Les multiples ressources des Apiacées
Connue tout en étant inconnue : on peut la déguster, la boire, l’admirer tout en s’en méfiant. C’est la vaste famille des Ombellifères (ou Apiacées). Cette famille végétale présente de multiples ressources, souvent cachées sous leur ombelle.
Les Ombellifères, du latin umbella, tirent leur nom de la disposition de leurs fleurs en ombelle. Il s’agit le plus souvent d’ombelles composées, réunion de petites ombelles simples au même niveau, dénommées ombellules. Cela constitue donc un véritable disque floral, visible de loin dans la plupart des cas. Sur le plan scientifique, toute dénomination devant être fondée sur un nom de végétal, il faut les appeler Apiacées, ici le céleri (Apium graveolens).
Une famille diversifiée
La famille des Ombellifères avoisine les 4 000 espèces principalement présentes dans les régions tempérées de l’hémisphère nord. Par comparaison, elles sont relativement rares sous les tropiques, où elles se restreignent aux altitudes élevées. Cela dit, la plage des habitats occupés est très vaste : elle va des milieux aquatiques aux situations les plus sèches, des espaces ouverts aux forêts profondes, du niveau de la mer aux étages alpins, et s’étend sur une variété très étendue de substrats géologiques et pédologiques. Ces végétaux sont pour la plupart herbacés, mais quelques espèces sont lignifiées à la base. Très rares sont ceux qui forment de véritables arbustes (ex. le buplèvre en buisson, Bupleurum fruticosum), arbrisseaux ou arbres (ex. l’arbre persil, Heteromorpha arborescens) ou l’arracachilo (Myrrhidendron donnellsmithii) qui peut atteindre 7 mètres). Leur feuillage est particulier, presque toujours découpé, d’une à de multiples fois divisé en lobes arrondis ou ovales, lancéolés jusqu’à filiformes (fenouil, Anethum foeniculum = Foeniculum vulgare). La variabilité de formes se retrouve également au niveau du contour de la feuille : allongé, ovale ou très souvent triangulaire. Il existe fréquemment un gradient foliaire de la base jusqu’au sommet de la plante. Les espèces à feuilles entières sont l’exception comme les buplèvres (Bupleurum), grand genre de quasiment 200 espèces, à feuilles entières au bord et comme la sanicle d’Europe (Sanicula europaea) qui possède, quant à elle, des feuilles basales lobées ressemblant à celles des renoncules. Citons enfin en Asie, le gotu kola (Centella asiatica), petite plante rampante à stolons à feuilles entières réniformes.
Distinguées par leur morphologie florale
La morphologie florale des Apiacées est spéciale et mérite d’être détaillée. Les ombelles sont réunies en une architecture organisée. On distingue généralement l’ombelle principale des ombelles secondaires, plus tardives. Les ombelles sont formées d’un certain nombre de rayons, assez souvent munis à leur base d’un involucre de bractées. Les ombellules sont parfois de façon similaire entourées de bractéoles. L’absence ou la présence de ces pièces florales constituent fréquemment des indices pour la détermination. La fleur, de petite taille, est construite sur le type cinq : cinq sépales très souvent réduits, cinq pétales de morphologie très variable et parfois élargis sur la périphérie de l’ombelle, augmentant ainsi l’attractivité visuelle, cinq étamines saillantes, un ovaire formé de deux carpelles et surmonté d’un organe particulier, le stylopode, disque nectarifère situé à la base des deux styles.
Toutes les Apiacées ne fleurissent pas en ombelles. Il faut mentionner les panicauts (Eryngium) que l’on qualifie parfois d’« Ombellifères déguisées en chardons ». Ils sont effectivement épineux (défense mécanique). Leurs inflorescences sont des ombelles très transformées que l’on doit nommer « pseudocapitules » et qui imitent effectivement les chardons. Ce sont des plantes souvent cultivées pour leurs qualités esthétiques (panicaut des Alpes, Eryngium alpinum, panicaut géant, E. giganteum) par exemple. Ils totalisent environ 250 espèces, présentes sur tout le globe. La sanicle d’Europe (Sanicula europaea) réunit ses fleurs en ombellules globuleuses formant des ombelles irrégulières de trois à cinq rayons très inégaux, une inflorescence dont l’aspect global est éloigné des ombelles classiques.
