Un géant aux pieds d’argile : Le châtaignier
Arbre commun de nos paysages ayant façonné le visage de nombreuses régions du territoire national, le châtaignier européen (Castanea sativa), reste encore aujourd’hui la principale espèce forestière malgré une existence difficile au cours des siècles.
Présent en Europe avant la dernière glaciation, le châtaignier a dû sa survie à des zones refuges. Son aire actuelle résulte de l’action de l’homme et d’une dissémination naturelle.
Une colonisation chaotique
Les suivis ethnobotaniques indiquent que les évènements climatiques ont largement influencé la recolonisation des territoires métropolitains. Du fait de ses origines, le châtaignier redoute l’excès de froid et d’humidité. Depuis les temps romains jusqu’au XIe siècle, il est cultivé comme arbre fruitier d’appoint ou pour son bois. C’est la forte croissance démographique du XIIIe siècle et la difficulté à satisfaire les besoins alimentaires qui font de la production de châtaignes une priorité. Ce développement est associé au recours au greffage des spécimens les plus appréciés. Les travaux récents montrent qu’il y a eu des échanges continus de gènes entre les variétés cultivées et les châtaigniers « sauvages ». Au cours du XVIIe siècle, son expansion est ralentie en raison d’épisodes de gel, mais reprend au siècle suivant pour connaître son âge d’or jusqu’au XIXe siècle.
Le XIXe, siècle de l’exotisme
À partir des années 1870, la place du châtaignier destiné à la production de fruits régresse fortement du fait notamment de la compétition avec d’autres cultures, d’une surexploitation industrielle, de l’exode rural ou encore d’une mauvaise image (fruit du pauvre ou de paysan) mais principalement à cause de plusieurs bioagresseurs : le Phytophthora cinnanomi, introduit d’Asie et le P. x cambivora. L’un s’attaque aux racines, l’autre au collet. Tous les deux provoquent la maladie de l’encre. Avec quelques hivers notoirement très froids (1870-1871 et 1879-1880), cette maladie a été particulièrement dévastatrice dans le sud de la France, surtout le Sud-Ouest.
Le XIXe siècle correspond aussi à l’explosion des échanges et des tentatives d’acclimatation d’espèces botaniques comme les rosiers originaires de Chine pour créer les variétés remontantes, avec de nouvelles couleurs, mais, malheureusement aussi sensibles aux maladies. C’est aussi l’introduction du Phylloxera qui provoque une crise très profonde dans la viticulture. La solution ? Elle vient de G. Bazille, l’un des trois découvreurs du Phylloxera avec F. Sahut et J.-É. Planchon, qui ont eu l’idée de greffer les cépages ancestraux sur des espèces américaines cultivées à Montpellier. Le recours à des espèces résistantes de Vitis originaires d’Amérique a malheureusement entraîné l’abandon des cépages ancestraux qui faisaient la qualité et la renommée de leurs produits. Parmi les pionniers, il faut aussi citer G. Couderc, fortement impliqué dans la recherche de porte-greffes. Ces techniques, chronophages, demandant une formation particulière pour le greffage, économiquement onéreuses et exigeant des dizaines d’années pour transférer l’ensemble des variétés sur des porte-greffes résistants afin de les adapter aux sols et aux climats, se sont finalement imposées. Aujourd’hui, il ne viendrait à l’idée de personne de les rejeter.
Le XXe siècle : châtaigniers et vignobles, un même combat
Des hybrides de cépages européens x américains ont été largement cultivés, mais après constat de la production de méthanol lors de la fermentation, ils ont été interdits en 1934. Aujourd’hui la grande majorité des vignes est greffée sur porte-greffes résistants au Phylloxera. En ce qui concerne le châtaignier, depuis la fin du XIXe siècle, la production nationale de châtaignes a chuté, passant de 510 000 tonnes à 180 000 tonnes dans les années 1920. Elle est de moins de 6 000 tonnes en 2017. Depuis le début des années 2000, avec les excès climatiques (sécheresse, excédents d’eau), le P. cinnanomi provoque une nouvelle vague de mortalité. Aucun moyen de protection chimique ne s’est montré efficace.
