Les Croqueurs de Pommes : pour la sauvegarde des variétés anciennes

Avec son nom sympa, l’association Les Croqueurs de Pommes pourrait laisser penser qu’il s’agit, pour ses membres, de déguster le fruit défendu. En réalité, son objectif est très sérieux et va plus loin, puisqu’il s’agit de pérenniser et sauvegarder la diversité variétale de la pomme.

L’association des Croqueurs de Pommes Île-de-France existe depuis juin 1991
L’association des Croqueurs de Pommes Île-de-France existe depuis juin 1991 © G. Borowicz
La formation des Croqueurs à la taille, aux techniques de greffes et à l’entretien des arbres fruitiers contribue à la mise en valeur permanente du verger
La formation des Croqueurs à la taille, aux techniques de greffes et à l’entretien des arbres fruitiers contribue à la mise en valeur permanente du verger © H. Fourey

L’association des Croqueurs de Pommes a été créée en juillet 1978, à Fontenelle (Territoire-de-Belfort) par Jean-Louis Choisel : « Association nationale des amateurs bénévoles pour la sauvegarde des variétés fruitières régionales méritantes en voie de disparition ». Participant au regain d’intérêt pour la pomologie, correspondante d’associations pomologiques ou fruitières, elle rassemble, en 2023, 8 200 membres bénévoles. Avec les 64 associations locales et les associations affiliées, elle entretient environ 40 000 arbres fruitiers dans des vergers de sauvegarde. L’objectif des Croqueurs de pommes est de pérenniser et de sauvegarder la diversité variétale.

En Île-de-France, une association active autour d’un verger de sauvegarde

L’association des Croqueurs de Pommes Île-de-France s’est constituée à Chambourcy (Yvelines) en juin 1991 sous l’impulsion de Roland Sévenier, qui avait décidé, vers 1958, de transformer son verger de production en verger de sauvegarde de variétés plus ou moins rares qui disparaissaient du patrimoine français et principalement d’Île-de-France. Ce verger, d’une superficie de 7 807 m², renferme, depuis, toute une série d’arbres, parfois uniques en Île-de-France, et représente un des éléments du patrimoine végétal arboricole fruitier en voie de disparition, sauvegardé de façon pérenne. En 2021, l’association des Croqueurs de pommes Île-de-France regroupait 477 adhérents. Cette jeune et riche histoire du verger de la Marnière bénéficie, depuis une quinzaine d’années, de l’expertise de François Moulin, ancien jardinier responsable du Potager du Roi (Versailles), qui a rejoint l’association des Croqueurs de pommes d’Île-de-France en 2009.

À partir de 2011, le verger s’est enrichi de formes architecturales et de formes palissées complexes, soutenues ou non par des armatures en fer forgé. Les plantations importantes et régulières de fruitiers, les choix appropriés de porte-greffes et de variétés anciennes de fruits l’ont enrichi progressivement pour compter aujourd’hui 550 arbres : 130 variétés de pommes, 70 variétés de poires et de nombreuses variétés de pruniers, noisetiers et autres fruitiers. Quatre-vingt-onze arbres sont des spécimens uniques à Chambourcy, et donc en Île-de-France, identifiés par leur génome.

La formation des Croqueurs à la taille, aux techniques de greffes et à l’entretien des arbres fruitiers contribue à la mise en valeur permanente du verger lors des réunions hebdomadaires du jeudi après-midi, où les Croqueurs bénévoles assurent plantation, désherbage, protection du sol, entretien des outils, taille de fructification, taille en vert, ensachage, lutte contre les insectes et les maladies.

Verger conservatoire et expérimental

Le pommier était déjà connu cinq siècles avant Jésus-Christ en Palestine. Dans la première moitié du XXe siècle, deux botanistes, le Russe Nikolaï Vavilov et le Kazakh Aymak Djangaliev découvrent des forêts de pommiers sauvages dans la province d’Almaty au Kazakhstan, et il apparaît que Malus sieversii est un pommier sauvage originaire des montagnes d’Asie centrale.

Les analyses génétiques ont montré que Malus sieversii n’est pas une espèce panmictique (1*). En 2010, la description complète du génome (2*) de la pomme et la comparaison des gènes de toutes les différentes espèces entre elles confirme que les pommiers domestiques sont apparentés aux pommiers sauvages kazakhs, qui montrent une résistance particulière aux seules infections locales du Kazakhstan malheureusement (feu bactérien et tavelure).

