De la reconstitution à la construction de sols à partir de déchets
Laure Vidal-Beaudet , Olivier Damas , Gilles Galopin
Les sols urbains présentent une grande variabilité spatiale et verticale et sont influencés plus ou moins intensément par les activités humaines. Ils ont des horizons de surface souvent massifs, fortement modifiés par l’Homme via des mélanges, de l’incorporation et/ou de l’exportation de matériaux technogéniques[1], souvent grossiers et potentiellement contaminés. Les sols urbains ont donc la particularité d’être généralement peu fertiles pour la croissance des végétaux : tassement, scellement des surfaces, volume restreint et confiné, faible surface d’échange sol-atmosphère, ruissellement, circulation de l’eau et de l’air réduite, fertilisation faible, pollution fréquente et potentiellement forte. Améliorer les propriétés des sols urbains est nécessaire si l’on veut y planter et cultiver du végétal, afin que ces sols puissent assurer leurs fonctions et rendre les services attendus.
Le défi : réhabiliter les sols urbains en place
En fonction de chaque situation d’aménagement, le sol peut être conservé (éventuellement amendé, remanié), voire excavé et remplacé pour favoriser le développement d’une végétation plantée ou spontanée. L’intervention sur les sols est fonction de l’usage et des services envisagés. L’apport de matière organique et éventuellement le décompactage du sol apparaissent dans tous les cas incontournables pour augmenter ou créer la fertilité du sol urbain.
Cependant, la végétalisation d’espaces en zone urbaine nécessite l’utilisation de grandes quantités de matières premières naturelles terreuses (volume estimé en 2008 par Plante et Cité à 3 millions de m3 en France) au détriment des terres agricoles support de la production alimentaire. Le défi à relever pour permettre une utilisation plus rationnelle des territoires et une résilience de l’écosystème urbain consiste à réhabiliter les sols urbains en place ou à construire des sols fertiles à partir de matériaux issus de l’activité et de la déconstruction des villes. L’usage de ce sous-produits ou déchets urbains à recycler et à valoriser amènent à préserver les ressources naturelles « sol » et granulats de carrière (utilisés pour les mélanges portants terre-pierres), et à économiser de longues distances de transports, donc de l’argent et du CO2. La politique de recyclage des déchets organiques urbains incite à construire des sols via l’introduction de grandes quantités de matière organique compostée (40 % v/v) dans les couches du premier mètre de sol et dans le trou de plantation pour les arbres d’alignement. Le génie pédologique peut proposer une stratégie de construction de Technosols fertiles à partir de matériaux alternatifs à la terre végétale et aux granulats de carrières.
Programme SITERRE : une alternative à la terre végétale et aux granulats de carrière
Fin 2010, un intérêt national pour une recherche de matériaux alternatifs à la terre agricole et aux granulats de carrière a permis la mise en place du programme SITERRE (procédé de construction de Sols à partir de matériaux Innovants en substitution à la terre végétale et aux granulats de carrière). Ce projet s’est réalisé de 2011 à 2015, avec l’ADEME pour financeur principal. Ont collaboré neuf partenaires du secteur privé et public qui s’intéressent à l’agronomie urbaine*.
La mise en place d’une démarche de génie pédologique a permis de construire des sols avec des déchets urbains inertes et organiques (granulats recyclés, matrices minérales fines, matières organiques), qui possèdent des fonctions de portance et de fertilité agronomique recherchées pour une production végétale urbaine non alimentaire. Le programme a testé la formulation de mélanges performants et la conception de sols associant ces mélanges, à partir de 11 matériaux sélectionnés pour la croissance des végétaux urbains : deux terres excavées non contaminées pH acide et basique, brique, béton, ballast de voies, déchets de démolition de bâtiment, déchets verts broyés, boues de STEP, composts, balayage de rues, boues papetières. La fertilité des mélanges et leur évolution au cours du temps ont pu être appréciées en montrant un processus d’agrégation précoce dès les premières semaines sous l’influence des facteurs pédogénétiques.
Sols fertiles, prêts à planter
Les résultats obtenus démontrent la faisabilité du procédé à obtenir des sols fertiles, prêts à planter dès leur réalisation et garantissant une innocuité vis de la santé humaine et de l’environnement. Les recherches menées depuis 2010 ont permis de sélectionner des indicateurs de fertilité agronomique pertinents en fonction de deux types d’usage modèle de végétalisation (square-parcs et arbre d’alignement). Un modèle de formulation de mélanges matière minérale-matière organique a été développé à partir d’essais au laboratoire et permet de classer les mélanges en fonction de leurs performances agronomiques attendues. Le mélange brique-compost, par exemple, apparait comme un bon support de croissance. Les résultats acquis lors de ce projet constituent des bases incontournables dans le développement d’un outil d’aide à la décision pour les gestionnaires (collectivités, bureaux d’étude, entreprises) auquel doit être associée une expertise sur la construction de sol pour la production de biomasse végétale. La communication et la vulgarisation en cours des résultats aboutiront en 2016 à l’édition d’un livre destiné aux praticiens et scientifiques, et à la tenue d’un colloque de restitution.
Renaturer un sol urbain : la méthode économe du « Transformateur »
En novembre 2015, pour fêter l’année des sols, l’association les Amis du Transformateur a présenté le Bosquito, un manifeste sur la manière de planter en ville et de préparer un sol urbain pour le rendre apte à accueillir des arbres.
C’est sur un marais, artificialisé pour des activités industrielles, puis abandonné suite à des inondations et enfin classé Espace naturel sensible, que l’association intervient depuis 2005 pour le compte du propriétaire, le Département 44. Elle freine la reconquête végétale sur certains lieux, la favorise sur d’autres, plante, taille, jardine.
L’espace est pourtant plus artificiel que naturel et le sol est couvert à 70 % d’une dalle de bitume ou de béton. S’agissant d’un ancien site industriel, les questions de pollution et de pauvreté du sol ont été évoquées, mais le véritable sujet d’inquiétude était l’asphyxie d’un sol qui a été emprisonné sous une dalle et tassé par des camions. Un sol qui a supporté le poids de la ville ! Il était plus important de l’aérer que de tenter de l’épurer ou de l’enrichir à grand frais d’apport de terre végétale. Pour planter, l’association décide de garder le sol en place et casse la dalle, supprime les pièges à eau et brasse le sol pour qu’il retrouve de l’oxygène et de la perméabilité. Un apport de matière organique, mélangée au sol en place et un paillage favoriseront la reprise et le développement des différentes essences expérimentées.
La réalisation du Bosquito sur 1 000 m² est l’application méthodique et démonstrative d’une recherche intuitive de 10 ans. Le projet a bénéficié de l’accompagnement des chercheurs d’Agrocampus Ouest qui réalisent le suivi de la transformation du sol et du développement des végétaux.
Un mode d’emploi a été édité : « Les boqueteaux de la ville moderne ».
Plus d’info sur : amisdutransformateur.over-blog.com
* Plante & Cité, Agrocampus-Ouest, Université de Lorraine, Ifsttar, BRGM, Rittmo Agroenvironnement, Valterra DR, Luc Durand Travaux Publics, ACTeon