Les plantes pas dures de la feuille ?
Les dispositifs sonores permettant de stimuler diverses fonctions de la plante, telles que sa croissance ou son immunité, ont fait leur apparition parmi les solutions proposées aux agriculteurs ou horticulteurs. S’il est impossible d’évaluer l’efficacité de ces dispositifs faute de données disponibles, les connaissances scientifiques permettent de dire que, dans certaines conditions, l’effet du son sur les plantes est bel et bien réel. Pourtant on ignore encore tout de la biologie de sa perception.
Les plantes peuvent-elles percevoir les sons ? Encore récemment, cette question pouvait sembler étrange pour un biologiste, les plantes n’étant pas dotées d’un organe auditif identifié, ni ne réagissant de manière évidente aux sons.
Pourtant, l’idée que les plantes seraient sensibles à la voix ou aux sons semble profondément ancrée dans l’inconscient collectif. On a vu apparaître dès le milieu du XXe siècle de nombreux albums qualifiés de « musique pour les plantes »v, qui fournissaient « une musique chaleureuse pour les plantes… et les gens qui les aiment », et qui étaient offerts aux acheteurs de plantes vertes dans une jardinerie de Los Angeles.
Aujourd’hui, cette mode persiste sous la forme d’expériences de connexion entre les plantes et les humains, via de petits dispositifs électroniques2, qui traduisent en musique l’activité électrique captée à la surface des plantes.
Des premiers résultats sur l’impact des sons
Dès les années 1960-1970, des scientifiques ont cherché à évaluer l’impact des ondes sonores sur les végétaux, sous abri ou en plein champ (céréales et légumes, tels que l’orge, le blé, le riz, le chou, les concombres, les haricots, les tomates, les fraises…), avec des sons purs bien définis, en variant la fréquence (de quelques centaines à quelques milliers de hertz), l’intensité (souvent élevée, jusqu’à 100 décibels), la durée de l’exposition (de quelques secondes à plusieurs jours), et ce à différents stades végétatifs.
Les résultats ont alors permis d’établir un impact généralement positif des sons sur la croissance des végétaux, augmentant le taux de germination, la hauteur de la tige, l’élongation et l’orientation des racines, ainsi que la résistance aux maladies. L’effet était dépendant des espèces et des caractéristiques du traitement sonore.
Dans la foulée de ces travaux pionniers, les premiers systèmes de diffusion sonore ont pu être proposés aux agriculteurs pour stimuler et protéger leurs cultures, notamment aux États-Unis et en Chine.
Des effets positifs sur la croissance, mais aussi sur l’immunité
Au début des années 2000, des chercheurs de l’université chinoise de Chongqing (Sichuan) ont effectué des travaux visant à donner une explication à l’effet du son sur les plantes. Au niveau cellulaire, les ondes sonores audibles ont un impact sur la concentration en ions calcium dans les cellules et sur les microfilaments d’actine, composants majeurs du squelette cellulaire, ainsi que sur la déformabilité et la structure des membranes cellulaires.
Une nouvelle vague de travaux a profité du développement de la bioacoustique, d’abord en 2010 en Australie, puis en 2014, à l’Université du Missouri (États-Unis). Ces études montrent que l’exposition de l’arabette des dames (Arabidopsis thaliana) à un enregistrement audio des vibrations sonores produites par la mastication de la chenille de la piéride (Pierisrapae) améliorait chez cette plante sa capacité ultérieure à se défendre efficacement contre la chenille (Appel &Cocroft, 2014).
Ces travaux questionnent directement l’adaptation des organismes à leur milieu : grâce à eux, la bioacoustique végétale a pu émerger en tant que nouveau champ d’études.
Notre groupe de recherche a ainsi exploré récemment les impacts du son sur l’immunité des plantes. Nous avons constaté que les sollicitations sonores peuvent nettement renforcer la résistance de l’arabette à la pourriture blanche causée par le champignon Sclerotinia sclerotiorum. La stimulation acoustique consiste en un son monofréquence de 1 kHz, d’intensité 100 dB pendant trois heures, appliqué une fois par jour pendant dix jours.
Le gain de résistance obtenu par stimulation apparaît fortement dépendant de la durée d’exposition et il faut au moins trois stimulations pour constater un gain de résistance de 25 %. Ce gain reste stable pour un plus grand nombre de stimulations.
