Sols et substrats, un challenge mondial

Patrice CannavoJean-Charles Michel

La surface des terres fertiles diminue due à l’emprise de l’urbanisation ; l’usage excessif de substrats comme la tourbe, ressource naturelle,  pose des problèmes de biodiversité. Ces deux exemples révèlent un phénomène mondial inquiétant contre lequel quelques initiatives commencent à voir le jour.

Les sols végétalisés en milieu urbain subissent des transformations plus ou moins profondes selon leur niveau de fertilité. Ils doivent souvent être décapés et remplacés par de la terre dite « végétale » - © J.-F. Coffin
Les sols végétalisés en milieu urbain subissent des transformations plus ou moins profondes selon leur niveau de fertilité. Ils doivent souvent être décapés et remplacés par de la terre dite « végétale » – © J.-F. Coffin

Les sols sont victimes de l’urbanisation croissante au détriment des zones rurales (cf. encadré). Parmi les conséquences, l’augmentation de l’artificialisation des sols qui se fait sur les terres agricoles les plus fertiles[1], selon une étude menée par le Groupement d’Intérêt Scientifique « Sols » (Gis Sol). Le critère de fertilité qui a été retenu dans cette étude est la réserve utile du sol, qui représente la capacité du sol à stocker de l’eau pour l’alimentation des cultures. Entre 2000 et 2006, pour la grande majorité des régions, entre 30 et 60 % des sols artificialisés étaient des sols à réserve utile moyenne à forte. La part des espaces artificialisés en France métropolitaine était de 5,1 % en 2006. Elle dépasse 10 % dans 15 départements (en augmentation de 3 % depuis 2000).

Une densification urbaine au détriment des sols

De 1950 jusqu’à la fin du 20e siècle, la population rurale dans le Monde était supérieure à la population urbaine. Depuis année 2000, la tendance s’est inversée. Selon les projections des Nations Unies et d’ici à 2050, la population rurale devrait se stabiliser autour de 3,3 milliards d’habitants alors que la population urbaine ne cessera d’augmenter[2]. En 2050, 70 % de la population mondiale sera urbaine, représentant 2 à 3 milliards d’habitants en plus dans nos villes.

A l’échelle de la France, cette tendance a deux principales conséquences. La première est que l’urbanisation s’exprime à travers l’étalement et la densification urbaine. La deuxième est que l’artificialisation des sols se fait au détriment des terres cultivables, générant une diminution progressive de la ressource en sol naturels.

Ainsi, d’un côté la population mondiale augmente et il faut nourrir davantage d’hommes, et d’un autre côté les surfaces cultivables diminuent ce qui limite la capacité de production alimentaire. Enfin, la population urbaine est très demandeuse d’espaces verts en raison des nombreux services écosystémiques que procurent les végétaux[3].

Une dune du Pilat tous les 20 ans 

3,1 millions de m3 de terre végétale sont consommés en France, pour une surface annuelle décapée d’environ 1 000 ha, soit une dune du Pilat tous les 20 ans - © Ministère Culture et Communication/Elce-Compa
3,1 millions de m3 de terre végétale sont consommés en France, pour une surface annuelle décapée d’environ 1 000 ha, soit une dune du Pilat tous les 20 ans – © Ministère Culture et Communication/Elce-Compa

Les sols végétalisés en milieu urbain sont des sols qui ont subi des transformations plus ou moins profondes selon leur niveau de fertilité. A minima, le sol d’origine reste en place et voit sa fertilité améliorée. Au pire, il est excavé et remplacé par de la terre dite « végétale ». Celle-ci correspond à l’horizon de surface organo-minéral des sols initialement cultivés (horizon de labour 15- 20 cm d’épaisseur) qui, avant d’être artificialisés, sont décapés puis mis en stockage. A l’échelle de la France métropolitaine, 3,1 millions de m3 de terre végétale sont consommés, représentant une surface annuelle décapée d’environ 1 000 ha. Cela représente une dune du Pilat tous les 20 ans ! (Plante & Cité). La région Ile-de-France consomme à elle seule 575 000 m3 de cette terre, la ville de Rennes 13 000 et Lyon 8 000 m3. Construire un espace vert de 1 ha de 30 cm d’épaisseur correspond à une consommation de 4 000 m3 de terre végétale.

Une volonté politique

Les instances politiques françaises et européennes ne se sont préoccupées que récemment de la question de l’artificialisation des sols[4]. La loi du 27 juillet 2010 de modernisation de l’agriculture et de la pêche a traduit la volonté de mise en œuvre d’une véritable politique de préservation du foncier agricole, en se fixant comme objectif, de réduire de moitié le rythme de consommation des terres agricoles d’ici 2020.

