Domestication Culture : sélection des plantes…
Dans les civilisations de cueilleurs-chasseurs-pêcheurs, l’homme prélève dans la « nature » ce qui lui est nécessaire pour son alimentation, ses vêtements, ses abris. L’agriculture et l’élevage sont « inventés » lors de la révolution néolithique, il y a 8 000 à 10 000 ans. Notre culture judéo chrétienne a symbolisé ces étapes par le paradis (cueillette) puis Caïn (l’agriculteur) et Abel (le pasteur) qui illustrent « À la sueur de ton front tu gagneras ton pain ».
Les formes sauvages ancestrales de plantes ont divergé en étant soumises, d’une part à la sélection naturelle pour donner les formes sauvages actuelles, d’autre part à la sélection humaine pour donner les formes cultivées après domestication.
Ainsi les formes sauvages que l’on voit aujourd’hui en France de Beta maritima, Cichorium intybus, Daucus carota, Apium graveolens, Lactuca serriola, Pastinaca sativa… ne sont pas les ancêtres directs des betteraves, chico- rées, carottes, céleris, laitues ou panais cultivés mais tous deux ont de lointains ancêtres communs.
La diversité phénotypique des formes sauvages est généralement relativement faible, mais non nulle. Au contraire, les formes cultivées d’une espèce sont souvent très diverses.
Le passage d’une forme sauvage à une variété cultivée s’est fait par deux processus qui présentent un continuum : la domestication et la sélection.
La domestication : histoire d’une interdépendance
La notion de domestication décrit l’interdépendance entre l’homme et la plante : l’homme dépend de la plante pour son alimentation ou ses vêtements (coton, lin) et la plante dépend de l’homme pour les soins agricoles (labour, semis, désherbage, irrigation…). Une plante sauvage est capable de se maintenir (reproduction, dissémination) dans un milieu favorable sans intervention humaine.
Elle possède un pouvoir compétitif élevé par rapport aux autres plantes (et éventuellement aux parasites, prédateurs…). Sans intervention de l’agriculteur, une plante domestiquée ne se maintient pas durablement : en effet, une parcelle de blé, de colza ou de tournesol laissée à elle-même va rapidement être envahie par du chiendent, du liseron, des ronces et la plante domestiquée disparaîtra.
Dans la majorité des cas, une forme sauvage ancienne a donné une forme sauvage actuelle sans descendance domestiquée (Figure n° 1, population 1) tout en évoluant sous l’effet de la sélection naturelle, et par ailleurs, plusieurs domestications indépendantes d’une espèce sauvage, à différentes époques ou en différents lieux (Figure n° 1, points A) ont pu se produire. Des tentatives de domestication peuvent ne plus être représentées aujourd’hui (Figure n° 1, points C). Enfin des populations sauvages à l’origine des plantes cultivées ont pu disparaître (Figure n° 1, point B). Pour compliquer la situation, des intercroisements entre populations sauvages et/ou cultivées plus ou moins apparentées appartenant à la même espèce sont possibles (Figure n° 1, Z). Il semble que, pour la majorité des espèces, il n’y ait eu qu’un petit nombre (un ou deux) d’évènements de domestication à l’origine des formes cultivées actuelles.
Le riz (Oryza sativa) avec les sous-espèces indica et japonica ou le haricot (Phaseolus vulgaris) en Amérique du Sud et en Amérique centrale correspondent à deux domestications indépendantes. Ceci n’exclut pas la possibilité de nombreuses tentatives de domestication ayant avorté plus ou moins rapidement : l’orge (Hordeum vulgare) aurait fait l’objet de nombreuses tentatives de domestication. Le « syndrome de domestication » a été étudié principalement chez les céréales : l’absence de dormance des graines, une plus grande solidité du rachis permettant aux graines de ne pas se détacher de l’épi, la structure de la plante et de l’inflorescence sont des caractéristiques que l’on retrouve chez la plupart des céréales domestiquées. Chez les plantes horticoles, l’absence de dormance des graines, la taille des organes récoltés, le mode de reproduction, l’élimination de composés toxiques… sont des exemples de caractères de domestication : élimination des épines sur les nervures chez la laitue (Figure n° 2), autogamie chez la tomate, élimination de composés amers toxiques chez les courges et la pastèque.
