pas pour un entretien du jardin sans pesticide et pour leurs conseillers, de vulgariser des alternatives qui ne les déçoivent pas.
[1] ZNA : Zones non agricoles recouvrant les JEVI (jardins publics espaces verts et infrastructures ainsi que les jardins amateurs)
[2] Voir l’article de Philippe Reignault dans ce dossier
[3] Voir l’article de Florent Roubinet et coll. Dans ce dossier
[4] DRAAF et SRAL, FREDONS, Chambres régionales d’agriculture, sociétés et fédérations de jardiniers amateurs
[5] Voir l’article de Michel Pitrat dans ce dossier
[6] Voir l’article de Daniel Veschambre dans la rubrique « conseils pratiques »
Bonjour
Rubrique très intéressante, je suis un jeune retraité, et encore en activité car demandé en Pays de Loire comme formateur sur la charte « jardiner au naturel ça coule de source » (autoentrepreneur).
Former les vendeurs en jardinerie est indispensable, mais je pense qu’informer directement les jardiniers sur les possibilités de jardiner sans pesticides est également souhaitable.
A ce sujet, comme il est indiqué dans le texte les produits phytosanitaires utilisés en grand public doivent porter la mention EAJ, mais qu’en est il pour les produits naturels (PNPP) et les produits bio contrôles ?
Peut on utiliser tous les produits proposés pour les professionnels ou est ce qu’il y a une réglementation !!!
Merci de m’éclaircir sur ce point, d’avance merci.
Cordialement, Michel COUFFIN
Bonjour,
Nous vous invitons à poser votre question aux experts de la SNHF sur le service de questions/réponses HortiQuid: http://www.hortiquid.org. Ils se feront un plaisir de vous répondre.
Bien cordialement.
L’équipe de la SNHF