L’histoire du châtaignier est également marquée par la maladie du chancre, due à Cryphonectria parasitica (anciennement Endothia parasitica). Ce pathogène a déjà pratiquement exterminé le châtaignier américain, C. dentata aux États-Unis, mais en France, avec son apparition en 1938, son impact est plus contrasté, en particulier du fait de la découverte de virus induisant une hypovirulence du pathogène permettant une guérison des chancres.
Depuis les années 2010, d’autres bioagresseurs ont fait leur apparition : le cynips, Dryocosmus kuriphilus, repéré en 2010 en Ardèche (voir l’article de Nicolas Borowiec page 52) ; le Gnomoniopsis castanea, champignon endophyte pouvant provoquer différents symptômes dont la pourriture des fruits, et pour finir, signalé en 2020, le Phytophthora ramorun, organisme réglementé, dont le rôle dans le dépérissement des châtaigniers reste à déterminer.
Le châtaignier a connu un même mouvement. C’est A. Prunet qui, le premier en France, a proposé d’étudier les résistances des espèces exotiques à la maladie de l’encre. Suivi, entre autres, en Ardèche par A. De Bournet et G. Couderc effectuant les premiers hybrides et J. Dufrénoy en Corrèze. Mais contrairement à la vigne qui a eu recours à l’hybridation, pour le châtaignier ce sont les semis issus de pollinisation libre qui ont été utilisés, d’abord de fruits en provenance du Japon et de Chine jusqu’au décret du 8 mars 1921 puis issus de vergers porte-graine spécifiques.
Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, le constat est fait de l’échec de cette stratégie. Parmi le matériel végétal existant, la station Inra de Brive-La-Gaillarde a sélectionné six hybrides naturels issus de croisement C. crenata X C. sativa. Leurs qualités premières sont le bon comportement vis-à-vis des Phytophthora et d’avoir de gros fruits. En revanche, ils présentent un débourrement précoce, d’où une sensibilité au gel printanier et un manque de qualité gustative. Ils ont été testés comme producteurs directs et porte-greffes. Aujourd’hui Marsol est le premier porte-greffes utilisé en France. Le déploiement de ces variétés a montré des limites à leur utilisation. Des programmes de sélection ont été entrepris à l’Inra à partir de 1955 jusqu’au début des années 2000 avec des hybrides contrôlés qui ont abouti à de nouvelles variétés hybrides, comme Bouche de Bétizac, largement plantée dans le Sud-Ouest, et plus récemment Bellefer ou Jeanette.
Aujourd’hui ?
Après un siècle d’utilisation des espèces exotiques et des hybrides et à l’heure de la relance de la castanéiculture, le bilan est contrasté entre le Sud-Est (comprenant la Corse) et le Sud-Ouest. Pour le Sud-Est, ce type de matériel est mal adapté (besoin d’eau et d’un sol riche) aussi les hybrides sont-ils exclus des signes de qualité comme l’AOP Châtaignes des Cévennes (uniquement les fruits) et l’AOC farine de châtaigne Corse (fruits et porte-greffes exclus). À l’inverse, le Sud-Ouest mise sur une utilisation des nouveaux hybrides pour relancer la production et satisfaire une demande qui se fait plus importante. Enfin, après un siècle de pression de sélection exercée par les Phytophthora, il serait raisonnable de penser pouvoir trouver des C. sativa avec un bon niveau de résistances. Or, il n’en est rien, a priori. Les travaux espagnols et français montrent que les individus à phénotype de C. sativa ayant un bon niveau de résistance ont dans leurs ascendants du C. crenata.
André Bervillé
Ingénieur honoraire Inrae, membre du Comité de rédaction de Jardins de France
François Villeneuve
Ingénieur honoraire du CTIFL, membre du Comité de rédaction de Jardins de France
1 Pour plus d’information : https://s2hnh.org/wp-content/ uploads/2022/04/Phylloxera_v6.pdf
2 Aimée Camus lui a rendu hommage en donnant comme nom d’espèce aux hybrides C. sativa X C. crenata, C. X coudercii Camus, terminologie ayant encore cours aujourd’hui.