Historique des maisons grainières…Et la graine devint semence
Jean-Noël Plagès
Au néolithique, la sédentarisation de l’Homme est une rupture importante par rapport à la cueillette. La culture volontaire nécessite alors de disposer de graines pour ensemencer les champs. C’est aussi le début de la sélection car l’agriculteur va choisir les plantes qui possèdent un plus par rapport au type sauvage, soit par leur comportement, soit par un développement supérieur de la partie utilisée. Les graines sont récoltées en mélange sur un nombre plus ou moins important d’individus. L’agriculteur pratique une « sélection massale ». L’agriculteur conserve une partie du lot pour réaliser son prochain semis, l’autre partie sert à son alimentation et, plus tard, à celle des animaux. La multiplication de la graine est souvent aléatoire, aussi bien en quantité qu’en qualité.
Les premières maisons de vente, portées par leurs catalogues
Jusqu’à la fin du Moyen-âge, les agriculteurs ont, soit cultivé leur propre récolte, soit fait du troc avec leurs proches voisins. Avec les expéditions du XV et XVIe siècle, se créent des échanges de semences et de plantes entre passionnés de botanique. C’est ainsi qu’un grand nombre de missionnaires ouvraient un commerce lorsqu’ils séjournaient à terre. En dehors de ce marché important, il faut attendre le milieu du XVIIe siècle pour voir apparaître des « graineteries », donc de la vente de graines et de plantes (Rivoire à Lyon en 1650, Le potager provençal en 1680, qui deviendra Le Paysan en 1854 puis SPG en 1949). Des conseils sont aussi donnés aux utilisateurs pour produire leurs propres plantes mais aussi des graines (Le Jardinier françois de 1692 explique la production de graines d’oignon).
C’est au milieu du XVIIIe siècle que, l’imprimerie aidant, des catalogues apparaissent (Catalogue de toutes sortes de graines du Sieur d’Andrieux, 1766). Le catalogue de 1771 deviendra déjà Le catalogue raisonné et la maison de commerce « Au coq de la bonne foy » des sieurs d’Andrieux et Vilmorin vendra des graines de luzerne et de trèfle de première qualité (facture du 25 avril 1777).
Des métiers nouveaux autour des semences
Pendant toute la première moitié du XIXe siècle, la Maison Vilmorin-Andrieux propose aux producteurs des graines de semences, des plantes et des bulbes de potagères, de fleurs et de condimentaires et médicinales avec les recettes permettant de faire les infusions et les boissons.
Les semences sont produites par des agriculteurs spécialisés à partir des variétés choisies après expérimentation par le réseau dont dispose Vilmorin-Andrieux : c’est ainsi qu’apparaissent des « multiplicateurs de semences », identifiés par leurs premiers contrats (Louis de Vilmorin et le père Dutertre à Brain-sur-l’Authion (49) en 1850).
De très nombreuses maisons grainières ont une activité commerciale en France et dans le monde surtout en Asie (Japon et Russie). Nous avons vu Rivoire à Lyon en 1650, Simon Louis Frères en1666, le Potager Provençal en 1680, la maison Le Fèvre en 1692, d’Andrieux en 1766 devenant Andrieux et Vilmorin en 1775 et Vilmorin-Andrieux en 1783, comme le prouve une première de couverture de catalogue. Nous avons aussi une facture de chou-fleur, chou, radis et chicorée, en date de 1786.
Le développement des intermédiaires
Les semences proviennent de variétés locales développées par les maraîchers, et expérimentées sérieusement, avant d’en faire une diffusion nationale voire internationale. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder les noms de ces variétés : Haricot de Soissons, Pois de Clamart, Poireau Gros de Rouen… etc. Tézier apparaît en 1785 et c’est au XIXe siècle que de très nombreuses Maisons grainières sont fondées ainsi[1] : Denaiffe (1810), Truffaut (1824), Fabre (1860), Moreau (1872), Gazeau-Lebreton, qui deviendra Caillard (1873), Clause (1892), Girard (1897), Boret (1898) etc.
Elles commercialisent des semences de variétés régionales pour les marchands grainiers locaux et des semences de variétés nationales pour les maisons plus importantes. Ces semences sont destinées d’une part aux jardins familiaux, pour nourrir la famille, et, d’autre part, aux producteurs qui vont commercialiser leurs récoltes sur les marchés de ville : deux catégories qui seraient qualifiées aujourd’hui de jardiniers amateurs et maraîchers professionnels.
C’est aussi à cette période que se développent les intermédiaires entre le marchand grainier et le producteur de semences, les « courtiers en graines ». Au cours des décennies qui vont suivre, la sélection sur des bases scientifiques va produire des variétés adaptées à chaque condition de culture, nous dirions aujourd’hui « terroirs ».
Les travaux sur la betterave sucrière (à partir de 1850), sur le blé (à partir de 1856) et la découverte par le moine Gregor Mendel des lois de l’hérédité des caractères (1865) vont modifier considérablement les rapports de l’agriculture à la semence.
Une évolution à l’échelle mondiale
La profession évolue de même manière à l’étranger, en Angleterre, au Danemark, en Allemagne (Benary en 1843), aux Pays-Bas, Sluis, (1813), puis Sluis & Groot et Royal Sluisen 1872. Aux Etats-Unis, sont créées les entreprises : Ferry (1854) qui deviendra plus tard Ferry-Morse (1884), Asgrow (1856), Harris Moran (1870) et Burpee (1915). La création de l’américain Pioneer, est beaucoup plus récente, puisqu’elle date de 1926. Au Japon, Takii remonte à 1835.
