Sécheresse et scolytes dans les forêts d’épicéas

Les sécheresses printanières et estivales de ces dernières années engendrent, dans les forêts d’épicéas françaises, une prolifération d’insectes, appelés scolytes. Ils menacent les forêts de plaine ou basse altitude. La lutte est difficile, mais des mesures efficaces existent.

Les différents stades du typographe
Les différents stades du typographe © Wikipédia
Des scolytes en pleine action
Des scolytes en pleine action © ANF

La situation dans les pessières

Les conditions climatiques extrêmes de ces dernières années en France ont engendré de multiples crises sanitaires en forêt. Celles-ci prennent la forme d’une importante prolifération de parasites, insectes et champignons, qui provoquent de sérieux dépérissements dans les peuplements. Ainsi, les effets conjugués des printemps et des étés, exceptionnellement chauds et secs depuis 2018, ont entraîné une prolifération de scolytes dans les pessières (forêts d’épicéas).

Forêt scolytée dans le sud du Tarn à 450 mètres d’altitude
Forêt scolytée dans le sud du Tarn à 450 mètres d’altitude © JCV

Les scolytes constituent un large groupe d’espèces de coléoptères. La plupart d’entre eux sont spécifiques d’une essence en particulier. Pour l’épicéa, on parle du typographe et du chalcographe, pour le pin sylvestre du sténographe, et pour le sapin pectiné du curvidenté… Ces insectes, dont la taille varie entre deux et sept millimètres, sont naturellement présents dans notre écosystème.

Le bostryche typographe (Ipst ypographus) est donc une espèce d’insectes coléoptères de la famille des Curculionidae et de la sous-famille des Scolytinae (originaire d’Eurasie). Le typographe n’attaque que les épicéas, ou presque. Il colonise généralement les arbres malades, stressés ou récemment abattus. On parle alors d’épicéas attractifs ou d’épicéas propices à la ponte (ou simplement arbres de ponte). Les mâles partent en pionniers à la recherche de tels arbres. Ils sont attirés par des substances odorantes émanant des tissus corticaux de ces arbres (kairomones) et par les substances attractives sécrétées par leurs congénères (phéromones).

Les mâles forent un couloir de pénétration et, après l’accouplement, les femelles creusent des galeries dans le cambium (une fine couche sous l’écorce) pour y déposer leurs œufs, formant ainsi une nouvelle génération. C’est le scolyte qui commet les plus gros dégâts dans les forêts d’épicéas, notamment dans le Grand Est, mais aussi dans de nombreuses régions comme le sud du Massif central. Il est largement visible depuis quelques années dans les peuplements d’épicéas qui rougissent et sèchent. Il se développe rapidement dès que les conditions lui sont favorables, notamment dès que les chaleurs s’installent, et il peut y avoir plusieurs vagues de reproduction de ces scolytes.

Il faut rappeler que l’aire de spontanéité de l’épicéa dans nos régions est l’étage montagnard supérieur et le subalpin inférieur humides, en ubac, ce qui correspond à son optimum. Les plantations (nombreuses !) en dehors de cette aire le rendent vulnérable à la sécheresse. De plus, l’évolution climatique actuelle tend à remonter les étages de végétation et le met en danger à basse altitude, ce qui fait le bonheur des typographes ! D’où l’intérêt de bien respecter l’écologie des essences introduites et de prendre en compte les enseignements des arboretums anciens pour les essences exotiques.

Forêt au sud du Luxembourg
Forêt au sud du Luxembourg © A. Lommel
Les mâles forent un couloir de pénétration. Après l’accouplement, les femelles creusent des galeries dans le cambium pour y déposer leurs œufs
Les mâles forent un couloir de pénétration. Après l’accouplement, les femelles creusent des galeries dans le cambium pour y déposer leurs œufs © D.R.

Capacité naturelle de l’arbre à lutter contre le scolyte

L’arbre a une capacité naturelle pour se défendre contre le scolyte : quand l’insecte le pique, il produit de la résine qui englue le typographe et le tue. Mais quand le temps est à la fois sec et chaud, l’arbre ne contient plus assez d’eau pour produire de la résine, il devient alors vulnérable. Les peuplements qui ont encore un approvisionnement en eau à peu près correct sont épargnés. Ainsi, au-delà de 500 à 600 mètres d’altitude, les arbres se portent mieux parce que les températures sont moins élevées…

L’épicéa devrait se maintenir dans les pays scandinaves et les montagnes dont il est originaire et disparaître dans les plaines de l’Europe centrale, en Allemagne et en France, en particulier dans les régions est et sud-ouest. En effet, ce problème se généralise en raison du changement climatique.

Coupe « à blanc » d’une parcelle scolytée dans le sud du Tarn
Coupe « à blanc » d’une parcelle scolytée dans le sud du Tarn © JCV

Une détection précoce est nécessaire

Les résineux de plaine, en versant sud et ouest, et plus généralement dès qu’un manque d’eau ou d’humidité se fait sentir, sont les plus rapidement touchés. L’insecte se propage ensuite en volant d’arbre en arbre. On reconnaît un arbre infesté à de nombreux trous de quelques millimètres accompagnés de dépôts de sciures sur le tronc et au pied de l’arbre. Généralement, et pour l’instant, ce sont des peuplements d’au moins 25 ans qui sont touchés. La surveillance doit être constante dès le printemps pour ne pas laisser proliférer cet insecte parasite.

Des coupes sanitaires indispensables

La seule solution pour limiter l’expansion de l’épidémie est l’abattage et l’enlèvement rapide des bois en respectant un périmètre de 10 à 15 mètres autour de ces bois, puisque le scolyte adulte ne vole que sur quelques mètres. Pour « neutraliser » les épicéas abattus scolytés et pour préserver les arbres encore sains, la technique la plus efficace serait l’écorçage, car l’épicéa n’est alors plus attractif. En effet, l’opération détruit la majorité de la population de scolytes et le bois se conserve plus longtemps. L’alternative de pulvériser des produits phytosanitaires est déconseillée, compte tenu de l’impact de ces produits sur l’environnement et la santé humaine. Dans certaines régions, l’ONF réalise et encadre ces opérations.

Le piégeage aux phéromones

Au printemps 2019, le département de la Santé des forêts a mis en place un autre stratagème : les pièges à phéromones. Cette technique a été réitérée à la fin du mois de mars 2020. Quand les températures sont plus favorables, ces pièges à phéromones sont installés pour attirer les scolytes femelles. Ainsi, il est possible d’étudier les courbes de vol en fonction des températures. Cela a permis de suivre la dynamique des insectes mois par mois. C’est ainsi que, pour 2020, on a observé une activité plus forte qu’en 2019.

 

Christophe Villain,

Section AAO

 

Relecture : Christian Bock, Alain Leborgne et Mary Fruneau
Sources : Office national des forêts (ONF) – Société royale forestière de Belgique – Administration de la nature et des forêts du Luxembourg (ANF) – Wikipédia.