Évolutions de la perception et du rôle : Du végétal et des espaces de nature en ville
Les aspirations en matière d’espaces verts et de nature en ville ont connu une montée en puissance sans précédent au cours des dernières années. Auparavant réduite à la portion congrue des espaces non construits, la « nature en ville » est désormais de toutes les politiques territoriales et s’invite notamment dans les débats des cercles professionnels moins initiés du monde de l’aménagement urbain. Retour sur cette trajectoire et coup d’œil sur les perspectives.
Simple décorum dans les années 1970
Dans les années 1970, les espaces verts ont principalement un objectif ornemental. Pour les mieux lotis, l’expérience de nature est visuelle : les étendues de pelouses vertes s’observent, les massifs fleuris composés au gré des saisons se contemplent. Ils constituent l’écrin des bâtiments de la mairie et des sites patrimoniaux anciens. Dans les grands ensembles urbains, les espaces verts sont pauvres et réduits à une simplicité extrême et d’ordre équipementière – pelouse et arbres – qui témoigne d’une vision très partielle de leurs potentiels bénéfices et de ce qui « fait paysage ».
Des infrastructures sociales dans les années 1980
Avec le développement des politiques de la ville, les espaces verts deviennent sociaux. De grands parcs sont aménagés dans un mouvement populaire, où se croisent les enjeux d’équité sociale et d’un hygiénisme renouvelé. Les espaces de nature accueillent des usages récréatifs et constituent une nouvelle offre dans les aires urbaines saturées. L’expérience de nature se vit à l’intérieur de grands espaces accueillant des activités sportives et de loisirs. C’est dans ce mouvement que plusieurs grands parcs sont aménagés, tel le parc de Miribel-Jonage en région lyonnaise ou encore le parc du Lac de Maine à Angers.
Dans les années 1990, les prémices d’une transformation écologique grâce à la gestion différenciée.
Face à l’accroissement des surfaces d’espaces verts, un nouveau mode de gestion émerge : la gestion différenciée, dont les villes de Rennes et de Montpellier font figure de précurseurs. Il consiste à appliquer à chaque composante du paysage urbain un niveau d’exigence et des opérations d’entretien spécifiques tenant compte des usages sociaux, culturels et écologiques dont elle doit être le support. Issue de contraintes organisationnelles et budgétaires, cette évolution a néanmoins permis de questionner la standardisation et l’intensité des pratiques d’entretien, pour aller vers une transformation plus écologique des paysages urbains.
Une convergence vers les trames vertes urbaines début 2000
L’émergence du concept de trame verte urbaine apporte un nouveau regard sur le rôle des espaces verts et de nature en ville. C’est la vision que les aires urbaines ne doivent pas constituer un obstacle au vivant, mais qu’elles doivent (re)créer les conditions pour que les espèces animales et végétales puissent se déplacer et assurer leur cycle de vie. On mobilise alors les outils de l’urbanisme et du foncier pour retisser des liens, parfois devenus ténus, entre la ville et les milieux naturels de son environnement. En outre, des villes pionnières opèrent une véritable transformation de la gestion de leurs espaces verts en s’interdisant l’usage des produits phytosanitaires de synthèse. Témoignant de cette faisabilité, elles ouvriront la voie à de nombreuses autres et prépareront ainsi l’arrivée de la loi Labbé et de ses extensions.
Aujourd’hui, le consensus d’une vision écosystémique de la nature en ville
La prise de conscience de la double crise du climat et de la biodiversité renforce l’approche des services écosystémiques. Cette vision plus scientifique des bénéfices des espaces verts de nature est l’occasion de se donner encore plus d’ambition: régulation des ambiances thermiques et rafraîchissement urbain, dépollution de l’air, support de biodiversité, gestion des eaux pluviales, stockage de carbone, prise en compte des sols, développement de fonctions nourricières… Les paysages urbains de nombreuses villes se transforment par l’apport des solutions fondées sur la nature, des programmes de plantations en nombre et des chantiers de désimperméabilisation.
Et demain, repenser les espaces verts et de nature par le prisme de la santé
Au cours des dernières années, les recherches (1*) menées sur les effets des espaces verts et de nature sur la santé apportent une dernière pierre au chantier du réexamen de leur nécessité.
Tous les travaux s’accordent sur les bénéfices des paysages et aménagements végétalisés dans la construction et le maintien de la santé physique, mentale et sur le plan des interactions sociales.
On pourrait même considérer qu’il s’agit de la première infrastructure en matière de santé, si l’on prend cependant en compte la répartition des espaces de nature dans une perspective d’équité sociale.
Cette trajectoire nous mène ainsi à conclusion que les espaces de nature urbains sont une réponse indispensable aux grands enjeux auxquels sont confrontées les villes. Cependant, il est tout aussi indispensable de considérer que la nature dispose d’une valeur intrinsèque – indépendante de son utilité – et qu’elle convoque en nous l’expérience de l’humilité, de l’effort et de la beauté.
Caroline Gutleben
Directrice de Plante & Cité
(1*) VAJOU B., 2021. La construction d’une expérience de nature favorable à la santé mentale et au bien-être: étude in situ des composantes comportementales, cognitives et affectives. Thèse de doctorat conduite au sein de Plante & Cité, sous la codirection scientifique de l’Institut Agro et de l’Université d’Angers.