Colloque Jardin & littérature : Rencontre entre l’art de l’écrivain et l’art du jardinier
Si elle ne représente que 5 % du territoire national, la Normandie compte 9 % des jardins protégés au titre des Monuments historiques et 10 % des jardins dotés du label Jardin remarquable. La Région se situe au deuxième rang du palmarès français pour le nombre de maisons d’écrivains et de sites littéraires. Forts de ce double constat, la Région Normandie et l’Institut européen des jardins & paysages ont organisé du 9 au 12 mai 2019, à Caen et en Seine-Maritime, un colloque consacré au thème « Jardin & littérature ». Ce sont les actes de ces rencontres, réparties entre interventions en salle et visites des maisons de Maupassant et de Gide, qui ont été publiés l’année suivante par les Éditions des Falaises, installées à Rouen. Un recueil qui invite à « aller au jardin » et à tenter de retrouver le vert paradis de l’enfance.
Quel est le lien entre les différents auteurs évoqués lors du colloque Jardin & littérature, organisé en Normandie en mai 2019 ?
Le jardinier et l’écrivain sont tous deux capables, dans leur art respectif, d’exprimer et de raconter, par des images, la poésie intime du monde, sa beauté la plus secrète, considère Cristina Castel-Branco, architecte-paysagiste, enseignante en histoire et art des jardins, présidente du conseil scientifique de l’IEJP (Institut européen des jardins & paysages), qui a préfacé cet ouvrage. « Tous les mythes fondateurs de l’homme démarrent dans un jardin originel », rappelle par ailleurs le paysagiste et philosophe espagnol Fernando Caruncho dans son introduction, estimant également que « le jardin exprime le plus haut idéal de l’homme », aussi bien dans la mentalité occidentale que dans la mentalité orientale.
L’écrivain en son jardin
La première partie nous emmène d’abord dans un parcours normand, à la découverte des jardins du duc d’Harcourt dans l’Eure, de Victor Hugo à Guernesey – redessiné en 2017 par Louis Benech –, de Guy de Maupassant à Étretat, ou encore de Roger Martin du Gard à Sérigny, dans l’Orne. Prix Nobel de Littérature en 1937, notamment pour la saga des ibault, ce dernier considérait véritablement son jardin comme l’une de ses œuvres. Les jardins de Pierre Corneille et de Gustave Flaubert sont des lieux de mémoire exprimant les racines régionales de ces deux grands auteurs classiques, tous deux nés à Rouen à plus de deux cents ans d’écart. André Gide, à la Roque-Baignard puis à Cuverville-en-Caux, et Jean de La Varende, au château de Bonneville, ont également un rapport direct avec la terre normande, la botanique et la nature. Ces « auteurs-jardiniers » ont non seulement aménagé et entretenu leur jardin, mais ils y ont aussi trouvé une source d’inspiration et un motif littéraire.
Le jardin en littérature
Cette deuxième partie nous emmène dans les jardins du Décaméron de Boccace, entre rêves et réalité, et autres jardins médiévaux. Un lieu privilégié de l’aventure amoureuse, d’autant qu’au Moyen Âge, dans le langage familier, le terme « jardiner » signifiait « faire l’amour ». La fonction de ces jardins est aussi symbolique, lieux par excellence de la parole, mais aussi d’amusement et de plaisir, parfois de recueillement. Cependant, l’usage purement utilitaire du jardin est peu représenté. Amateur éclairé de jardinage, le prince Charles Joseph de Ligne est l’auteur, au XVIIIe siècle, de divers propos, dans plusieurs genres littéraires, touchant des principes de composition et d’esthétique des jardins. Il va proposer l’un des plus importants guides des jardins de cette époque, qu’il ne se privera pas de critiquer.
Les différents jardins décrits par Victor Hugo et George Sand, au XIXe siècle, donneront une dimension supplémentaire à leurs œuvres. Quant à l’humaniste et homme de lettres espagnol Vicente Blasco Ibáñez, il considère que son jardin Fontana Rosa à Menton, dans lequel il aménage un parcours littéraire au début du XXe siècle, est « un outil de travail, peut-être le plus important de tous ». Nous découvrirons ensuite les jardins de Julien Gracq en bord de Loire, puis ceux de l’homme d’affaires Calouste Gulbenkian. Celui-ci échangera une véritable correspondance jardinière avec le poète et diplomate Saint-John Perse (Alexis Léger), qui témoignera de la grande connaissance botanique de ce dernier.
Le jardin de son enfance à Saint-Sauveur-en-Puisaye, en Bourgogne, laissera à Colette des sensations qui resteront intactes tout au long de sa vie et feront la matière de ses plus beaux textes. Quant à Marguerite Yourcenar, elle fera aussi une place notable aux jardins dans son œuvre. Bien des textes en prose et poèmes évoquent cet univers, aussi bien dans sa dimension terrienne que comme espace paradisiaque et onirique, véritable lieu de réflexion. Elle fut aussi une jardinière expérimentée, dénommant ses notes intimes « Méditations dans un jardin ». Les actes se terminent avec les textes de quelques écrivains évoquant les plaisirs de l’enfance aux Tuileries.
Marie-Hélène Rocher-Loaëc
Membre du comité de rédaction de Jardins de France