Cette histoire complexe et luxuriante de la pomme nous ramène au verger de la Marnière à Chambourcy, qui est classé parmi les « vergers de collection et pédagogiques », destinés à la préservation du patrimoine fruitier. En Île-de-France, la collection fruitière du Jardin du Luxembourg à Paris, le Potager du Roi à Versailles et le verger de l’école du Breuil (Paris) en sont de remarquables exemples. Un verger conservatoire et expérimental de pommiers sauvages (Malus sylvestris) a été planté en 2020 sur le plateau de Saclay avec l’aide de très nombreux acteurs, dont l’Inrae. Les Croqueurs d’Île-de-France ont participé à la collecte des pépins de ces arbres sur plusieurs forêts.

L’appellation « verger conservatoire » est retenue si les variétés qui constituent le verger ont été authentifiées et inventoriées par un organisme spécialisé, respectant rigoureusement un cahier des charges :

Précisant l’origine des espèces, en particulier les variétés fruitières locales ;

Comportant des plants témoins qui permettent de comparer les périodes de floraison et de fructification ;

Permettant un recensement précis des différentes variétés fruitières présentes grâce à un étiquetage systématique des arbres ;

Contribuant, c’est le principal objectif, à la préservation du patrimoine génétique des variétés et à leur maintien en sécurité.

Depuis 2011, le verger s’est enrichi de formes architecturales et palissées complexes, soutenues ou non par des armatures en fer forgé
Depuis 2011, le verger s’est enrichi de formes architecturales et palissées complexes, soutenues ou non par des armatures en fer forgé © H. Fourey

Pomologie, génétique, certification et diffusion

Les Croqueurs de Pommes IdF suivent depuis de nombreuses années la phénologie des arbres fruitiers présents sur le verger de la Marnière, notant rigoureusement les dates de floraison, feuillaison, fructification, jaunissement automnal. Ces stades de développement sont liés aux paramètres climatiques et à leurs changements.

Sous l’impulsion d’Henri Fourey, actuel président de l’as­sociation des Croqueurs de Pommes IdF, ainsi que de quatorze autres associations pomologiques, a été lancé, en collaboration avec l’Inrae d’Angers, le projet Corepom. Il permettra de répertorier et de localiser les gènes des pommiers, pour enrichir la « Core-collection » et d’envisager, par croisement, la création de nouvelles variétés. Simultanément, il a été possible de compléter la description des variétés étudiées, avec vérification de la validité des synonymes, la collaboration des Croqueurs avec l’Inrae en matière d’identification des variétés et de recherche génétique ayant ainsi permis de réduire de 8 000 à 3 000 le nombre réel de variétés en regroupant les doublons. La base de données génétiques des arbres fruitiers sera prochainement disponible sur le site internet de l’Inrae.

Au niveau du verger de la Marnière à Chambourcy, 49 arbres, soit 11,3 % des arbres du verger, ont bénéficié d’une enquête de détermination génétique.

LA BOURSE AUX GREFFONS

La bourse aux greffons a lieu habituellement en février : les Croqueurs font part de leurs souhaits de porte-greffes et de greffons. La recherche aux greffons est alors lancée, puis ils sont étiquetés et mis en attente dans le bac à sable du verger de Chambourcy. Sur tous les greffons échangés est noté le nom de la personne qui a donné le greffon et celui de celle qui l’a récupéré. Ces échanges annuels assurent la certification d’identité et d’origine tout en pérennisant la variété considérée.

Yves Deshayes
Paysagiste DPLG

(1*) Panmictique : La panmixie, en génétique des populations, est le principe qui considère que les individus sont répartis de manière homogène au sein de la population et se reproduisent tous aléatoirement.

(2*) Génome : Le génome d’une cellule d’un végétal (ici la feuille) est l’ensemble des données constituant l’ADN contenu dans deux fois 17 chromosomes pour le pommier, sur lesquels sont repérés l’emplacement des marqueurs (identiques à tous les Européens), qui servent à différencier les individus. On peut donc retrouver des individus identiques dans plusieurs pays, mais sous des noms différents. L’assemblage de ces différents marqueurs sert aussi à déterminer les filiations des variétés à partir de leurs parents potentiels s’ils ont été analysés.