Jeunes urbains Pourquoi aiment-ils leurs plantes ?
La végétalisation des villes, qui s’inscrit dans les solutions fondées sur la nature, permet d’atténuer l’impact des canicules tout en favorisant la biodiversité dans des espaces très urbanisés. Les plantes sont devenues hautement désirables en ville. Or, à l’échelle d’une ville, les espaces verts publics ne représentent qu’une partie de l’ensemble des espaces végétalisés. D’où l’intérêt des urbains pour leurs propres plantes.
La métropole du Grand Lyon estime par exemple que 70 % de ses espaces verts se trouvent dans le parc privé1. Au travers de leurs jardins ou de leurs balcons, les habitants des villes ont eux aussi un rôle à jouer dans le verdissement des villes. Pour les mobiliser dans cet objectif, il est important de mieux comprendre les relations qu’entretiennent les urbains avec leurs plantes.
Se connecter à une nature bénéfique et utile
En janvier 2020, mille jeunes urbains, âgés de 25 à 40 ans, ont répondu à une enquête menée par Astredhor et Audencia Business School, dans le cadre du programme scientifique de l’UMT STRATège2. Cette enquête explore différentes dimensions de leur relation au végétal dans l’espace privé.
Qu’évoque pour les jeunes urbains l’idée d’avoir des plantes chez soi ? C’est la première question qui leur a été posée, les laissant libres dans leurs réponses. En ce qui concerne les évocations positives, les jeunes urbains associent en majorité l’idée d’avoir des plantes chez soi à la relaxation, à la détente. Ils font ensuite le lien entre la vie et le vivant, et son aspect apaisant. Viennent ensuite la dimension esthétique du végétal et les bénéfices attribués à la présence des végétaux. En première analyse, les résultats montrent que les jeunes urbains apprécient les plantes pour se reconnecter à la nature, physiquement et symboliquement, et pour leurs bénéfices sur le bien-être mental et physique.
Même si les jeunes urbains sont en attente d’une reconnexion à la nature, leur vision des plantes semble plutôt « anthropocentrée », tournée vers l’usage, vers l’utilité de la plante, en particulier son bénéfice potentiel sur le bien-être.
S’occuper de ses plantes : corvée ou plaisir ?
Les mots négatifs qui sont évoqués spontanément par les jeunes urbains en ce qui concerne leurs plantes sont principalement tournés vers les contraintes pour les maintenir en vie. C’est une tâche qui prend du temps, et qui occupe de l’espace, très sou-vent restreint en milieu urbain. Les jeunes évoquent également la présence d’insectes et de terre comme source de nuisances directement liées au végétal. Interrogés sur leur plante idéale, les jeunes urbains citent comme premières qualités des critères de facilité, de résistance et de durée de vie. Pour autant, cela ne préjuge pas du plaisir qu’ils prennent à jardiner. La moitié d’entre eux déclare prendre plaisir à rempoter, tailler, entretenir. Pour l’autre moitié, cela représente une contrainte.
La presse et les médias se font l’écho d’une tendance au « plant parenting » chez les jeunes propriétaires de plantes, en référence aux soins donnés à un enfant ou à un animal de compagnie. Ainsi 43 % des jeunes urbains déclarent qu’ils s’attachent à une plante comme ils s’attacheraient à un animal. Nous sommes allés plus loin, en identifiant si certains donnaient des noms à leurs plantes, comme on baptise son animal de compagnie. Seulement 14 % adhèrent à cette pratique. Finalement, le « plant parenting » proprement dit concerne donc assez peu de jeunes urbains.
Jardiner : un engagement écologique ?
La question de l’alimentation durable prend de plus en plus de place dans notre société, notamment chez les jeunes générations. Ainsi, dans notre enquête, 44 % des jeunes urbains déclarent être flexitariens (forte réduction de la consommation de viande, sans se l’interdire pour autant) et 39 % achètent régulièrement ou exclusivement des aliments issus de l’agriculture biologique. S’occuper des plantes s’inscrit-il dans le prolonge-ment de cette conscience écologique ?Nous avons croisé ces éléments relatifs à la conscience environnementale des jeunes urbains avec leur perception des activités de jardinage. Les résultats montrent une continuité entre leur conscience environnementale et leur appétence pour l’entretien des plantes. Par exemple, rempoter est davantage un plaisir pour ceux qui sont intéressés par la permaculture ou pour ceux qui se sentent concernés par la disparition des espèces. Notre enquête confirme que les jeunes urbains qui font des choix pour une alimentation durable sont les plus enclins à verdir leur environnement.
Le végétal, support pour tisser des liens
L’enquête menée en 2020 montre que le végétal donne le senti-ment d’appartenir à une communauté, synonyme d’échanges et de liens sociaux et suscitant un sentiment d’appartenance. Pour les trois quarts des jeunes interrogés, discuter des plantes est un moment convivial. En revanche, discuter des plantes sur un forum, un blog fait moins sens que des interactions réelles avec les amis ou la famille.
Des entretiens menés en 2024 auprès d’Angevins3 montrent l’importance de créer du lien social autour du jardinage pour favoriser la végétalisation. Celui-ci se noue autour de lieux d’échanges physiques (ateliers, jardins partagés, ou tout simplement des relations de voisinage), mais aussi virtuels. L’échelle du quartier ou de la résidence semble la plus appropriée pour créer une dynamique et lancer des actions adaptées à la réalité locale. Ces résultats font écho à l’enquête menée récemment par l’Observatoire des villes vertes sur les projets des collectivités pour impliquer les citadins dans le verdissement de la ville4. Les responsables des villes, comme leurs administrés, s’accordent sur la nécessité de la communication et l’accompagnement des habitants pour une végétalisation à long terme.
La force du « faire ensemble »
Aujourd’hui, de nombreuses villes se sont saisies de la question de la végétalisation des espaces privés et soutiennent des projets portés par les habitants. Il semble important de proposer et valoriser le « faire ensemble ». Il reste à creuser comment les urbains perçoivent leurs jardins et leurs balcons au regard des enjeux écologiques actuels et quels sont les leviers pour les mobiliser. Les acteurs de la filière horticole ont également un rôle à jouer. En plus du végétal « bien-être » et au-delà de la plante « facile » et résistante, ces travaux encouragent la filière horticole à valoriser le jardinier amateur comme acteur à part entière de la préservation de l’environnement.
Anne-Laure Laroche
Astredhor Institut des professionnels du végétal, animatrice de l’UMT STRATège
Gervaise Debucquet
Audencia, enseignant-chercheur
1 https://www.grandlyon.com/services/nature/vegetalisation-desespaces-
prives
2 L’UMT STRATège vise à apporter des éléments de connaissance et de compréhension sur le marché horticole urbain par le biais de travaux de recherche. Elle associe sept partenaires, dont Astredhor, qui en assure l’animation (https://umtstratege.hub.inrae.fr/)
3 Travail d’enquête mené par six étudiants de l’Institut Agro pour l’UMT STRATège en avril et mai 2024. Non publié à ce jour.
4 Observatoire des villes vertes. Mai 2024. Végétalisation de l’espace privé : où en sont les villes ? publié en mai 2024 sur https://www.observatoirevillesvertes.fr/vegetalisation-de-lespaceprive-ou-en-sont-les-villes/