Sélection et production des plants fruitiers : évolution depuis le début des années 1950
Le métier de pépiniériste fruitier a beaucoup évolué en soixante quinze ans et la pépinière fruitière n’a plus qu’un lointain rapport avec celle des années cinquante. Quant au métier d’hybrideur/sélectionneur variétal, il n’existait pas encore ! Voici donc quelques aspects les plus représentatifs de ce changement racontés par Guy Ligonnière et Fiona Davidson, de l’entreprise Dalival.
La production de plants fruitiers par des pépiniéristes spécialisés
La très forte demande de fruits durant l’après-guerre a généré la transformation de certains agriculteurs en arboriculteurs et l’apparition des premiers vergers industriels dans les années 1955-1960. C’est la naissance, puis le plein essor, des vergers en haie fruitière, avec quelques variétés leaders venues des États-Unis telles que Golden Delicious et Red Delicious puis, à partir de 1972, Granny Smith (originaire d’Australie). En même temps, certains pépiniéristes se spécialisent dans la production de scions fruitiers greffés (sur des porte-greffes très vigoureux tels que le franc), les arbres étant formés en verger sous différentes formes : en palmette, en drapeau, forme Bouche Thomas, etc.
Avant 1955, les pépiniéristes fruitiers spécialisés cultivaient des arbres en hautes tiges pour des agriculteurs qui avaient des pommiers à cidre dans leurs prairies, ainsi que des quenouilles, ou basses tiges, qu’ils fournissaient aux jardiniers amateurs avec des variétés anciennes (Clochard, Reinette du Mans, Chailleux, Patte de loup, Locard vert…).
L’évolution des porte-greffes et des variétés
Les arboriculteurs de l’après-guerre ont fait le choix de variétés régulières et très productives. Le trio Golden, Granny, Red Delicious va dominer le marché jusqu’en 1980, où commencent à apparaître de nouvelles variétés issues de programmes d’hybridation à travers le monde. C’est aussi dans les années 1950 qu’apparaît le CTIFL (Centre technique interprofessionnel des fruits et légumes). Dans les décennies suivant sa création, il va permettre la production contrôlée d’arbres sans virus et le contrôle rigoureux de l’authenticité variétale : auparavant, les variétés étaient reprises de verger en verger sans garantie d’avoir une variété conforme à celle d’origine. Les porte-greffes ne sont pas en reste, même si leur évolution est beaucoup plus lente. Les premiers grands vergers étaient extensifs et vigoureux car plantés sur francs. En 1970, les pépiniéristes plantent les premières marcottières de MM106 et de M9 moins vigoureux pour une mise à fruit rapide, qui accompagnent l’intensification des vergers plus denses. Le M9 (et ses sélections) va prendre son essor jusqu’à devenir, et il l’est encore à ce jour, le principal porte-greffe des vergers européens de pomme de table. Depuis 2015, de nouvelles sélections de porte-greffes (G11, G41, M200) apparaissent dans les catalogues des pépiniéristes. Ils apportent de nouvelles résistances aux maladies et présentent surtout une meilleure productivité et des tolérances à la « fatigue du sol » liée aux replantations verger sur verger.
La mécanisation des pépinières et la transformation du scion fruitier
Pendant plusieurs décennies, le métier de la pépinière était quasiment entièrement manuel: plantation, désherbage, arrachage étaient réalisés sans aucune machine. Depuis les années 1990, le métier s’est mécanisé et, en plus des planteuses et des arracheuses, sont apparues, pour les opérations qui restent manuelles (écussonnage, attachage, désherbage), des machines d’assistance assises qui visent à diminuer la pénibilité du travail. En parallèle, le scion (1*) produit en pépinière s’est transformé: les scions produits autrefois avaient des ramifications trop basses et seraient aujourd’hui invendables. Depuis 1990, les pépiniéristes livrent des scions « prêts à produire » bien ramifiés à la bonne hauteur et de bon calibre. Et depuis une dizaine d’années, les pépiniéristes proposent des arbres en « double axe » préformés pour éviter aux arboriculteurs un travail demandant une main-d’œuvre qualifiée et favoriser une mise en production encore plus rapide.
Professionnalisation de la recherche et naissance du métier de sélectionneur variétal
Avant 1980, l’innovation variétale était le fait d’amateurs qui faisaient leurs hybridations dans leurs « jardins/vergers expérimentaux ». Dans les années 1980, des stations de recherche nationales/régionales et des entreprises privées (souvent liées à des pépinières) démarrent des programmes d’hybridation et de sélection. Quelques passionnés commencent à parcourir le monde pour visiter ces stations, trouver des variétés pouvant être intéressantes pour le marché européen et/ou échanger leurs obtentions. En parallèle se crée la protection variétale (CPOV) qui a permis de rémunérer et d’accélérer la recherche variétale. Aujourd’hui, l’hybridation, la sélection variétale et le développement variétal sont devenus des métiers à part entière.
La sélection pour la qualité
Dans les années 1980, la pomme Royal Gala fait son apparition dans les vergers. Les stations fruitières donnent de nouveaux objectifs à l’innovation variétale : qualité gustative, meilleure conservation, résistance aux maladies. Ceci se traduit par des contrats public-privé entre l’Inra et des pépiniéristes pour la création de variétés résistantes à la tavelure. Les premières variétés issues de ces programmes ne sont pas sans défaut (manque de calibre, acidité élevée, conservation moyenne) mais depuis quelques années, tout ce qui n’est pas résistant ET gustatif ET de bon potentiel agronomique ET de bonne conservation est systématiquement écarté. Actuellement, la recherche s’oriente vers des multirésistances/tolérances (la tolérance permet d’éviter les phénomènes de contournement) afin de diminuer les traitements en verger.
La génétique : l’outil du sélectionneur
Depuis 2010, les progrès de la génétique ont permis l’identification des gènes induisant des tolérances/résistances et de trouver des marqueurs génétiques pour repérer rapidement ces gènes. Si l’hybridation reste manuelle, si les observations agronomiques et gustatives restent l’œuvre du sélectionneur, la génétique permet de limiter les essais en serre, sur semis ou au champ et permet des économies de temps et de moyens. En effet, il faut dix à quinze ans pour lancer une variété de pomme, quinze à vingt-cinq ans pour une variété de poire, et quarante à soixante ans pour un porte-greffe, ce qui représente des investissements considérables.
Guy Ligonnière
Ex-P.-d.g. DL
Fiona Davidson
Dalival
(1*) Scion: plant écussonné d’un an