Le pouvoir des plantes pour restaurer les sols pollués

Un sol pollué semble être condamné à le rester, ou à être retraité à grands frais. Pourtant, certaines plantes, dites hyperaccumulatrices, réalisent une opération, appelée phytoextraction, durant laquelle elles extraient les polluants du sol pour les stocker dans leurs feuilles. Explications sur la phytoremédiation.

De prime abord, le tabouret bleuâtre (Noccaea caerulescens) n’a rien de très spectaculaire (Figure n° 1). Cette plante de la famille des Brassicacées est présente dans toute l’Europe et en particulier en France. Elle se développe principalement dans les massifs montagneux tels les Ardennes, les Alpes, le Massif Central, Les Pyrénées et les Vosges (1*). Au tout début du printemps, elle arbore de jolies fleurs blanches ou rosées en forme de pompons. Aussi modeste soit-il, le tabouret bleuâtre a un superpouvoir : celui d’absorber, via ses racines, certains métaux présents dans les sols pollués puis de les transporter et de les accumuler dans ses feuilles. On dit ainsi que c’est une plante hyperaccumulatrice tandis que le mécanisme est appelé phytoextraction. Ainsi, le tabouret bleuâtre est capable de coloniser d’anciens sites miniers ou encore des friches industrielles fortement contaminés en métaux comme le cadmium, le plomb ou encore le zinc sans présenter aucun symptôme de toxicité.

Figure n° 1 : Illustration de la plante hyperaccumulatrice de cadmium, nickel et zinc Noccaea caerulescens en début de floraison
Figure n° 1 : Illustration de la plante hyperaccumulatrice de cadmium, nickel et zinc Noccaea caerulescens en début de floraison © C. Sirguey

La phytoremédiation : un ensemble de solutions basées sur la nature

Récemment, des solutions basées sur la nature ont émergé pour limiter le transfert des polluants dans les écosystèmes. La réhabilitation des sols et la décontamination des eaux basées sur le végétal sont ainsi appelées phytoremédiation. Ce terme a été mentionné dans la littérature pour la première fois à partir des années 1980 par Rufus Chaney, un agronome américain (2*). La phytoremédiation rassemble un large éventail de phytotechnologies, ou technologies végétales (Figure n° 2). Elle fait appel à l’association entre des plantes et des micro-organismes qui leur sont associés pour extraire, contenir, ou dégrader des polluants métalliques ou organiques.

En réalité, l’idée d’utiliser le pouvoir épurateur des plantes n’est pas récente. En effet, les anciennes cultures chinoises et égyptiennes utilisaient déjà les zones humides pour l’élimination des eaux usées et le pouvoir phytoépurateur des plantes aquatiques pour l’élimination des excès de nutriments (par exemple l’azote ou le phosphore) (3*). L’épandage des eaux usées sur les terres agricoles, en tant que voie de valorisation et de traitement, a également une longue histoire remontant aux civilisations de Crète, de Sparte, d’Athènes et de Chypre il y a environ 4 000 ans (4*).

Aujourd’hui encore, l’intérêt pour la pratique de la fertigation (irrigation avec des effluents traités riches en nutriments) reste élevé compte tenu des dernières approches de l’économie circulaire.

Figure n° 2 : Les différentes méthodes de phytoremédiation
Figure n° 2 : Les différentes méthodes de phytoremédiation

Il est aussi proposé aux serristes, depuis une vingtaine d’années, l’utilisation de plantes pour traiter les rejets liés à l’utilisation des solutions nutritives en hors-sol. Toutefois, en raison de la présence de polluants métalliques et organiques issus des activités humaines et de micro-organismes potentiellement toxiques pour l’humain, le traitement direct des eaux usées par épandage sur des sols agricoles à vocation de production alimentaire n’est plus autorisé dans les pays dévelop­pés car cette pratique a pu contribuer à la contamination des sols et au transfert de polluants vers les parties consommées des végétaux.

Classification des méthodes de phytoremédiation

La première des méthodes de phytoremédiation est la phytostabilisation (Figure n° 3), qui vise à confiner les polluants (métaux lourds, radionucléides, polluants organiques persistants…) pour éviter leur dispersion vers les autres composantes des écosystèmes terrestres (champs, cours d’eau…), notamment par érosion éolienne et ruissellement, mais aussi leur lixiviation vers les eaux souterraines. Le confinement implique deux mécanismes : chimique et biologique. Le premier se fait via l’introduction dans le sol d’amendements (calcaire broyé, matières organiques, billes d’acier) dont le rôle est de fixer durablement les contaminants. Le deuxième se fait via l’implantation d’un couvert végétal dense sur toute la surface du sol à l’aide de plantes tolérantes herbacées (fétuque, miscanthus, luzerne, trèfle) ou arborées (peuplier, saule, aulne, bouleau, pin). Outre la mitigation des risques, il est également possible de valoriser la biomasse générée, par exemple pour produire de l’énergie, des fibres ou du bioéthanol.

