Les retombées pratiques de la recherche spatiale: sur l’horticulture et le paysage terrestres

Dans un précédent article (Jardins de France n° 667) nous avons abordé le sujet des expérimentations menées pour rendre possibles les voyages interplanétaires et relatives à la culture des plantes dans l’espace. Leur objectif principal était, et reste (car toujours d’actualité) de pouvoir apporter aux astronautes (1*), lors de missions de (très) longue durée et avec un minimum d’interventions de leur part, les aliments frais nécessaires mais aussi une source d’oxygène, l’élimination du gaz carbonique, ainsi que du bien-être.

De très nombreuses expériences ont été réalisées, avec des matériels de plus en plus sophistiqués qui ont conduit à un volume impressionnant de résultats. Mais au-delà de ces expérimentations spatiales, des recherches ont également été menées sur Terre, essentiellement dans le but de sélectionner, voire de créer, des variétés particulièrement adaptées aux contraintes dans l’espace. Ces expérimentations, soutenues, entre autres, par la NASA, ont été effectuées sur de nombreuses espèces alimentaires afin d’évaluer leur potentiel pour une utilisation dans un système de soutien de vie bio-régénératif (BLSS (2*)).

En fait, c’est l’autonomie complète qui est visée pour permettre aux futurs astronautes une vie normale sur une longue période dans un vaisseau spatial ou sur une autre planète que la Terre. Au-delà des résultats d’intérêt majeur pour la culture des plantes dans l’espace, voire sur d’autres planètes, certaines des données acquises se sont révélées tout aussi intéressantes pour la mise en œuvre de nouveaux types de serres et de modes de culture sur Terre. Nous nous intéresserons à quelques-uns des aspects de ces nouvelles données, comme l’éclairage nécessaire au développement des plantes, leur hydratation et leur mode d’alimentation, l’optimisation du rapport surface de culture/volume occupé, la mise au point d’un substrat de culture, la recherche de variétés adaptées…

L’éclairage des plantes

L’éclairage des plantes est bien sûr primordial afin d’assurer au mieux la fonction essentielle de photosynthèse, qui permet la transformation de l’eau (H₂O) et du gaz carbonique (CO₂) en glucides selon la réaction: 6 CO₂ + 6 H₂O → C6 H12O6 + 6 O₂. L’éclairage sur Terre est, bien sûr, optimal pour cette réaction chimique mais il n’en est pas de même en milieu fermé, comme l’est un engin spatial, ou sur d’autres planètes. L’éclairage artificiel, à base de LED(3*) bleues (λ = 455 nm), rouges (λ = 630 nm) et vertes (λ = 530 nm), a été mis au point après de nombreux tâtonnements et est caractérisé par sa coloration, inattendue, rose, typique de la « serre » spatiale VEGGIE mais aussi des nouvelles installations terrestres de culture hors sol (cf. photos page de gauche). Les premiers tests en serre de ce type d’éclairage ont été effectués au début des années 2000. Chaque culture nécessite un régime de lumière (longueur d’onde) spécifique. Il a été confirmé que le rapport optimal entre la lumière bleue et rouge est d’une grande importance dans l’élaboration du rendement. Le coût et la qualité de la lumière sont les deux facteurs cruciaux: pour un éclairage identique le coût est moindre avec des LED par rapport aux lampes précédemment utilisées dans les serres. Il faut alors mixer des longueurs d’onde différentes pour une croissance optimale des végétaux. Autre avantage des LED, cet éclairage dégage beaucoup moins de chaleur que les lampes habituelles, ce qui permet d’approcher la source lumineuse au plus près des plantes et ainsi de limiter les pertes lumineuses et d’augmenter l’interception. Enfin, outre la photosynthèse, la lumière affecte différentes voies métaboliques pouvant amener des modifications de teneurs comme les caroténoïdes, les anthocyanes ou encore la vitamine C.

Photovoltaïsme

L’amélioration des ressources énergétiques a amené la recherche spatiale à se pencher sur le photovoltaïsme. Ainsi la NASA a-t-elle mis au point une nouvelle cellule photovoltaïque qui permet d’obtenir des rendements plus élevés. Parallèlement, le besoin en énergies renouvelables constitue la base de la recherche sur l’agrivoltaïsme de plein champ ou serre permettant d’allier production agricole et production d’énergie par différents organismes comme l’Inrae, le CTIFL, des stations régionales ou différentes chambres d’agriculture.

L’hydratation et l’alimentation des plantes

La problématique de l’arrosage des plantes est exacerbée par l’absence de gravité dans l’espace et/ou par sa faiblesse sur de nombreuses planètes. Quant aux nutriments nécessaires au bon développement de la plante, ils ont fait l’objet de très nombreuses expérimentations (également sur Terre) qui ont conduit à des formulations adaptées, y compris à ses différentes périodes de développement. C’est ce que nous retrouvons dans les différents types de culture hors sol que sont l’hydroponie (plante dans un substrat inerte irrigué par une solution nutritive) ou l’aéroponie (les racines nues sont vaporisées par intermittence avec une solution nutritive) ou encore l’ultraponie (« vapeur » de solution nutritive créée par ultrasons, dispersée sur l’ensemble de la plante). Ces deux dernières techniques s’avèrent bien adaptées à l’absence de gravité. Même si cette question ne se pose pas sur Terre, elles y sont maintenant très largement utilisées. La NASA, plus avant-gardiste encore, a également exploré l’aquaponie, qui allie culture et élevage de poissons ou crevettes. Si l’utilisation dans l’espace a été mise en veilleuse du fait de la consommation d’oxygène et de la production du dioxyde de carbone, des utilisations terrestres voient le jour.

