Les plantes exotiques envahissantes et le rôle des jardiniers amateurs

Les touristes qui arrivent en vacances dans le sud de la France s’extasient souvent devant les cactus (Opuntia spp.) ou les griffes de sorcières (Carpobrotus spp.), abondantes sur les dunes ou les côtes rocheuses. Ils pensent alors admirer des plantes typiquement méditerranéennes et pourtant, il n’en est rien! Ces plantes succulentes paraissent parfaitement adaptées à la sécheresse estivale du climat méditerranéen, mais les cactus proviennent d’Amérique et les griffes de sorcières d’Afrique du Sud! Et leur présence peut constituer une menace pour la flore locale. Comment en est-on arrivé là ?

Carpobrotus
Carpobrotus edulis envahissant une plage corse qui abrite l’une des rares stations d’Anchusa crispa subsp. valincoana, endémique du golfe de Valinco (Corse-du-Sud) © G. Fried

Qu’est-ce qu’une plante exotique envahissante?

Dans chaque territoire, on peut distinguer des espèces dites « indigènes » et d’autres, dites « exotiques ». La présence des premières ne doit rien à l’homme, tandis que les secondes ont été introduites de manière volontaire ou involontaire sur un territoire où elles n’existaient pas auparavant. L’introduction d’espèces exotiques est intimement liée à la mondialisation et à la globalisation des échanges marchands. Le commerce entre régions du monde permet à certaines espèces de voyager clandestinement sous forme de graines contaminant les semences de cultures ou d’autres marchandises. Aujourd’hui, la majorité des introductions de plantes se fait de manière volontaire. Les plantes ornementales représenteraient 40 % des plantes qui finissent échappées dans la nature. Le secteur horticole a donc un rôle important à jouer pour limiter les invasions végétales.

Il n’est pas rare d’observer des semis d’espèces ornementales à proximité des massifs cultivés : c’est souvent le cas de la verveine de Buenos Aires (Verbena bonariensis), du gaura de Lindheimer (Oenothera lindheimeri) ou encore des cheveux d’ange (Nassella tenuissima). À ce stade, on parle de plantes subspontanées ou occasionnelles et on dénombre en France pas loin de 1 100 espèces dans cette catégorie. Parmi ces individus échappés, certains vont éventuellement fleurir et se reproduire certaines années, mais beaucoup échoueront à devenir autonomes et sans l’apport continu de diaspores (organes de dispersion: graine, bulbille…) des individus cultivés à proximité, ils finiront par disparaître.

Opuntia stricta
Population envahissante d’Opuntia stricta dans la Réserve nationale naturelle du Mas Larrieu (Pyrénées-Orientales) © G. Fried
Envahissement du contre-canal du Rhône
Spectaculaire envahissement du contre-canal du Rhône par la laitue d’eau (Pistia stratiotes) près d’Avignon en septembre 2016 (Vallabrègue, Gard) © G. Fried

Une compétition rude entre plantes

Certains individus peuvent réussir à se reproduire régulièrement et finiront par former une population autonome, loin des pieds mères plantés. Si la population persiste plus de dix ans, les botanistes parlent alors de plantes naturalisées. C’est ce qui s’est passé pour les solidages (Solidago gigantea et S. canadensis) il y a plusieurs décennies, pour l’herbe de la Pampa (Cortaderia selloana) dans les années 1980-1990 et, plus récemment, pour le palmier de Chine (Trachycarpus fortunei) dans les ripisylves (1*) (au moins en vallée du Rhône et en région méditerranéenne).

Un peu plus de 800 espèces végétales sont aujourd’hui naturalisées en France (nombre à rapporter auprès de 5 000 espèces végétales indigènes en France métropolitaine). Se faire une place parmi la végétation déjà installée n’est pas chose aisée. La compétition entre plantes pour les ressources disponibles (eau, lumière, nutriments) est rude. Cela explique que beaucoup de plantes exotiques se naturalisent d’abord dans des milieux ouverts avec peu de végétation : champs cultivés, friches, bords de chemins et de routes, berges exondées des rivières. Elles remplissent alors une niche écologique vacante et, si elles se cantonnent là, elles peuvent être considérées comme une addition originale à la biodiversité locale. Elles profitent aussi des perturbations induites par les activités humaines pour coloniser des milieux plus naturels. On peut alors voir le pourcentage de plantes exotiques dans un milieu donné comme une indication de son niveau de perturbation. On peut aussi voir ces espèces pionnières et colonisatrices comme des « pansements naturels » permettant de couvrir rapidement un sol mis à nu et de lancer une nouvelle succession végétale secondaire.