De couleurs et d’odeurs
La biologie florale des Apiacées est marquée par les attractivités visuelles et aromatiques. Les ombelles forment un disque souvent brillamment coloré (blanc pur, rose, mauve ou jaune vif), visible de loin. Elles diffusent par ailleurs des odeurs variées, miellées, florales ou fruitées, plus rarement désagréables (produits en décomposition), voire écœurantes. Tout cela fait que ces ombelles sont très visitées, offrant un véritable plateau d’atterrissage (que je nomme « insectodrome ») à une vaste gamme d’insectes dont beaucoup de pollinisateurs (principalement des Hyménoptères et des Diptères). Certains autres comme les guêpes sont des prédateurs qui déclenchent des mouvements intempestifs de fuite des insectes sur d’autres ombelles, ce qui augmente en fait l’efficacité de la pollinisation de l’Ombellifère visitée !
Des fruits variés
Le fruit mûr est sec. Il est qualifié de « diakène », car composé de deux parties qui ne s’ouvrent pas à maturité (indéhiscentes) contenant chacune une graine. La morphologie très diversifiée des fruits des Apiacées a fait l’objet d’un emploi majeur dans la classification. Ils peuvent être simplement ovoïdes, glabres ou velus, mais il existe de nombreux genres à fruits très aplatis, d’autres dont la face dorsale est pourvue d’ailes ou d’aiguillons facilitant la dissémination. En fin de cycle, les deux parties du fruit (nommées aussi méricarpes) sont portées par un petit axe filiforme (carpophore) et finissent par se séparer pour se disséminer.
Les Ombellifères, des ressources aux enjeux
La famille des Ombellifères a suscité depuis des temps quasi immémoriaux des usages alimentaires, condimentaires, cosmétiques comme médicinaux, principalement du fait de leurs richesses et diversités chimiques. Dans le manuscrit du linéaire (XVIIe siècle avant J.-C.), on reconnaît trois Ombellifères puissamment aromatiques : la coriandre (Coriandrum sativum), le cumin (Cuminum cyminum) et le fenouil (Anethum foeniculum). Sur le plan alimentaire et condimentaire, on trouve des légumes-racines dont le plus cultivé est la carotte (Daucus carota) (voir l’article d’Emmanuel Geoffriau p. 26), puis, le panais (Pastinaca sativa), le céleri-rave (Apium graveolens), le persil-racine (1*) (Petroselinum crispum subsp. tuberosum), plus rarement le chervis (Sium sisarum). Les légumes-feuilles (avec parfois des pétioles charnus) et les « herbes » aromatiques comprennent le céleri branche, le persil, le fenouil, déjà mentionnés, et aussi la livèche (Levisticum officinale), l’aneth (Anethum graveolens), l’anis (Pimpinella anisum), le cerfeuil (Anthriscus cerefolium), l’archangélique officinale (Angelica archangelica), la coriandre (Coriandrum sativum), moins connus le cerfeuil musqué (Myrrhis odorata) ainsi que le maceron noir (Smyrnium olusatrum). On utilise aussi les « graines » (fruits secs) de nombreuses espèces dont les plus usitées sont : l’anis, le céleri, le fenouil, l’aneth, la coriandre, le cumin, le carvi (Carum carvi) et l’ajowan (Trachyspermum ammi). La plupart des plantes précitées font l’objet d’un usage thérapeutique comme carminatifs, stomachiques, laxatifs, diurétiques, stimulants, antispasmodiques ou sédatifs. Il faut y ajouter plusieurs espèces de férules (Ferula) et la dorème ammoniac (Dorema ammoniacum), qui fournissent des gommes-résines. Au jardin d’ornement, plusieurs Apiacées figurent en bonne place. Ce panorama de la famille des Apiacées laisse entrevoir un groupe végétal présent dans de très nombreux milieux, au sein desquels elles agissent positivement sur la biodiversité en nourrissant sur leurs ombelles accessibles de très nombreux insectes, dont beaucoup de pollinisateurs. L’arsenal chimique qu’elles produisent est très diversifié et se compte en centaines de molécules, intervenant en termes de défense et d’attractivité. Il est clair que plusieurs d’entre elles seraient applicables à la défense des cultures. Enfin, la valeur ornementale avérée de plusieurs espèces (dont certaines ne sont pas ou peu proposées au grand public) pourrait avantageusement diversifier la palette végétale agrémentant nos espaces jardinés.
Jean-Pierre Reduron
Ingénieur horticole, botaniste, fondateur du Conservatoire botanique de Mulhouse, spécialiste des Apiacées
(1*) Pour le persil-racine différentes autres appellations sont employées par les semenciers : persil tubéreux ou persil à grosse racine.