Quel est le secret de la remontée de floraison ?

Une plante est dite remontante si elle peut fleurir plusieurs fois dans l’année. Ainsi, la remontée de floraison permet, chez le rosier, la production de fleurs coupées sous serre toute l’année et, chez le fraisier, une récolte de fruits du printemps à l’automne. De récentes études montrent que ce caractère est lié à une mutation génétique naturelle.

La remontée de floraison se définit par la capacité d’une plante à fleurir plusieurs fois ou de manière continue au cours d’une même année. L’étude de ce caractère est importante car elle permet d’aborder la notion de saisonnalité de la floraison, en lien avec l’initiation florale et son contrôle par des facteurs environnementaux. L’enjeu est d’ordre scientifique mais aussi économique, pour allonger la période de production de fleurs et de  fruits. Des études sont en cours, respectivement à l’Institut de recherche en horticulture et semences (IRHS) d’Angers et à l’UMR BFP (Inrae de Bordeaux), pour mieux comprendre les mécanismes d’initiation florale et de remontée florale chez le rosier et le fraisier.

Figure n° 1 : Représentation schématique de la floraison et de la remontée de floraison chez les rosiers remontants et non remontants

Chez les rosiers non remontants, la floraison a lieu au printemps à partir des bourgeons axillaires. Suite à cette floraison,  les nouvelles tiges sont végétatives. Chez les rosiers à floraison continue, la floraison a lieu tout au long de l’année. Chaque nouvelle tige se termine par une inflorescence terminale. Les rosiers à re floraison occasionnelle peuvent fleurir de façon occasionnelle à l’automne. Ces re-floraisons sont portées par des rameaux axillaires issus de tiges végétatives à croissance indéterminée.

Figure 1

Figure n° 2 : Architecture d’un fraisier de saison (A) et d’un fraisier remontant (B).

La couleur des inflorescences reflète leur stade: violet lorsque les fruits sont déjà récoltés, rouge lorsque les fruits sont mûrs, orange foncé, normal ou clair lorsque les inflorescences  de niveau 1, 2 ou 3 ont émergé, et gris lorsque les inflorescences n’ont pas encore émergé.

Figure n°2

Figure n° 3 : Un couple de mutants remontant et non remontant chez le rosier.

Chez ce couple de mutants, ‘Félicité et Perpétue’ présente un phénotype non remontant, avec des rameaux érigés. Son mutant ’Little white pet’ est remontant et se développe en buisson de petite taille © T. Thouroude

Figure n° 3

Chez le rosier

Chez les rosiers non remontants (ou à floraison unique) (Figure n° 1), l’initiation florale a lieu au printemps. Rapidement après la reprise de croissance des bourgeons, on observe la conversion du méristème apical en un méristème floral. Chez ces rosiers, la floraison a lieu sur des rameaux secondaires portés par les rameaux  de l’année précédente. Pour fleurir l’année suivante, les rosiers non remontants doivent subir une période de froid, ou « vernalisation ». Chez les rosiers remontants, on distingue deux groupes : les rosiers à floraison continue et les rosiers à floraison occasionnelle. Les rosiers à floraison continue se caractérisent par une floraison terminale (déterminée) de l’ensemble des rameaux. Leur floraison est auto-inductible et n’est donc pas soumise à des facteurs environnementaux ou endogènes. Ces rosiers n’ont pas besoin de vernalisation et peuvent fleurir en serre. Dans le cas des rosiers dits « à floraison occasionnelle », la première floraison est comparable à celle des rosiers non remontants, toutefois, ils peuvent refleurir occasionnellement sur des rameaux latéraux plus tard dans la saison.

Chez le fraisier

Le cycle annuel de développement du fraisier dit « de saison » ou non remontant (Figure n° 2) se déroule en quatre étapes :

• L’initiation florale a lieu à l’automne, lorsque les températures diminuent et que les jours raccourcissent. Comme pour le rosier, le méristème apical devient un méristème floral, mais la plante forme aussi des ébauches de fleurs de la future inflorescence protégées dans le bourgeon terminal.

• En hiver, le plant ralentit sa croissance et rentre en dormance.

• Au printemps, les inflorescences préformées lors de l’automne précédent émergent et donneront les fruits.

• Suit une phase de multiplication végétative, via la production de stolons, qui sont des tiges à deux longs entre-nœuds et qui portent les plants filles.

Le fraisier remontant, lui, est capable d’initier des inflorescences tout au long de sa croissance. Elles sont situées chacune en position terminale des différents axes développés, aux dépens des stolons. On remarque, lors de très fortes températures, que la remontée florale ne s’exprime pas et se trouve balancée par la production de  stolons.