Exotiques envahissantes

Toutes les plantes exotiques ne sont cependant pas des espèces rudérales fugaces inféodées aux habitats perturbés. Il existe des plantes exotiques capables de s’installer durablement dans des milieux naturels : griffes de sorcières (Carpobrotus spp.) dans les dunes et côtes rocheuses, séneçon en arbre (Baccharis halimifolia) dans les prés-salés, renouées asiatiques (Reynoutria japonica, R. x bohemica, R. sachalinensis) dans les ripisylves (1*). Lorsque ces plantes naturalisées sont capables de produire un grand nombre de diaspores dont une partie est dispersée à grande distance des pieds mères et qui donneront eux-mêmes naissance à de nouveaux individus capables de produire des diaspores dispersées à longue distance, on peut les qualifier de plantes invasives ou de plantes exotiques envahissantes. Il s’agit donc d’espèces exotiques qui présentent une forte dynamique d’expansion à la fois locale et régionale. Leur abondance locale et leur forte capacité de compétition peuvent entraîner l’exclusion d’autres espèces végétales (perte de biodiversité). Les dunes envahies de griffes de sorcières perdent deux tiers de leur richesse. Lorsqu’une espèce devient dominante dans un écosystème au point de modifier son fonctionnement, on parle même d’espèces transformatrices (le robinier faux-acacia qui modifie le cycle de l’azote, la jussie qui conduit à l’anoxie de plans d’eau, etc.) Ces espèces peuvent aussi être responsables d’impacts économiques (surcoût de gestion, perte de rendements dans les cultures) et sanitaires (pollen allergisant des ambroisies, sève photosensibilisante de la berce du Caucase).

Attention à la diabolisation

Ne sombrons ni dans le catastrophisme ni dans l’angélisme. D’une part, plus de 90 % des plantes exotiques occasionnelles ou naturalisées en France (près de 2 000 espèces) ne posent pas de réel problème. D’autre part, des impacts importants touchant divers secteurs sont générés par près d’une centaine de plantes exotiques bien connues. Ne diabolisons pas les espèces exotiques simplement parce qu’elles sont exotiques mais ne continuons pas à planter des espèces dont les impacts négatifs ne sont plus à démontrer! Prenons aussi un temps d’avance car, parmi les plantes actuellement occasionnelles ou naturalisées, certaines pourront devenir invasives à l’avenir. Tout l’enjeu est d’être capable de repérer à temps les futures plantes invasives avant qu’elles ne le deviennent !

Individu subspontané d'Oenothera lindheimeiri
Individu subspontané d’Oenothera lindheimeri échappé au bord d’un fossé et peut-être en voie de naturalisation... (Gignac, Hérault) © G. Fried -
Cenchrus orientalis échappé en lisière
Cenchrus orientalis échappé en lisière de chênaie verte à partir d’un massif planté à la maison du Grand Site de France Pont-du-Diable, Gorges de l’Hérault (Aniane, Hérault) © G. Fried

« Si la population persiste plus de dix ans, les botanistes parlent alors de plantes naturalisées. »

Faire des jardiniers amateurs des acteurs

Les jardiniers peuvent jouer un rôle crucial car ils peuvent être les premiers à remarquer quelles plantes ornementales montrent des signes d’envahissement dans leur jardin avant qu’elles ne s’échappent dans la nature. Au Royaume-Uni, la Société d’horticulture royale (RHS) est partenaire d’un projet de science citoyenne qui permet aux jardiniers de signaler « les plantes ornementales qui se propagent au point qu’ils doivent les contrôler pour éviter qu’elles envahissent d’autres plantes ou des parties du jardin où ils ne les veulent pas » (https://plantalert.org).

Parmi nos conseils : avant de planter une nouvelle espèce dans son jardin ou d’en distribuer à d’autres jardiniers, bien se renseigner sur son caractère (potentiellement) envahissant (cf. le site du Centre de ressources sur les espèces exotiques envahissantes http://especes-exotiques-envahissantes.fr/categorie-espece/flore).

Il est important de savoir quelles sont les espèces végétales déjà réglementées par l’Union européenne (http://especes-exotiques-envahissantes.fr/base-documentaire/liste-despeces).

Si elles ne peuvent plus être vendues depuis la mise en place du règlement européen, il se peut que vous en ayez déjà dans votre jardin! A minima, il faudra contrôler ces espèces pour les empêcher de s’échapper dans la nature. Au mieux, il faudrait procéder à leur éradication car la détention de ces espèces est également interdite. Dans ce cas, détruisez ou éliminez les plantes exotiques envahissantes. Vous participerez ainsi à l’effort collectif pour limiter la propagation de ces espèces dans les milieux naturels fragiles. Les pépiniéristes sont encouragés par Valhor à suivre un code de conduite professionnel. Ce code propose qu’au-delà des espèces réglementées, certaines espèces fassent l’objet de restrictions volontaires et de recommandations ciblées.

Par exemple : « Ne pas utiliser ou prescrire Rosa rugosa à moins de 10 km du littoral des départements suivants : Nord, Pas-de-Calais, Seine-Maritime, Calvados et Manche » puisque ce rosier envahit spécifiquement les dunes de la Manche et de la mer du Nord. Ce même principe peut être appliqué par chaque jardinier.

L’horticulture est l’une des sources du problème des invasions végétales mais elle en est aussi l’une des solutions. À l’échelle globale, sur près de 300 000 espèces végétales identifiées, 6 000 sont considérées comme des plantes invasives quelque part dans le monde. Évitons simplement de cultiver ces 2 % de plantes dans nos jardins, il y en a tellement d’autres qui ne posent pas de problème !

 

Guillaume Fried
Chargé de projet recherche au Laboratoire de la santé des végétaux de l’Anses
www.anses.fr

(1*) Ripisylves : formations végétales qui se développent sur les bords des cours d’eau ou des plans d’eau.