La sélection humaine : vers la diversification
La sélection humaine ou diversification suit la domestication et correspond à un ajustement des caractéristiques à différents besoins ou contraintes. La sélection aboutit à des variétés ou cultivars que l’on peut éventuellement regrouper dans des sous espèces ou des cultigroupes (Figure n° 1, points D). Elle varie dans le temps et dans l’espace en fonction de différents objectifs : dépendance de la photopériode, diversité de couleur, de forme, de qualité, culture sous abri, récolte manuelle ou mécanique, durée de conservation après récolte… La sélection divergente pour les organes sélectionnés illustre spectaculairement la diversité obtenue (1*). Les caractères de domestication sont donc présents chez toutes les variétés d’une même espèce alors que les caractères de sélection caractérisent certaines variétés ou certains culti-groupes : piments doux ou brûlants, laitues et chicorées vertes ou anthocyanées, pois et haricots nains ou grimpants… Une plante domestiquée peut éventuellement redevenir sauvage sous une forme assez différente de la variété cultivée. Par exemple, le melon est originaire de l’ancien monde mais on trouve en Amérique centrale des populations qui se maintiennent naturellement, comme le type « chito » (Photo d’ouverture p. 24). Il s’agit de formes dites « férales ». Inversement une plante peut être cultivée sans être domestiquée ; c’est le cas d’arbres forestiers, d’espèces fourragères ou de plantes ornementales (soucis, zinnias, nigelle…).
Des histoires difficiles à retracer
Nos sources d’information sur la domestication et la sélection sont les données archéologiques, qui sont très fragmentaires pour les plantes horticoles. Les écrits et l’iconographie sont relativement récents et souvent partiels et imprécis. Les analyses génétiques, et en particulier de génétique moléculaire, permettent d’étudier les relations de filiation entre formes sauvages et/ou cultivées (2*).
Cependant, la disparition de populations sauvages ancestrales ou les intercroisements (Figure n° 1, B et Z respectivement) peuvent rendre difficiles les interprétations. L’une des conclusions des études de génétique moléculaire est que si les formes sauvages ont une assez faible diversité phénotypique, elles présentent en revanche une beaucoup plus grande diversité moléculaire que les formes domestiquées/cultivées. Les évènements de domestication s’appliquant à une très petite fraction des populations sauvages constituent un goulot d’étranglement pour la diversité moléculaire. Les mécanismes à la base de la domestication et de la sélection sont essentiellement les mutations spontanées, qui ont été repérées et conservées par les agriculteurs.
Il peut s’agir de mutations ayant des effets forts, par exemple les innombrables différences de couleurs, aussi bien chez les espèces légumières, fruitières qu’ornementales, ou bien des mutations dans quatre gènes expliquant toutes les formes de fruit chez la tomate.
Les mutations peuvent également avoir des effets plus faibles et leur accumulation contrôle des caractères quantitatifs comme la teneur en sucre ou la grosseur des organes récoltés. Depuis la découverte des lois de la génétique et de la transmission des caractères à la descendance, les méthodes de sélection raisonnée permettent l’accumulation de gènes favorables dans une variété. L’activité de cueillette n’a pas complètement disparu mais s’apparente davantage à un loisir qu’à une nécessité : champignons sylvestres, « salades » sauvages, asperges sauvages (Asparagus acutifolius). Nos ancêtres, sans connaître la génétique, ont su repérer et conserver les plantes qui portaient des caractères nouveaux. L’agriculture s’est développée avec la domestication et la sélection. Cependant, au cours de la domestication il y a eu une certaine perte de rusticité. Il pourrait être intéressant de réintroduire, par exemple, une certaine compétitivité par rapport aux « mauvaises herbes » à partir de formes sauvages.
Michel Pitrat
Directeur de recherche honoraire INRA, membre du Comité de rédaction de Jardins de France
(1*) Voir l’article sur les Brassica en page 46 dans ce numéro de Jardins de France.
(2*) Voir les articles sur la vigne (en page 42), le pommier (en page 30), la tomate (en page 49)… dans ce numéro de Jardins de France.