Le parc d’Ancy-le-Franc : La subtilité d’une restauration

« Fallait-il faire une restitution stricto sensu d’un plan historique qui servirait à la compréhension de l’art de son époque ou fallait-il jouer d’un léger artifice qui permette une meilleure appréhension ? » Telles sont les questions que s’est posées l’architecte-paysagiste Laure Quoniam lorsqu’on lui a confié la restauration du parc du palais de la Renaissance d’Ancy-le-Franc (Bourgogne). Elle nous présente la démarche qui l’a conduite à cette réalisation remarquable…

 

La restauration d’un parc est une subtile mise en œuvre, fondée sur une analyse des archives historiques, un relevé phytosanitaire et des relevés géophysiques. Restitution, interprétation ou création sont des termes couramment débattus car chacun d’eux sous-tend une démarche différente. » Or l’histoire du parc d’Ancy-le-Franc (Yonne) traverse cinq siècles ! (1*)

Vue aérienne
Vue aérienne du domaine d’Ancy-le-Franc, où l’on admire le nouveau « parterre aux fleurs » © D.R.
Le parterre de la fontaine
Le parterre de la fontaine © M. Saiah

Une promenade au travers de l’histoire de la peinture

L’étude de la peinture des différentes époques a permis de « franchir les siècles d’art paysager ».

Du Moyen Âge à la Renaissance, le paysage est symbolique (cf. « Le jardin des délices », École de Jérôme Bosch, 1494-1505)

Le premier jardin d’Ancy-le-Franc fut créé en 1576 pendant la Renaissance. Son tracé géométrique est la transposition d’une technique issue du bâtiment : une innovation ! On implante, face au château nouvellement créé par l’architecte italien Sebastiano Serlio, douze « parquets ». À cette époque, le premier « carreau jardiné » tranchait comme une touche précieuse dans une campagne française habitée de forêts, de champs.

Au XVIIe siècle, la représentation peinte du paysage est « humaniste », un fragment du réel (cf. « Études d’arbres » de Pierre Paul Rubens, 1577-1640)

Au contact des grandes découvertes scientifiques, dont celles de l’optique, le paysage gagne en réalisme. En 1683, Louvois rachète le château. En 1690, il appelle Robert de Cotte, architecte, pour lui dessiner le parc qui recouvre à peu près la surface de l’emprise actuelle.

Le principe d’un tracé géométrique Renaissance est conservé.

Romantisme et réalisme

Au XVIIIe siècle, le paysage est la reproduction d’un style « romantique » (cf. « Sous-bois avec rochers » de Camille Corot, 1796-1875)

En 1721, le marquis de Courtanvaux fait transformer le parc. Le nouveau tracé s’inscrit dans la continuité du style régulier, sa composition évolue peu. Il crée un bassin d’eau rectangulaire avec une île sur laquelle est bâtie une fabrique, la « folie » que nous admirons aujourd’hui.

Au XIXe siècle, la reproduction du paysage est « réaliste », sous l’effet d’une concentration sociale et du mouvement industriel (cf. « Le village d’Ormans », Gustave Courbet, 1819-1877)

En 1812, le bassin rectangulaire devient un étang aux contours sinueux. L’influence anglaise touche le parc. En 1820, apparaît la Serpentine, chemin d’eau pittoresque apportant l’eau d’alimentation à l’étang.

Plan de Courtanvaux
À GAUCHE : Détails du parterre aux fleurs © M. Saiah - EN BAS À DROITE : Le plan de Courtanvaux de 1759 à partir duquel a été reconstitué le parterre de la fontaine © D.R.

À notre époque…

Au XXe siècle, avec la découverte de la photographie, la représentation du paysage est tout d’abord « impressionniste », avec Claude Monet. Puis, très vite, se succèdent le paysage « abstraction », minimaliste, (Nicolas de Staël, Willem De Kooning ou Olivier Debré), un nouveau genre, le Land Art, avec Robert Smithson, le paysage « vu d’un point haut » avec le photographe Yann Arthus-Bertrand, puis viendront les images de drones. C’est un basculement culturel.

À Ancy-le-Franc, guerres et tempêtes ont marqué le parc, mais ses dispositions n’ont pas évolué. L’effet de la grande tempête de 1999 détériore cruellement les boisements.

Début XXIe siècle, une restauration du parc est décidée. « De la Renaissance à nos jours, nous avons assimilé l’apport de toutes ces visions artistiques et pris des distances avec certaines d’entre elles. Pour le tracé global du parc, et à partir de cette mosaïque historique, l’option choisie n’est pas une démarche de restitution, d’interprétation ou de création. Le tracé du nouveau plan n’est donc pas la survivance d’un style ou d’une époque. »

Details parterre fleurs
Détails du parterre aux fleurs © M. Saiah

LAURE QUONIAM

Laure Quoniam est architecte-paysagiste. Le Champ d’en face, publié par les éditions Gourcuff/ Gradenico, est un ouvrage écrit comme un roman qui retrace sa passion et sa trajectoire professionnelle. La salle des Écuries d’Aurillac (Cantal) accueillera « Intenses Paysages », une exposition d’importance de ses œuvres (400 m2 d’exposition, un film, des diaporamas, une fresque de ses peintures personnelles en rapport avec des panneaux de ses réalisations paysagères…) en octobre-novembre 2024.