La phytodégradation ou phytotransformation va principalement concerner les polluants organiques pouvant être métabolisés et dégradés pour la croissance de la plante et des micro-organismes associés. Cette méthode valorise l’effet rhizosphère, qui désigne le volume de sol soumis à l’influence de l’activité racinaire. Les plantes libèrent dans le sol des composés organiques (hormones, enzymes, acides carboxyliques, acides aminés…) via l’exsudation racinaire. Ces composés vont alors favoriser la croissance et l’activité des micro-organismes rhizosphériques qui vont eux-mêmes libérer des composés organiques du même type dans le sol. Les associations plantes-micro-organismes vont ainsi libérer des enzymes (déhalogénase, nitrilase, phosphatases…) capables de catalyser la transformation et la dégradation des polluants dans les sols. Pour certains contaminants, comme le sélénium, le mercure ou des composés organiques légers, la transformation conduit à la production de composés volatils et non toxiques, ou tout du moins, moins toxiques. Ainsi, la phytovolatilisation conduit à la libération de ces composés dans l’atmosphère à partir des feuilles.

Site minier
Figure n° 3 : Site minier de terres rares (Dingnan, Jiangxi, Chine) abandonné depuis dix ans avant phytostabilisation
Phytostabilisation
Figure n° 3 : Site minier de terres rares (Dingnan, Jiangxi, Chine) abandonné depuis dix ans après phytostabilisation

Comme nous l’avons vu au tout début de cet article, certaines plantes ont la capacité d’accumuler voire d’hyperaccumuler les polluants métalliques. La phytoextraction se définit dès lors comme une méthode d’extraction des métaux des sols par les plantes, dont l’efficacité dépend à la fois de la concentration en métaux dans les parties récoltées et de la quantité de biomasse produite. Au dernier recensement officiel, 721 plantes hyperaccumulatrices d’un ou plusieurs métaux ont été répertoriées dans le monde, dont plus de 70 % pour le Ni (5*). Si, dans la majorité des cas, la biomasse produite est considérée comme un déchet non valorisable, plusieurs voies de valorisation des métaux à partir des plantes sont explorées. Parmi elles, nous pouvons citer le concept d’agromine (6*), filière comprenant l’établis­ sement d’agrosystèmes dédiés à l’extraction d’éléments métalliques stratégiques contenus dans les sols, suivi de leur récupération et de leur transformation pour un usage industriel (Figure n° 4).

Cette technologie présente de nombreux avantages comme l’exploitation de sources secondaires non conventionnelles (trop pauvres en métal, multi-contaminées), l’apport d’un revenu complémentaire aux exploitants agricoles grâce à l’utilisation de terres peu fertiles en raison de la présence du métal, ou encore la création de nombreux services écosystémiques, particulièrement sur les friches industrielles, avec l’augmentation de la biodiversité par la végétalisation et la détoxification des sols.

Figure n° 4 : Les différentes étapes de l’agromine des métaux
Figure n° 4 : Les différentes étapes de l’agromine des métaux

Actuellement, l’agromine du nickel se développe à l’échelle industrielle tant en Europe (Albanie, Grèce) que dans les régions tropicales (Malaisie par exemple) (Figure n° 5).

Un besoin d’amélioration de la performance de la phytoremédiation

La phytoremédiation constitue donc un ensemble de techniques efficaces, écologiques et économiques dont l’efficacité reste toutefois dépendante de la biomasse des plantes et de la bio­ disponibilité des contaminants dans le sol. À l’heure actuelle, différentes approches biologiques, physiques, chimiques, agronomiques et génétiques sont étudiées afin d’améliorer leur efficacité.

Figure n° 5 : Récolte de l’hyperaccumulateur de nickel Odontarrhena chalcidica en Albanie
Figure n° 5 : Récolte de l’hyperaccumulateur de nickel Odontarrhena chalcidica en Albanie © A. Bani

Catherine Sirguey

Maîtresse de conférences Université de Lorraine-ENSAIA Laboratoire Sols et Environnement UMR 1120 UL/Inrae

 

(1*) Gonneau C. (2014). Distribution, écologie et évolution de l’hyperaccumulation des éléments en traces par Noccaea caerulescens. Thèse de doctorat, Université de Lorraine.

(2*) Chaney R. Plant uptake of inorganic waste constituents. Land treatment of hazardous wastes. 1983;50‑76.

(3*) Brix H. Use of constructed wetlands in water pollution control: Historical development, present status, and future perspectives. Water science and technology. 1994;30(8):209‑223.

(4*) Angelakis AN, Capodaglio AG & Dialynas EG. Wastewater management: from ancient Greece to modern times and future. Water. 2022;15(1):43.

(5*) Reeves RD, Baker AJM, Jaffré T, Erskine PD, Echevarria G, & van der Ent A. A global database for plants that hyperaccumulate metal and metalloid trace elements. New Phytologist. 2018;218 (2)

(6*) van der Ent A, Baker AJM, Echevarria G, Simonnot M-O & Morel JL (Éds.). (2021). Agromining : Farming for metals. Extracting unconventional resources using plants. Second Edition (Springer).