Hêtres en majesté au parc du Moulin-à-Tan de Sens
Vaste îlot de verdure de presque dix-sept hectares, arraché à l’urbanisation pavillonnaire anarchique de la ville des années 1970-1980, le parc du Moulin-à-Tan, situé à la frange sud de la ville, se veut intégrer une ceinture verte qui, à terme, pourrait entourer Sens (Yonne). À l’origine, il s’agit de terrains enfermant une ancienne usine de production de tan – d’où son nom – constitués de maigres taillis, peupleraies et prairies en friche.
Le moulin, reconstruit par la société Domange en 1887, utilisait la force motrice de la Vanne afin de piler l’écorce des chênes des forêts avoisinantes (forêt d’Othe) pour donner le tan, une poudre grossière utilisée pour la transformation des peaux en cuirs. Il fournissait les nombreuses tanneries du quartier sud de la ville de Sens (Yonne) qui contribuaient, à l’époque, à l’opulence de la cité. Le déclin de cette industrie dans les années 1925-1950 puis de celles appelées à entretenir une activité, a conduit à la mise en sommeil de cette propriété qui est progressivement devenue une friche industrielle avec pour seule perspective, comme toute cette frange sud de la ville, la démolition des bâtiments et la création d’un énième lotissement pavillonnaire.
De la conception du projet
La partie paysagère du parc du Moulin-à-Tan, ouverte au public en 1988, occupe actuellement près de quatorze hectares. Le bâtiment du moulin lui-même constitue un beau potentiel pour une affectation culturelle éventuelle, ses caractéristiques extérieures et intérieures restant préservées.
Voulu et conçu dès l’origine comme un espace naturel, rustique et de loisirs, ce parc de type paysager décline, dans une unité de style et de composition, une succession d’entités à vocations très différentes où se côtoient arboretum, enclos animaliers, roseraie paysagère, sous-bois et sa flore particulière, allée de senteurs, plaine de jeux, serres tropicales…
Ainsi, une allée de ceinture aux courbes douces distribue l’ensemble et ménage à chaque inflexion la découverte d’une nouvelle composante du parc. L’identité très variée de celles-ci capte non seulement le promeneur contemplatif mais également l’utilisateur à la recherche de références horticoles ou d’un service (aires de jeu, enclos animaliers, aire de pique-nique, etc.).
Une belle collection de taxons aux qualités complémentaires2
La variété des taxons choisis assure un décor de grand intérêt, esthétique et botanique. Le hêtre commun, aussi appelé fayard, ou fau, est à l’origine d’un grand nombre de cultivars de dénomination parfois imprécise, dont la plupart sont des « sports » (mutations du type) de grande valeur ornementale et très répandus dans les jardins.
Se côtoient ainsi dans cet espace les cultivars suivants :
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- F. sylvatica ‘Asplenifolia’, ou hêtre à feuilles de fougère, dont l’origine, française, remonte à 1811. Son feuillage est plus fin que celui de ‘Laciniata’, et sa croissance plus lente, formant une cime conique qui ne dépasse pas 10 mètres de hauteur.
- F. sylvatica ‘Bornyensis’, pleureur et asymétrique, les branches retombant souvent du même côté du tronc, quelques-unes plus légères de l’autre côté.
- F. sylvatica ‘Dawyck’ ou ‘Fastigiata’, hêtre fastigié, observé à Dawyck, en Écosse, vers 1864, mis au commerce par les pépinières allemandes Hesse vers 1913. Un magnifique arbre de parc, en solitaire, au port colonnaire et au feuillage vert foncé brillant.
- F. sylvatica ‘Dawyck Gold’, dont le feuillage d’abord jaune doré vire au jaune au printemps et au vert clair en plein été, avant de redevenir jaune doré. Un très bel arbre devant des arrière-plans foncés.
- F. sylvatica ‘Dawyck Purple’, d’un rouge profond au brun-noir. Un arbre d’une hauteur de 20 à 30 mètres.
