Caractériser la diversité des variétés anciennes de pommier conservées en France
Charles-Éric Durel
Le pommier domestique a été introduit en France par les Romains, bien que les Celtes produisent déjà l’équivalent du cidre à partir des fruits des pommiers sauvages (Malus sylvestris). On dénombre plusieurs milliers variétés en France portant des noms aussi variés qu’évocateurs : ‘Belle fille de Salins’, ‘Nez de Chat’ ou ‘Petit Museau de Lièvre’. Certaines sont très anciennes comme la ‘Reinette franche’ datant du début du XVIe siècle selon André Leroy[2]. De nombreuses associations d’amateurs comme ‘Les Croqueurs de pommes®’, ‘Les Mordus de la pomme’, ‘I z’on creuqué eun’pomm’ ou des conservatoires régionaux comme le ‘Conservatoire Végétale Régional d’Aquitaine’ ou le ‘Centre Régional de Ressources Génétiques’ du Nord-Pas de Calais sont très actifs pour promouvoir la conservation et la redistribution de ce patrimoine et en particulier des variétés locales. La caractérisation pomologique (description précise des caractéristiques du fruit) permet de distinguer des variétés différentes et de relier entre elles des variétés similaires bien que portant des noms différents et sans synonymie connue. Cependant pour attester de différences ou de l’identité génétique entre deux variétés, le recours aux moyens modernes de caractérisation génétique s’avère nécessaire.
Des marqueurs moléculaires pour redécouvrir l’histoire des variétés anciennes
La biologie moléculaire a révolutionné la génétique en permettant d’accéder directement à l’ADN qui est le support du contrôle génétique des caractères et de leur transmission héréditaire. Elle permet en particulier de réaliser des ‘empreintes génétiques’ de chaque variété. Dans le cadre du projet CorePom, nous avons développé des marqueurs génétiques de type ‘microsatellites’ (ou SSR)[3] sur plus de 2000 accessions/variétés conservées par les 14 partenaires du projet (Lassois et al., 2016). Chaque accession a ainsi été caractérisée par son profil moléculaire qui a été comparé à celui des autres accessions. Ainsi, les accessions présentant un même profil dérivent toutes du même individu à partir duquel des greffons ont pu être prélevés pour le multiplier parfois à des centaines ou des milliers de kilomètres de son lieu de naissance. C’est ainsi que certaines variétés anciennes d’origine russes comme la ‘Papirovka’ (encore appelée ‘Transparente Blanche’ ou ‘Klarapfel’) se sont retrouvées dans différents pays d’Europe du fait de leur qualité gustative ou agronomique particulièrement appréciée. Plus localement, la variété italienne ‘Abbondanza’ correspond à la ‘Provençale Rouge d’Hiver’. Ces variétés anciennes ont d’ailleurs pu accumuler au cours des années de petites mutations qui ont légèrement modifié leur apparence, ce qui pouvait brouiller les pistes de leur identification même par des pomologistes avertis. Les marqueurs génétiques ont ainsi permis de confirmer une forte présomption d’identité (établie par un membre des Croqueurs de pommes) entre deux variétés locales distantes de près de 400 km, la ‘Belle Joséphine’ cultivée en Brie et la ‘Marie-Louise’ du Pays de Montbéliard (Scribe, 2014). Leur description pomologique très similaire et leur profilage moléculaire a confirmé qu’il s’agissait au départ de la même variété du début du XIXe siècle dont le nom a vraisemblablement évolué en même temps que celui des deux femmes successives de Napoléon 1er !
Des caractéristiques génétiques intéressantes
Le pommier est une espèce diploïde et possède 17 paires de chromosomes. Parmi les variétés analysées, il a été surprenant d’observer qu’environ 20% d’entre elles sont triploïdes (chaque chromosome est présent en triple exemplaire et non en double). Cette caractéristique pourrait avoir été sélectionnée inconsciemment par les fermiers et jardiniers au long des siècles car elle est généralement associée à des fruits plus gros. Les marqueurs ont aussi permis de montrer qu’il n’y a pas de différences génétiques très fortes entre les variétés originaires de différentes régions françaises ou à usage particulier. Sauf peut-être entre les variétés à cidre qui ne représentent qu’un sous-ensemble restreint de la diversité observée chez les pommes à couteau (Figure 1), et une légère différenciation entre les variétés du Sud-Est de la France (qui se rapprochent de celles de l’Italie) et celles du reste de l’hexagone. Cela provient très vraisemblablement de l’importance des échanges de greffons au long des siècles et des croisements entre variétés de diverses origines européennes qui en ont découlé. Les marqueurs moléculaires ont ainsi permis de retrouver les parents de variétés anciennes à la manière d’une recherche généalogique humaine. Ainsi, la ‘Calville Rouge du Mont d’Or’ originaire de la région lyonnaise a été identifiée comme provenant du croisement entre la variété française ‘Calville Rouge d’Hiver’ et la variété russe ‘Grand Alexandre’. Une autre variété d’origine lyonnaise, ‘La Nationale’ a été identifiée comme issue du croisement entre la même ‘Calville Rouge d’Hiver’ et une autre variété locale ‘Cusset’. Dans le Nord de la France, la variété ‘Directeur Lesage’ proviendrait du croisement entre la ‘Papirovka’ et la variété hollandaise ‘Framboise d’Oberland’ découverte en 1771[4]
En conclusion, ces informations génétiques permettent à la fois de retracer l’histoire des ressources génétiques du pommier et de raisonner le choix de certaines variétés à étudier plus en détail afin de mieux comprendre les bases héréditaires des caractères agronomiques et les exploiter en sélection de nouvelles variétés. Face au changement climatique, ces ressources sont indéniablement la matière première de l’adaptation variétale.
À lire …
– Scribe (2013) Double Bon Pommier alias Belle Joséphine, alias Marie-Louise et beaucoup d’autres. Les Croqueurs de pommes, Bulletin N°139, p 11-12.
– Templier (2014) Kit de survie d’un croqueur ordinaire dans la jungle génétique. Les Croqueurs de pommes, Bulletin N°143, p 15-17.
– Lassois et al. (2016) Genetic diversity, population structure, parentage analysis and construction of core collections in the French apple germplasm based on SSR markers. Plant Molecular Biology Reporter (sous presse) DOI: 10.1007/s11105-015-0966-7.