La graine se développe
L’utilisation de l’imprimerie avait permis la création des catalogues. Le développement du chemin de fer va faciliter le transport des graines et des produits qui en sont issus.
Au cours de la première moitié du XXe siècle, d’autres maisons grainières vont se créer en France : Plan (1920) qui absorbera en 1975 la Société de production grainière (SPG), elle-même issue de « Le potager provençal » en 1949, Girerd (1945), Baumaux (1950), Gautier (1952) tout comme dans le reste du monde (Europe du Nord surtout Suède, Danemark et Pays-Bas, USA, Japon…).
Ceintures vertes
Parallèlement, la culture des potagères va se développer autour des villes (ceintures vertes) ainsi que dans certains bassins favorables (recherche de précocité). Les « maraîchers », puisqu’ils seront appelés ainsi au XIXe siècle, vont alors choisir eux-mêmes les plantes qui sont le plus adaptées à leurs productions, créant de nouvelles variétés aux noms évocateurs : Asperge d’Argenteuil, Carotte nantaise, Chou de Pontoise, Haricot de Soissons, Haricot de Bagnolet, Laitue Gloire de Nantes, Navet de Croissy, Oignon jaune paille des Vertus, Poireau de Gennevilliers, Melon de Cavaillon, Piment de Bresse, Piment d’Espelette, Tomate de Marmande…
Les grands bassins de production vont inciter de nombreux producteurs à faire leurs propres variétés et commercialiser les semences dans leur zone d’influence (Bassin nantais, Bassin marmandais,…)
La production française de semences est reconnue au niveau international et quelques maisons grainières vont encore se développer à l’exportation.
Vilmorin-Andrieux et Cie (VAC) acquiert une renommée mondiale (Amérique du Nord, Russie, Japon, Chine, Amérique centrale, Amérique du Sud jusqu’en Patagonie) en ayant des catalogues aux gammes variétales larges.
La semence se concentre
Mais la production s’intensifie et les techniques culturales deviennent plus pointues. Le maraîcher ne peut plus produire dans de bonnes conditions de pureté et d’état sanitaire les semences nécessaires à son exploitation. De petites maisons grainières locales, nées après la Seconde Guerre mondiale vont vivre pendant une bonne vingtaine d’années, puis, à partir de la fin des années 1960, de nombreux regroupements et disparitions ont lieu. C’est la naissance des « sociétés de semences » ou « semenciers ».
En même temps, l’Homme, devenu plus urbain, se découvre un besoin de nature et se passionne pour le jardinage. La distribution des petits sachets contenant de faibles quantités de semences[2] emboîte le pas de la distribution des produits alimentaires et autres produits pour la maison. Les maisons grainières vont alors se spécialiser : produits grand public et produits professionnels.
Enfin, d’autres regroupements auront lieu car les investissements pour la création de nouvelles variétés et l’internationalisation des produits nécessitent des moyens très importants aussi bien techniques qu’humains. C’est ainsi qu’en 1933, Vilmorin-Andrieux ouvre son capital à des investisseurs étrangers à la Famille. Cette situation durera jusqu’au début des années 1960 pour se terminer en 1962 par la vente totale de l’entreprise. Après de nombreuses vicissitudes, Vilmorin S.A. est racheté en 1975 par le groupe Limagrain, important semencier dans le domaine du maïs.
Face à la grande distribution, les sociétés de produits du jardin sont, elles aussi, obligées de se réorganiser. De nouvelles filières se créent, comme la filière « jeunes plants potagers et floraux » ou encore la spécialisation « agriculture biologique », entraînant de nouveaux acteurs sur le marché de la semence.
Une indispensable évolution pour survivre
L’évolution des acteurs du marché de la semence est intimement liée à la transformation de la société humaine, prenant en compte aussi bien la progression des connaissances scientifiques que la modification du cadre de vie et du comportement des citoyens.
L’internationalisation des marchés oblige les sociétés de semences à créer des variétés adaptées aux différents milieux et aux différentes habitudes de consommation.
Enfin, la concurrence sur les prix des produits consommables délocalise constamment les lieux de production, ce qui entraîne une course effrénée à la création de nouvelles variétés. S’adapter ou mourir… comme l’évolution des espèces.
A lire …
– Histoires de légumes, M. Pitrat et C. Foury – INRA éditions (2003)
– L’Horticulture angevine des origines à l’an 2000 – Société d’Horticulture d’Angers et du Maine-et-Loire éditeur (2000)
– Une famille, une maison, Vilmorin-Andrieux, Georges Trébuchet, Christian Gautier – L’historique de Verrières éditeur (1re édition 1982)
-Textes sur l’histoire de Vilmorin-Andrieux et Verrières le Buisson (textes anonymes, 2000 à 2009).
-Histoire des légumes, G. Gibault, Menufretin, Archives nutritives (1912).
– Trébuchet Georges : cultures spécialisées en Essonne, compte-rendu de table ronde du colloque de 1993
[1] Je ne cite là que les maisons qui ont existé jusqu’à la 2ème moitié du XXème siècle et dont certaines existent encore.
[2] ce que l’on appelle le paquetage sous marque