Ferme verticale Mirai
Culture hors sol sous lumière artificielle à LED © Growing a Brighter Future – Philips Lighting - Technology and Operations Management (harvard.edu)
Plantes VEG
Culture hors sol sous lumière artificielle à LED © Wikimedia Commons

Le substrat de culture

Les recherches menées essentiellement dans la station spatiale internationale ont, dès le départ, été réalisées dans le cadre d’un projet appelé « De la graine à la graine ». En effet, il a toujours paru indispensable de chercher à obtenir des graines à partir de plantes semées et non de plants et ce, dans le souci logique de ne pas avoir à emporter une quantité importante de semences. Ont ainsi été obtenues quatre générations de plantes supérieures dans l’ISS. Le substrat utilisé au tout début pour la germination était un terreau classique qui a rapidement, pour des questions sanitaires (développement de moisissures), été abandonné au profit d’un substrat inerte poreux enrichi en nutriments indispensables à la germination, déclenchée uniquement par hydratation. Ainsi les graines sont insérées dans de petits « coussins » contenant le substrat « dopé » (arcilite : argile calcinée et engrais à libération contrôlée de type 18-6-8). Sur Terre, le substrat utilisé peut être également inerte et c’est le liquide d’hydratation qui contient alors les nutriments. Toutefois, ces techniques ne sont pas adaptées à tous les types de cultures. Les légumes-racines et les légumes à tubercule comme les pomme de terre ont besoin d’un sol et donc seront cultivés sur une station fixe. La composition du substrat dépendra de l’astre sur lequel on veut l’installer, il ne pourra en effet venir de la Terre.

Futura gaia
Futura Gaïa est une ferme verticale qui fait tourner ses plantes © C. Agostinis/ledauphine.com
Culture hors sol
Futura Gaïa est une ferme verticale qui fait tourner ses plantes © C. Agostinis/ledauphine.com

La recherche d’espèces et de variétés adaptées

La recherche d’espèces et de variétés adaptées a été, et est encore, largement développée dans le cadre des projets BLSS, qui ont débuté dans les années 1960 et auxquels se sont greffées de nombreuses institutions, dont l’Agence spatiale européenne (ESA). C’est un vaste champ d’études, pour l’instant limité à quelques expérimentations onéreuses. Il s’agit de comparer la composition en nutriments d’une variété produite dans l’espace à celle produite sur Terre. Ce sont surtout les teneurs en composés instables (vitamines, antioxydants) qui sont importantes, car elles ne pourront être stockées pour la durée d’une mission. Il faudra donc les produire dans l’espace, sans oublier que les productions devront rester une source de nourriture agréable au goût. Un autre aspect important est la prolongation de la durée de vie des produits récoltés. Pour cela, certains protocoles de nettoyage doivent être mis au point. C’est ainsi que les expérimentations ont permis la conception d’un épurateur d’éthylène. Basé sur la circulation d’air vicié à travers des tubes revêtus d’une couche d’oxyde de titane (TiO2) et éclairés par une lumière UV, il décompose l’éthylène en eau et gaz carbonique (tous deux profitables aux plantes).
L’ensemble de ces techniques, pour l’essentiel mises au point dans le cadre de la recherche spatiale, ont été mises en place dans le cadre de ce qu’il convient d’appeler les « fermes verticales ».

Installation VEGGIE
L’installation VEGGIE de la station spatiale, entretenue ici par l’astronaute de la NASA Scott Tingle, lors de l’étude sur la croissance des plantes VEG-03, qui cultivait du Pak Choi extra-nain, du chou russe rouge, de la moutarde et de la laitue rouge © NASA

Les fermes verticales

Ferme verticale
La ferme verticale japonaise de Mirai produit 10000 laitues
par jour © D.R.

L’idée de base de ces fermes vient d’un concept développé en 1999 par Dickson Despommier, professeur en santé environnementale et microbiologie à l’université Columbia de New York, avec des étudiants diplômés d’une classe d’écologie de la santé. Elles ont vu le jour tout d’abord au Japon où il en existe une centaine, mais aussi à Singapour, aux États-Unis, dans les Émirats arabes unis, en Chine, voire au Burkina Faso. En France, quelques projets commencent à être développés. Elles peuvent être embarquées, compactées et être déployées (gonflables) – de nombreuses variantes existent – et sont déjà utilisées sur Terre (salades et autres légumes).

Leurs avantages sont un faible encombrement, une croissance rapide, le recyclage des eaux usées et la proximité production-consommation. Leurs inconvénients sont la consommation d’énergie, le risque sanitaire élevé, l’absence de légumes tubéreux, et le fait qu’elles ne peuvent fonctionner qu’au sol.

Il est un peu tôt pour faire un bilan de ce type d’installations dont le modèle économique est, à ce jour, encore incertain, mais comme toute recherche et innovation la maturité est à venir.

André Bervillé, Michel Crousilles et François Villeneuve
Membres du Comité de rédaction de Jardins de France

(1*) : Qu’ils soient Américains (astronautes), Russes (cosmonautes), Chinois (taïkonautes) ou Français (spationautes)
(2*) : BLSS: Bioregenerative Live Support Systems
(3*) : LED: Light Emitting Diode (diode électroluminescente)