Une vue exceptionnelle

À l’entrée, une fontaine transformée en pyramide construite au XIXe siècle, face au palais, offre, depuis la façade sud, une vue exceptionnelle sur la perspective XVIIIe, la folie restaurée et son île. Au premier plan, la Serpentine est bordée de roseaux et de touffes d’iris. En arrière-plan, l’étang et son anse. Au troisième plan, la présence focale d’un grand cyprès chauve.

Le « parterre de la fontaine », à l’ouest du palais, est une restitution élaborée à partir du plan du marquis de Courtanvaux. Il est simple, composé de six pelouses bordées de rosiers rayonnant autour d’une fontaine. L’ouvrage de pierre a été remis en eau. Les rosiers tiges, plantés en cercle, portent des fleurs en cascades assorties aux gouttelettes de la fontaine. Leurs floraisons exaltent des nuances de jaune et de rose, tout l’été. Les allées du parterre sont recouvertes de pelouse et non de gravier, « seule modification historique ». Cela apporte un sentiment de douceur qui s’harmonise avec la simplicité de la scène, sentiment qui n’aurait pas été aussi fort avec des allées minérales.

Turqueries désuètes

Le « parterre aux fleurs », à l’est du palais, est l’interprétation d’un parterre du XVIIe siècle par le marquis de Courtanvaux, un siècle plus tard.

L’option a été de reprendre la position de l’époque de Courtanvaux, où les parterres s’admiraient de l’étage noble, selon la mode italienne (les visiteurs contemporains auraient sûrement opté pour une vue de plain-pied). Quatre parterres entourés d’allées précèdent un bassin rond d’où émerge un jet d’eau. Il fallait trouver une écriture picturale plus attrayante que les « turqueries » du XVIIe, désuètes au regard contemporain. Inspirés de la « chambre aux fleurs », quatre tableaux ont été choisis. Trois d’entre eux sont plantés de trois variétés d’œillets qui fleurissent tout l’été. En hiver, le feuillage gris de ces plantes vivaces persiste. Le troisième tableau est planté de pétunias, fleuris du printemps à l’automne. Le dessin de ces tableaux, agrandis cent fois, apporte une touche moderne sans convertir la disposition historique.

Le parterre de la fontaine
Le parterre de la fontaine © M. Saiah
Les magnifiques parterres est et ouest récompensés Victoire d’argent aux Victoires du paysage 2018, réalisés par Laure Quoniam
Les magnifiques parterres est et ouest récompensés Victoire d’argent aux Victoires du paysage 2018, réalisés par Laure Quoniam © M. Saiah

Boisements protecteurs

Afin de consolider les berges de l’étang, une composition impressionniste est élaborée pour être vue depuis le palais. Au printemps, une bordure de salicaires aux fleurs roses et mauves, de laiches blanches et d’iris bleus recouvre la rive, constituant un nuancier de couleurs qui se répondent d’une berge à l’autre. En fond de décor, un rideau de plusieurs cyprès chauves épaule le majestueux cyprès centenaire, avec un effet exceptionnel à l’automne.

L’intégralité des boisements a été conservée. Il reste une épaisse couronne ligneuse qui encercle la propriété. À l’opposé de la Renaissance, où le premier jardin émergeait, précieux, de vastes forêts, ces boisements le protègent aujourd’hui des vues urbaines environnantes. Là aussi, notre point de vue moderne a changé.

Un plan de régénération du parc a été utilisé pour replanter une diversité d’espèces.

Répondre aux nouvelles contraintes

Le jardin de la Pharsale est une création encore à l’étude. Elle s’articule autour de six sculptures issues de la peinture murale de la Pharsale, chef-d’œuvre des peintres de Fontainebleau venus la réaliser pour Ancy-le-Franc. La scénographie de ce jardin de sculptures viendra en écho à la visite de l’intérieur du palais.

Le réchauffement climatique et les enjeux environnementaux donnent une nouvelle dimension au projet. Choix des espèces plantées, gestion de l’eau : tout est étudié pour répondre à ces nouvelles contraintes. À Ancy-le-Franc, différentes études techniques ont été menées.

Ce chantier d’avenir pour tous les parcs historiques n’entame pas notre optimisme « car un bon équilibre entre art et réalité a toujours été l’occasion de chefs-d’œuvre ».

 

Laure Quoniam
Architecte-paysagiste


(1*)
Propriété de la société Paris Investir SAS depuis juillet 1999, le palais et le parc sont classés Monuments historiques.

www.chateau-ancy.com