Par séquençage d’ARN, on a déterminé qu’un tiers du génome est impliqué dans la réponse immunitaire de la plante avec des cascades de transcriptions de gènes qui forment une mémoire.
Des stimulations trop fugaces
Cependant, cette mémoire transcriptionnelle est aussi à l’origine de contraintes fortes sur les effets conférés par le son aux plantes. La première limite est l’impossibilité d’obtenir un gain plus grand en stimulant plus fréquemment les plantes. La seconde limite est la durée très courte de la mémoire transcriptionnelle. Nos expériences montrent que lorsqu’on arrête les stimulations acoustiques, le gain de résistance disparaît après un jour et demi. Cruelle réalité !
« La bioacoustique végétale a pu émerger en tant que nouveau champ d’études. »
Il est encore difficile de savoir si ces résultats sont extrapolables à d’autres couples plantes-pathogènes et ils sont trop récents pour avoir été confirmés par d’autres équipes de recherche.
Encore de nombreux mystères sur le mode de perception des sons
Même si l’on constate des gains conséquents, mesurables, reproductibles, il n’est pas évident que le son soit perçu directement par la plante. Les effets constatés pourraient être des conséquences indirectes de la perturbation du fonctionnement de la plante.
À l’heure actuelle, trois mécanismes probables sont avancés pour expliquer comment les plantes pourraient percevoir le son. La première hypothèse repose sur les trichomes, ces petits poils qui recouvrent la surface des feuilles et des tiges de nombreuses plantes (Fig. A), qui pourraient agir de façon similaire aux cellules ciliées de la cochlée dans nos oreilles. La deuxième hypothèse repose sur les canaux ioniques présents dans la membrane cellulaire et sensibles aux variations de pression. Ces hypothèses n’ont pas encore été vérifiées.
Enfin, un autre type de structure, les microtubules, semble également adapté à la perception sonore. Ces filaments, qui composent le cytosquelette de toutes les cellules, peuvent détecter les signaux mécaniques de faible amplitude. Ceci suggère qu’ils pourraient également être impliqués dans la perception des ondes sonores par les plantes. Notre groupe de travail a engagé des travaux pour déterminer si le son est réellement perçu ou non par les plantes. Les premières données illustrent les difficultés à surmonter, tant les effets sont infimes. Qu’on en juge : l’amplitude maximale des déplacements des feuilles provoquée par un son de fréquence inférieur à 1 kHz à 100 dB est de l’ordre de la taille d’un virus, ou de la taille d’une molécule pour des sons plus aigus (Fig. B).
Adelin Barbacci
Université de Toulouse, Inrae, CNRS, Laboratoire des Interactions Plantes Microorganismes Environnement (LIPME),
Frédérick Garcia
Université de Toulouse, Inrae, Laboratoire de Mathématiques et d’Informatique Appliquées de Toulouse (MIAT),
Bruno Moulia
Université Clermont Auvergne, Inrae, Laboratoire de Physisque et de Physiologie Intégratives de l’Arbre en environnement fluctuant
Aroune Duclos & Éric Ballestero
Université du Mans, CNRS, Laboratoire d’Acoustique de l’Université du Mans
1 Mother Earth’s Plantasia de Mort Garson – 1976
2 Plant Wave de l’entreprise californienne Data Garden, vendu dans le monde entier
RÉFÉRENCES
Appel H., Cocroft R. 2023. Plante coacoustics: a sensory ecology approach. Trends Ecol Evol. 38:623-630.
https://doi.org/10.1016/j. tree.2023.02.001
Barbacci A., Raffaele S. 2021. La résistance quantitative aux maladies chez les plantes, in: L’immunité des plantes. Pour des cultures résistantes aux maladies. Quae, pp.51-63.
Hadj-Amor K. 2024. Classification et inférence de réseaux de gènes à partir de séries temporelles très courtes. Application à la modélisation de la mémoire transcriptionnelle végétale associée à des stimulations sonores répétées. (Mathématiques Appliquées). Paul Sabatier.
Khait I, et al. 2023. Sounds emitted by plants under stress are airborne and informative. Cell 186:1328-1336. e10.https:// doi.org/10.1016/j. cell.2023.03.009