Les bases moléculaires de la remontée de floraison

De récents travaux de génétique moléculaire ont permis de mettre en évidence une « région chromosomique » commune chez ces deux espèces de rosoïdées. Chez le fraisier des bois (F. vesca) et le rosier (genre Rosa), cette région se trouve sur le chromosome 3 et code pour un répresseur floral (TFL1terminal flower-1) qui empêche les plantes de refleurir. Ainsi, chez les rosiers non remontants, après la floraison de printemps, le répresseur s’accumule et les nouveaux rameaux restent végétatifs tandis que chez les plantes remontantes, ce répresseur floral est muté. Chez le rosier, la mutation est due à l’insertion d’un élément transposable de type copia qui « casse » le gène. Dans le cas du couple de mutants ‘Félicité Perpétue’, non remontant, et ‘Little White Pet’, remontant, la perte du répresseur est responsable de la mutation (Figure n° 3): le répresseur floral ne s’accumule plus et le rosier ‘Little white pet’ fleurit continuellement. On a pu constater également que l’expression de ce répresseur par transgénèse chez un rosier à floraison continue empêche toute floraison.

Qu’en est-il pour les rosiers à floraison occasionnelle ? Il a été montré que le transposon copia pouvait se recombiner et mener à la restauration d’un allèle (une des formes alternatives d’un même gène), produisant de nouveau le répresseur floral. La recombinaison du rétrotransposon laisse toutefois une trace, un élément LTR (Long Terminal Repeat) qui pourrait expliquer la faible capacité à remonter des rosiers, malgré la présence d’un répresseur fonctionnel. De même, par séquençage, a été détecté un allèle qui, à l’état homozygote, provoque une floraison occasionnelle chez les rosiers comme R. moschata ou R. rugosa. Cet allèle produit un répresseur fonctionnel, mais en moindre quantité, ce qui permettrait une refloraison occasionnelle. Chez le fraisier, ce même répresseur  floral est également muté et s’exprime en jours longs. En plus de ce répresseur floral, le fraisier présente un répresseur florigène qui est non photopériodique. Chez les plants remontants, le florigène n’est  pas contrebalancé par le répresseur floral en jours longs, ce qui conduit à une floraison continue.

Rose
© darkmoon Art - Pixabay
© darkmoon Art - Pixabay

Une mutation génétique « naturelle »

Une analyse détaillée de l’allèle copia a permis de montrer que cette mutation est récente et serait apparue au sein de rosiers chinois sauvages, et plus particulièrement au sein de l’espèce R. chinensis var. spontanea. Elle daterait du XVIIIe siècle via l’introduction de rosiers cultivés en Chine présentant une floraison continue (comme ‘Old Blush’). Puis, progressivement au cours du XIXe siècle, âge d’or de la sélection des roses en France, l’allèle copia a été sélectionné, menant à des roses de plus en plus remontantes. Chez le fraisier des bois, la première description de la remontée florale date de 1532 à partir de plants observés dans les Alpes : Jérôme Bock décrit l’espèce comme F. vesca semperflorens. Ces fraisiers ont longtemps été considérés comme insensibles à la photopériode, mais les travaux récents confirment que c’est bien l’interaction [photopériode x température] qui détermine l’induction de la floraison. Chez le fraisier cultivé, une autre zone du génome intervient dans le contrôle de la remontée de floraison, avec un effet positif sur la remontée florale et un effet négatif sur le stolonnage. Il est intéressant de noter que cette même région contrôle la remontée de floraison chez le framboisier.

En conclusion, on pourra retenir que ce caractère résulte d’une mutation naturelle d’un gène (perte d’un répresseur floral). Dans l’histoire de la sélection et de la domestication des plantes, il est probable que cette particularité ait été relevée, sélectionnée, conservée et multipliée par un ou plusieurs sélectionneurs avertis. Cela nous montre comment l’observation et les mutations naturelles peuvent être un apport pour la production. Alors, continuons à prendre le temps d’observer les plantes dans les jardins et dans la nature.

Béatrice Denoyes
UMR-BFP-Inrae

Fabrice Foucher et Laurence Hibrand-Saint Oyant
IRHS-Inrae

PRINCIPALES SOURCES ET RÉFÉRENCES

Iwata, H., Gaston, A., Remay, A., Thouroude, T., Jeauffre, J., Kawamura, K., Hibrand-Saint Oyant, L., Araki, T., Denoyes, B., and Foucher, F. (2012). The TFL1 homologue KSN is a regulator of continuous flowering in rose and strawberry. Plant Journal 69, 116 125.

Gaston, A., Potier, A., Alonso, M., Sabbadini, S., Delmas, F., Tenreira, T., Cochetel, N., Labadie, M., Prevost, P., Folta, K.M., et al. (2021). The FveFT2 florigen/FveTFL1 antiflorigen balance is critical for the control of seasonal flowering in strawberry while FveFT3 modulates axillary meristem fate and yield. New Phytologist 232, 372-387.

Soufflet-Freslon, V., Araou, E., Jeauffre, J., Thouroude, T., Chastellier, A., Michel, G., Mikanagi, Y., Kawamura, K., Banfield, M., Oghina Pavie, C., et al. (2021). Diversity and selection of the continuous-flowering gene, RoKSN, in rose. Horticulture Research 8.