Les incitations politiques montrent bien que la ressource en terre végétale se raréfie et devient de plus en plus chère, obligeant les gestionnaires d’espaces verts à mieux gérer les sols en tirant le maximum de leurs potentialités.

Les enjeux et leviers pour les sols

Les principaux enjeux pour les sols sont donc : le maintien de la fertilité, la sécurisation des ressources en sol et en eau, le changement climatique, la sécurité alimentaire et la soutenabilité énergétique. Les principales préconisations pour faire face à ces enjeux sont de : renforcer les outils de connaissance, protéger le foncier agricole, préserver et améliorer l’état des sols agricoles et sensibiliser la population aux enjeux liés au sol.

Parmi les leviers d’actions possibles, le recours à des ressources fertiles renouvelables offre de nombreuses perspectives. Il s’agit de mettre en œuvre des solutions innovantes relevant des concepts de l’agroécologie.

Substrats : la tourbe en première ligne

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Une certification a été établie accompagnant la tourbe issue de tourbières exploitées de façon durable (ici, une tourbière dans l’ouest de la France) – © J.-F. Coffin

En production hors sol, la tourbe, en particulier de sphaignes, demeure encore aujourd’hui le premier constituant des substrats, en raison de ses propriétés qui lui confère une conduite technique souple en matière de fertilisation et d’irrigation. Toutefois, l’exploitation de cette ressource fossile pose de plus en plus question, l’exploitation des tourbières conduisant à une perte de biodiversité de ces écosystèmes humides et à une libération de carbone vers l’atmosphère. A cela s’ajoute son transport depuis les zones d’extraction (pays baltiques, Irlande, etc.) vers les zones de consommation qui alourdit encore son empreinte environnementale.

A l’initiative de la Société Internationale de la Tourbe (IPS), la « Stratégie pour une exploitation responsable des tourbières » définit les grandes règles d’une exploitation durable et propose de délivrer une certification accompagnant la tourbe issue de tourbières exploitées de façon durable. Une seconde initiative relève d’Epagma[5] qui propose un « Code de pratiques pour une exploitation responsable des tourbières ». En France, les arrêtés préfectoraux autorisant l’extraction de la tourbe ne sont plus reconduits. L’exploitation de la ressource en France pourrait ainsi cesser complètement d’ici 2020-2025.

Hélas, les volumes de tourbe utilisés dans les substrats n’évoluent guère et représentent encore aujourd’hui 75% du volume, contre 77,5 % en 2005. Notons aussi la grande disparité entre marché professionnel (plus de 85 % de tourbe) et grand public (proche de 50 %). Le premier est préférentiellement consommateur de tourbes de sphaignes issues d’importation en raison de leurs qualités agronomiques, le second  sur des tourbes majoritairement issues de de carex, de qualité horticole bien inférieure,

Matériaux alternatifs

Certaines enseignes et entreprises de fabrication tentent de sensibiliser, le grand public, à une démarche plus écologique, en s’appuyant sur des matériaux issus de recyclage et/ou produits localement, jusqu’à proposer des substrats sans tourbe.

La France se tourne principalement vers des matériaux alternatifs de type écorces dont les gisements sont importants dans le sud-ouest du territoire national (soit environ 20-25%). Une timide mutation du marché des substrats existe bien, avec une tendance à la diminution de la tourbe au profit de matériaux plus durables. Il faut néanmoins veiller à ce que les produits alternatifs et leurs conditions d’utilisation – souvent moins souples que la tourbe – soient compatibles économiquement avec les conditions du marché.

Figure : Proportion des différents constituants utilisés dans les substrats en France pour l’année 2010 (Source : CAS, Chambre Syndicale des Fabricants d’Améliorants Organiques et Supports de Culture)
Figure : Proportion des différents constituants utilisés dans les substrats en France pour l’année 2010 (Source : CAS, Chambre Syndicale des Fabricants d’Améliorants Organiques et Supports de Culture)

[1] SOeS-Gis Sol, Traitements SOeS (2010).

[2] United Nations (2012) World urbanization prospects: The 2011 Revision. New York: United Nations Department of Economic and Social Affairs, Population Division

[3] Parmi ces services, il y a les bienfaits pour l’Homme (santé et bien-être, lien social), les bienfaits pour les équilibres naturels (biodiversité, régulation thermique, qualité de l’air, écoulement des eaux et protection des sols) et les bienfaits pour l’économie (valorisation du bâti, valorisation des déchets végétaux, agriculture urbaine, attractivité du territoire)

[4] Loi du 13 décembre 2000, relative à la solidarité et au renouvellement urbains, puis les lois Grenelle I du 3 août 2009 et Grenelle II du 12 juillet 2010 ont renforcé les obligations attachées aux documents d’urbanisme

[5] European Peat And Growing Media Association, association regroupant de grandes sociétés européennes productrices de tourbe.

 

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