- F. sylvatica ‘Pendula’, un hêtre pleureur vert, trouvé en Angleterre en 1836. Les branches principales horizontales s’élancent puis retombent, avec des ramifications pendantes. Hauteur 18 à 20 mètres.
- F. sylvatica ‘Purple Fountain’, avec une flèche dressée et des branches retombantes. Son débourrement est d’un rouge remarquable, puis son feuillage rouge-brun. Intéressant aussi bien dans les grands que les petits jardins.
- F. sylvatica ‘Purpurea Latifolia’, dont les grandes feuilles d’un rouge profond virent au noir-brun intense.
- F. sylvatica ‘Purpurea Pendula’, un des plus beaux arbres pleureurs à feuillage pourpre noir. Il croît lentement, plus ou moins en forme de tonnelle, sans tronc ni flèche. Ses solides branches retombent légèrement arquées, tandis que les vigoureux rameaux croissent perpendiculairement.
- F. sylvatica ‘Purpurea Tricolor’, un petit arbre de vigueur modérée dont les feuilles pourpres maculées de blanc sont bordées de rose. Des couleurs qui ne se maintiennent qu’à mi-ombre et s’atténuent au cours de la saison.
- F. sylvatica ‘Riversii’ ou ‘Purpurea Major’, le plus beau hêtre aux grandes feuilles d’un noir-brun profond et brillant. Un grand arbre de parc à large couronne conservant sa couleur jusque tard en automne.
- F. sylvatica ‘Rohanii’, venu de Bohême en 1894. Ce bel arbre de vigueur modérée porte des feuilles irrégulières brun foncé, profondément incisées.
- F. sylvatica ‘Rohan Obelisk’, une déclinaison du ‘Rohanii’ au feuillage brun-rouge foncé.
- F. sylvatica ‘Rotundifolia’. Un petit arbre de 15 mètres de hauteur, aux branches retombantes et au feuillage arrondi.
- F. sylvatica ‘Zlatia’, aux feuilles dorées, découvert en Serbie (du serbe Zlato : or) en 1890 puis mis au commerce par Späth. Un arbre remarquable, aux branches étalées, au port large et puissant. Ses feuilles jaune brillant verdissent progressivement en été.
- Nothofagus antartica, ou hêtre de l’Antarctique. Natif de la forêt andine de Patagonie, ce « faux hêtre » fait partie de la famille des nothofagacées. Introduit en Europe en 1830, seul représentant de cette origine géographique, il méritait de côtoyer de « vrais » hêtres !
« Toutes les parties du parc ont été voulues et plantées dans le souci d’un enrichissement végétal du site, très pauvre à l’origine. »
Un parc aux qualités remarquables
Depuis 2011, le parc du Moulin-à-Tan possède le label Jardin remarquable délivré par la Direction régionale des affaires culturelles de Bourgogne. Son arrêté d’attribution synthétise bien l’ambition donnée à ce projet dès l’origine, mentionnant que « le parc du Moulin-à-Tan et les serres de collections tropicales ont retenu l’attention par leur intérêt botanique tout à fait remarquable accompagné d’un bel effort de communication, de pédagogie et de documentation conçu pour une meilleure approche de la biodiversité et comme un accompagnement à la création du jardin de ville ».3
Jean-Luc Boulard
Ancien directeur du Service parcs, jardins et espaces verts de la ville de Sens, concepteur du parc
1 Nom générique donné à toute unité systématique (espèce, genre, etc.)
2 Notes extraites de l’ouvrage Arbres & Arbustes d’ornement des régions tempérées et méditerranéennes, R. Bossard, P. Cuisance, Technique & Documentation Lavoisier, 1984 et le Livre des arbres des Pépinières Boomkwekefij Udenhout, 2008, (fournisseur des sujets plantés dans cette zone du parc).
3 Signé par la préfète de la Région Bourgogne Anne Bocquet, courrier adressé à M. Daniel Paris, maire de Sens, en date du 16 juin 2011.