Épigénétique et mémoire des plantes au stress hydrique
Conséquence du changement climatique, les ressources en eau se réduisent et les productions agricoles sont menacées. Pour faire face à ce défi, les pratiques culturales doivent évoluer. Une autre solution passe par la recherche de variétés moins exigeantes. Les études portent sur une meilleure compréhension de l’adaptation des plantes au stress hydrique, et notamment aux régulations épigénétiques.
Le changement climatique se traduit par une hausse des températures et une réduction des ressources en eau. Les projections actuelles estiment que les besoins en eau pour l’agriculture vont doubler d’ici 2050, en réponse à l’augmentation de la population mondiale et que la disponibilité en eau douce va chuter de la moitié pendant la même période.
Aussi, l’amélioration des pratiques culturales et la recherche de cultivars moins exigeants en eau sont-elles primordiales pour faire face à cette crise majeure. Cela passe par davantage de recherches pour mieux comprendre la gestion de l’eau par les plantes et les mécanismes d’adaptation au stress hydrique, qui impliquent des régulations épigénétiques. L’épigénétique est une science relativement récente. Elle est née des travaux de Barbara McClintock (Prix Nobel de médecine en 1983) qui a mis en évidence un niveau de complexité supplémentaire des régulations au sein du génome.
Ces régulations épigénétiques concernent des mécanismes qui modulent l’expression de gènes indépendamment de toute modification de la séquence d’ADN. Elles sont stables, héritables, réversibles et participent aux réponses et à la mémoire des plantes aux stress.
Des mécanismes de régulation épigénétique divers, contribuant aux réponses des plantes au stress hydrique
Pour rappel, dans le noyau d’une cellule, l’hélice d’ADN est liée à des protéines nommées histones. L’ensemble ADN-protéines forme la chromatine, fortement compactée au sein des chromosomes. Plus la chromatine est condensée et plus l’accès aux gènes portés par l’ADN est difficile. Certaines régulations épigénétiques, telle la fixation sur les histones de groupements méthyls ou acétyls (et d’autres types encore), modulent localement la condensation de la chromatine, et en conséquence l’expression de gènes situés à proximité. Par d’autres mécanismes, des groupements méthyls peuvent aussi se fixer directement sur l’ADN et accroître ou réprimer l’expression de gènes, ou bien inhiber l’action de transposons, fragments d’ADN mobiles qui, par leur déplacement au sein du génome, contrôlent l’expression de gènes.
De nombreux travaux ont mis en évidence l’importance des régulations épigénétiques dans les réponses des plantes au stress hydrique. À titre d’exemple, chez le pommier, le niveau de méthylation du génome est modifié par le déficit hydrique. Chez l’arabette (Arabidopsis thaliana, plante-modèle des laboratoires), le stress hydrique provoque un relâchement de la chromatine autour de gènes activés par ce stress et la teneur en acide abscissique, hormone majeure de la réponse des plantes au stress hydrique, augmente après méthylation d’une histone à proximité d’un gène impliqué dans sa synthèse. Chez la tomate (Solanum lycopersicum) soumise à un stress hydrique, l’expression d’un gène marqueur de résistance au stress hydrique augmente après trente minutes de stress en lien avec la suppression rapide de méthylation de l’ADN et d’histones autour de la région qui contrôle l’expression de ce gène. Chez le peuplier (Populus tremula x Populus alba) en stress hydrique, l’hypométhylation de l’ADN participerait à la mobilité de certains éléments transposables.
