Les Vilmorin et les plantes mellifères
Raymond Durand
Fils de Philippe Victoire de Vilmorin (1746-1804) et d’Adélaïde Andrieux (1756-1836), Philippe André de Vilmorin est issu d’une famille de grainetiers et de botanistes. À la mort de son père, survenue en 1804, il lui succède à la tête de la Maison Vilmorin-Andrieux.
Ce n’est qu’assez tardivement, à l’âge de 44 ans, qu’il s’installe aux Barres. Il s’intéresse tout particulièrement aux espèces ligneuses et principalement aux arbres mais il ne délaisse pas pour autant les plantes herbacées et notamment « les tiges et les racines ».
Pénurie de sucre
En 1806, Napoléon décide du Blocus Continental qui interdit aux Britanniques, voire aux bateaux des pays neutres ayant eu des contacts avec les Britanniques, d’entrer dans les ports de l’Europe continentale. Il interdit aussi au Royaume-Uni d’importer les produits européens dont il a besoin et d’exporter vers l’Europe continentale ses produits industriels. Cette décision va créer des difficultés à l’approvisionnement en café, coton, plantes tinctoriales et sucre. En France, le Blocus Continental a induit une pénurie de sucre en provenance des Tropiques et il est demandé aux paysans de cultiver des plantes aptes à fournir le sucre et en particulier la betterave qui, rapidement, sera produite sur l’ensemble du territoire. Le Gâtinais, grâce à ses sols favorables à la betterave, n’échappa pas à cette culture bien avant l’installation des Vilmorin aux Barres. En effet, dès 1811, Charles Guillaume Théremin, alors propriétaire et châtelain des Barres, avait déjà consacré 100 perches, soit 3 418 m2, à la culture de la betterave, culture qui fera l’objet de sélection avec P.-A. de Vilmorin.
L’introduction du sainfoin
Si ce dernier s’intéresse à la betterave, il se préoccupe aussi de plantes mellifères, sainfoin, trèfles, luzernes, carotte. De 1822 à 1860, le domaine des Barres est un champ d’expérimentations tant concernant les arbres que les cultures fourragères et les essais d’engrais. Une large partie de la propriété de Philippe André de Vilmorin, au nord, à l’ouest et à l’est, s’étend sur terrain calcaire recouvert d’une couche assez variable de limons, favorisant ainsi la culture d’avoines, d’orges, de carottes, de sarrasin, de navets, de betteraves, de trèfles, de froment, de méteil et de sainfoin. C’est l’époque où le Gâtinais connaît une forte activité apicole au point que le miel du Gâtinais devient le meilleur des miels produits en France. Cette réussite est due à la culture de plantes fourragères mellifères nécessaires à l’éducation[1] des abeilles. Là encore, P.-A. de Vilmorin va faire preuve de singularité. Il sème ces plantes mellifères aux Barres au moment où des expérimentations de ruches se pratiquent localement. Il a appris, de Duhamel du Monceau, que le sainfoin, plante particulièrement visitée par les abeilles, était cultivé dans le Gâtinais orléanais depuis 1761. Il est ensuite introduit, pour la première fois en 1763, dans le bocage du Gâtinais par Despommiers. À partir de 1785, il se répand largement dans toute la contrée, souvent accompagné par le sarrasin. P.-A. de Vilmorin contribue alors au développement et à l’extension de la culture du sainfoin et d’autres plantes mellifères (trèfles) mais les ruches ne donnent pas une totale satisfaction bien « que le sainfoin cultivé dans le Gâtinais à la fin du XVIIIe siècle accorde toute sa réputation à ce miel au XIXe siècle ».
Modèles de ruches
Alors, un peu partout dans le Gâtinais, de nouveaux modèles de ruches sont construits et expérimentés. Ce fut le cas aux Barres avec le modèle de Bosc. Le spécialiste de l’apiculture en Gâtinais, un certain Charles-Édouard Royer est agronome de l’arrondissement de Montargis et chef de culture au domaine des Barres chez P.-A. de Vilmorin. Royer compare plusieurs types de ruche et mentionne ses observations de la sorte : « Les essais infructueux résultant de l’utilisation de la ruche en plein air Martin à Châtillon-Coligny, des ruches carrées en bois des Godeaux, lieu contigu aux Barres, la ruche à expérience et à compartiments d’Huber aux Barres, ainsi que la ruche en bois, à côtés mobiles, de Bosc […] aussi les essais qui ont été faits aux Barres et à la poste de Nogent ont-ils engagé un marchand d’abeilles à adapter la ruche de Bosc […] mais toutes ces ruches avaient l’inconvénient de coûter trop cher, comparativement à la ruche en osier ». En 1839, Royer constate que les abeilles sont tenues dans des ruches en osier et recouvertes d’un substrat de paille, qu’il y a des ruches dites à hausses et surtout des ruches en bois, dites de Bosc, qui sont bien préférables mais qui ont l’inconvénient de coûter plus cher et de n’être pas appréciées par les marchands du Gâtinais qui viennent les acheter.
L’éducation des abeilles explique les raisons qui ont poussé P.-A. de Vilmorin à ensemencer de nombreuses parcelles en sainfoin et autres plantes mellifères ainsi qu’à réaliser des plantations d’érables de nos jours visibles dans ses anciennes pépinières.
A lire …
– Vilmorin-Andrieux Les plantes potagères – Vilmorin – Andrieux et Cie, 1883 (pp. 35-53)
– Zert P. Un père méconnu de la loi de 1848 : Charles-Édouard Royer (1811 – 1847)- Colloque : les enjeux de la formation des acteurs de l’agriculture : 1760-1945, ENSESA
– Laffont, P.Y. -Transhumance et estivage en Occident des origines aux enjeux actuels. Actes
– Moushino C. – L’élevage des abeilles dans le Gâtinais au XIXe siècle ; Modèle d’une apiculture pastorale de plaine. Mémoire de DEA d’Archéologie médiévale. Paris : Université de Paris I, 2 tomes, 2003
– Durand R. – Un site historique remarquable en Gâtinais. Nogent-sur-Vernisson et le Domaine des Barres. De la préhistoire à nos jours, Editions de l’Ecluse. Châtillon-Coligny, 285 p. 2010.
[1] Éducation des abeilles = élevage des abeilles