CE CHÊNE FRANÇAIS dont on fait les tonneaux
C’est en vertu de notre art de vivre qui a donné naissance à tant de crus renommés que les tonneliers français ont bâti leur savoir-faire unique. Mais c’est aussi grâce à la qualité de leur matière première : le chêne issu de nos plus belles forêts. Parce que de siècle en siècle, ils ont su tisser avec les vignerons des liens étroits, leurs tonneaux sont à présent une référence incontestable pour permettre aux vins et spiritueux les plus prestigieux d’atteindre l’excellence.
Le bois : indispensable à l’élevage et à la conservation des vins et des alcools
Le bois joue pour le vin et les alcools un rôle essentiel, que le plastique, l’inox ou le ciment ne sauraient remplacer. Des générations de vignerons et de distillateurs ont fait le constat que, logés dans certains bois, et notamment le chêne, ces boissons se modifiaient, que leur coloration et leur arôme se transformaient, et qu’une lente oxygénation s’opérait à la faveur de la perméabilité du bois, matériau vivant. Cette réalité, les oenologues et scientifiques l’ont à leur tour confirmée, la prouvant par leurs propres expériences et recherches. Aujourd’hui, nul ne conteste que l’élevage en fût est l’élevage noble. Le fût en bois est en effet capable de sublimer en profondeur les qualités d’un vin ou d’un alcool, d’en révéler le meilleur. Avec lenteur, car le temps est un composant crucial : de la naissance du chêne au moment de la dégustation passent au minimum deux cents ans.
Héritière de deux mille ans de tradition, la tonnellerie est l’un des fleurons de l’industrie du bois en France. Les fûts de chêne français sont de véritables produits « haute couture » qui contribuent à l’élevage des plus grands vins et spiritueux du monde. Grâce à la qualité de sa matière première et à son savoir-faire, la tonnellerie française jouit désormais d‘une renommée internationale. La profession exporte environ 70 % des 650 000 barriques qu’elle produit en moyenne chaque année.
Unique activité « bois » excédentaire de la balance commerciale française, la tonnellerie contribue à la gestion durable de la forêt tricolore, en favorisant ses fonctions écologiques, biologiques, économiques et sociales, par l’emploi d’un matériau pluricentenaire patiemment élaboré par les forestiers et exploité par les mérandiers. Elle représente aujourd’hui en valeur le premier marché du chêne français, issu pour 70 % de forêts domaniales et communales et pour 30 % de forêts privées.
Le chêne à merrain : une richesse française
Depuis le XVIIe siècle, nos forêts domaniales et communales bénéficient d’une longue tradition de gestion en futaie régulière, tradition également suivie par les forêts privées. En 1669, la forêt française étant surexploitée, Colbert, contrôleur général des finances de Louis XIV, prend une ordonnance qui oblige à en conserver une partie en haute futaie pour les besoins de la charpente de marine. À partir de la moitié du XIXe siècle, cette gestion en futaie régulière est progressivement généralisée, les besoins en bois de chauffage déclinant au profit de nouvelles sources d’énergie. Ce mode de sylviculture consiste à conduire en peuplement des arbres de même âge et à les renouveler à maturité. Leur régénération se fait naturellement à partir de glands de chênes adultes afin de conserver leur patrimoine génétique. Les chênaies domaniales et communales notamment ont aujourd’hui atteint un capital sur pied optimum qui permet d’en récolter la production. Elles n’ont jamais été aussi riches en gros bois : les surfaces des futaies de 120 à 180 ans sont très importantes. L’Office national des forêts prend soin de pérenniser cet héritage par une gestion durable qui a valeur d’exemple dans le monde entier.
Si, au cours des siècles, les tonneliers ont employé diverses essences de bois, le chêne est aujourd’hui très majoritairement privilégié par la profession. La réglementation l’impose pour l’élevage de certains alcools, tel le cognac. Ils confient donc à l’expertise des mérandiers la sélection des arbres qui offriront les meilleures qualités techniques et organoleptiques. Deux espèces dominent la chênaie française : le chêne sessile (ou rouvre) et le chêne pédonculé. Le premier dispose d’excellentes vertus aromatiques et le second est plus riche en tanins. Tronçais, Bercé, Darney, Loches, Bellême, Fontainebleau… les plus belles forêts de France sont une source d’approvisionnement de merrains de la meilleure qualité. Le bassin ligérien est le berceau du chêne sessile à grain fin, particulièrement adapté à l’élevage des grands vins.
Les chênes récoltés sont appelés « grumes ». Celles-ci deviendront des merrains après les opérations de tronçonnage et de découpe en billons. Étape clé et véritable savoir-faire des mérandiers français, la fente intervient ensuite. Cette technique traditionnelle nécessite des professionnels un oeil infaillible pour suivre le fil du bois. Fendu en quartiers, le billon est alors débarrassé du coeur, de l’aubier et de l’écorce afin d’extraire du bois noble des pièces de merrain de droit-fil. Les quartiers sont alors sciés à l’épaisseur souhaitée. Quatre à cinq mètres cubes de grumes de chêne de premier choix donneront un mètre cube de merrains, qui seront empilés en plein air, pendant 24 mois minimum, afin de les affiner naturellement. Une étape de maturation primordiale pour l’excellence des futurs fûts de chêne.
Délivrer tout le potentiel d’un cépage et d’un terroir, telle est la vocation du tonneau
C’est d’abord grâce à leur proximité avec les vignobles et les vignerons et oenologues français les plus prestigieux que les tonneliers ont développé leur savoir-faire. Ils ont eu à coeur de multiplier à leur côté les expérimentations qui hisseraient l’élevage sous-bois au plus haut. Délivrer tout le potentiel d’un cépage et d’un terroir, telle est la vocation du tonneau.
Pourtant ce savoir-faire partagé par tous cache autant de signatures que de tonneliers. Si le process de fabrication d’un fût repose sur des étapes communes, il en est quelques-unes qui procèdent de choix techniques raisonnés, propres à chaque tonnellerie, et qui font toute la différence à l’instant de la dégustation. Le choix de la forêt dont provient le bois et le grain de celui-ci sont un premier gage de distinction d’un tonnelier à l’autre. Le mode, le temps et le lieu de maturation retenus également, car ils ont un impact sur la diminution du taux d’hygrométrie du merrain, l’élimination de ses éléments indésirables et la nécessaire bonification de ses tanins. La chauffe du fût, en outre, joue un rôle majeur dans la complexité qu’elle apporte à celui-ci. Selon son intensité et sa durée, les composants du chêne s’en trouvent modifiés différemment. Autant de paramètres qui agiront sur la qualité du profil aromatique et tannique du fût, et donc du vin.
Sélection et maturation du bois, type de chauffe, constituent donc l’empreinte discrète que le fût se propose de laisser au vin, avec le consentement de l’oenologue ou du maître de chai. En effet, durant l’élevage, le vin s’enrichit des tanins et autres composants que lui offre le chêne. Ses arômes évoluent, sa structure se modifie. Il gagne notamment en rondeur, en longueur et en profondeur. Au travers des parois s’opèrent des phénomènes d’oxydoréduction ménagée qui améliorent sa garde. Au terme de ce doux échange long de plusieurs mois, l’alliance entre le bois et le vin révèle enfin une harmonie, une infinité de nuances et des équilibres subtils. Alors peut-on parler de mariage heureux. La promesse d’un moment d’exception.
Alice Dekker
Fédération des tonneliers de France