Des régulations épigénétiques participeraient à la mémoire des
plantes aux stress hydriques passés
Les recherches actuelles suggèrent que les marques épigénétiques constituent une forme de mémoire des plantes vis-à-vis des stress qu’elles ont rencontrés. Cette mémoire les préparerait à répondre plus rapidement ou plus intensément à des stress ultérieurs. Ainsi, lorsque des cycles de déshydratation/réhydratation répétés sont appliqués à des arabettes, celles-ci se déshydratent moins rapidement au fur et à mesure des cycles et ceci est lié à une expression plus rapide ou plus forte de certains gènes de réponse au stress hydrique. Ces gènes sont dits « entraînés ». Ceci suggère qu’une mémoire du premier stress a été enregistrée par ces plantes et contribuerait à l’installation d’un mécanisme d’entraînement. Il a été montré que cette mémoire est liée à la persistance, après le retour à un confort hydrique, de marques épigénétiques autour des gènes entraînés, en particulier de la méthylation d’une histone, et à la rétention prolongée d’une enzyme essentielle à l’expression des gènes. Ainsi chez le riz, 29 % des sites pour lesquels des changements de niveau de méthylation ont été induits par un premier stress hydrique conservent ces changements après un retour à une situation de confort hydrique. De telles observations ont aussi été faites chez des espèces pérennes qui, au cours de leur longue vie, doivent s’adapter continuellement aux changements de leur environnement. Chez des peupliers issus de boutures d’une même plante mais cultivés ensuite de longues années dans des régions géographiques et climats différents, le niveau de méthylation de l’ADN diffère et des boutures prélevées sur ces plantes répondent différemment à un stress hydrique.
La mémoire épigénétique peut être transmise de génération en génération
Les travaux chez le peuplier suggèrent que les modifications épigénétiques forment une mémoire qui peut être transmise de génération en génération. Dans le cas des travaux sur le peuplier, il s’agit d’une transmission par voie asexuée (bouturage). Dans d’autres expériences, une transmission par voie sexuée (graines) a été observée. Ainsi, chez le riz, lorsqu’une première génération de plante est soumise à un stress hydrique entre le tallage et la récolte des graines, des modifications du niveau de méthylation de l’ADN sont observées. Lorsque les graines de ces plantes sont utilisées pour produire six générations sexuées successives en absence de stress hydrique, une partie des marques épigénétiques induites par le stress hydrique subi par la première génération est encore présente dans la descendance de sixième génération. Ce résultat illustre la stabilité de certaines marques épigénétiques qui perdurent bien après le stress qui les a induites, et la capacité des plantes à les transmettre via leurs gamètes. De plus, lorsque les réponses d’une variété de riz sensible et d’une variété de riz tolérante au stress hydrique sont comparées, il apparaît que c’est la variété tolérante qui transmet le plus grand nombre de marques de méthylation à sa descendance, suggérant que la transmission des marques, et donc de la mémoire associée, peut participer à l’adaptation à long terme des plantes au stress hydrique.
Une mémoire coûteuse
Si les plantes semblent capables de mémoriser les stress qu’elles rencontrent, une question importante demeure : celle de la durée utile de cette mémoire. En effet, maintenir actifs les mécanismes de mémorisation est coûteux énergétiquement pour la plante, et peut se traduire par une croissance ralentie, voire altérée même en situation de confort hydrique. Pour éviter cela, des mécanismes d’effacement de la mémoire épigénétique semblent mis en œuvre, qui permettraient à la plante d’adapter sa croissance dans un environnement changeant.
Beaucoup de choses restent à découvrir concernant les régulations épigénétiques et la mémoire des plantes. À l’Institut de recherche en horticulture et semences (Angers), les études portent notamment sur la mise en place et la rémanence d’une telle mémoire au stress hydrique chez des générations successives de pétunias obtenues par bouturage. Ces travaux visent à évaluer si l’exposition répétée à un stress hydrique sur plusieurs générations de pieds-mères peut constituer une méthode efficace pour produire des jeunes plants pré-endurcis au manque d’eau. Ce travail est effectué dans le cadre du projet birégional Climatveg (Transition et durabilité des systèmes de productions végétales face aux changements climatiques) financé par les régions Pays de la Loire et Bretagne (2021-2025).
Nathalie Leduc
Professeure de biologie, stress, épigénétique et mémoire des plantes horticoles, Université d’Angers, IARA, Inrae, IRHS, SFR Quasav, F-49070 Angers