Amoureux des bancs publics

Chiara Santini

« Chaque fois que je me suis assis sur un banc, dans un square, et que j’ai promené un regard attristé sur les ondulations savantes et propres des pelouses, un même souvenir, d’une mélancolie douce et profonde, s’est présenté à ma mémoire. »

(Émile Zola, « Le Figaro », 11 juin 1867)

 

Chaises longues du parc Martin Luther King en 2010 © Michel Audouy

L’art des jardins est un art du regard. Chaque jardin donne corps à une image de la nature dans laquelle se mêlent plaisir esthétique et rêverie. À l’intérieur de cette mise en scène, les bancs, les banquettes, les chaises, les chaises longues des jardins publics – ces objets que depuis les années 1960 on appelle le « mobilier » – jouent un rôle important. Ils orientent le regard, amènent à découvrir une scène particulière, une échappée, un bouquet d’arbres, une composition savamment agencée. Ils offrent un moment de détente, d’échange, de loisir et de plaisir.

La valeur sociale et poétique de ce « mobilier » a fait l’objet de nombreuses recherches [1]. Ici nous voudrions nous pencher sur le rôle qu’il peut jouer dans la réalisation – ou la rénovation – d’un jardin public. Repères à la fois spatiaux et temporels, les bancs et les chaises peuvent participer, en effet, à la construction de l’identité d’un jardin et, parfois, de la ville tout entière.

Représentatifs de l’identité de la capitale

Bancs « haussmanniens » au square des Arts-et-métiers, aujourd’hui square Émile-Chautemps © Chiara Santini

Le cas de Paris est très représentatif à cet égard. Même si la présence de bancs en pierre ou en bois et de chaises en location est attestée déjà au XVIIIe siècle, ce n’est qu’à partir du Second Empire qu’un programme systématique d’ameublement des parcs, des squares et des plantations au long des artères principales de la capitale est mis en place. Confié par le préfet G. E. Haussmann (1809-1891) au tout nouveau Service des promenades et plantations, dirigé par l’ingénieur J.-C.-A. Alphand (1817-1891), il prévoit la création de deux typologies de bancs : des bancs à assise simple ou double et à dossier droit, principalement pour les boulevards et les promenades, et des bancs à « gondole » avec une assise plus profonde, pour les jardins. Ce mobilier fait partie d’une commande beaucoup plus importante, adressée à l’architecte G. Davioud (1823-1881) qui comprend également les kiosques, les grilles, les panneaux, les corsets-tuteurs des arbres, les lampadaires, etc. Ces éléments, réalisés en séries, avec les mêmes matériaux, les mêmes couleurs et les mêmes motifs, contribuent au projet de créer le paysage urbain uniforme et cohérent du « Nouveau Paris », capitale moderne et modèle pour les grandes villes européennes. Décrit, peint, photographié, filmé, chanté sans discontinuité depuis 150 ans, ce paysage constitue encore aujourd’hui l’un des éléments les plus représentatifs de l’identité de la capitale et de son imaginaire.

Bancs « gondole » au square du Temple © Chiara Santini
Bancs « gondole » au square du Temple © Chiara Santini

Les bancs dessinés par Davioud, reproduits à l’identique ou déclinés dans de formes plus épurées, meublent encore en 2015 la plupart des parcs et des squares parisiens et semblent défier toute concurrence. Dans le cadre du projet de réhabilitation du parc des Buttes Chaumont (2012-2016), par exemple, la mairie a décidé de remplacer, avec de nouveaux « bancs rustiques », reproduisant ceux dessinés au XIXe siècle, tous les modèles postérieurs qui, au fil du temps, avaient été introduits le long des allées.

De Paris à New-York

Cette démarche de composition, visant à concevoir un mobilier uniforme, cohérent avec les lieux et les usages, caractérise aussi les jardins qui ne sont pas meublés avec les créations de l’époque haussmannienne, comme les anciens jardins royaux (Tuileries, Palais Royal, Jardin des Plantes, Luxembourg) et les parcs plus récents.

Chaises des jardins du Luxembourg © Chiara Santini
Chaises des jardins du Luxembourg © Chiara Santini

Les chaises peintes en vert et livrées par les ateliers de la Ville aux jardins du Luxembourg en 1923, sont devenues un objet de design et l’un des symboles de Paris. Produites aujourd’hui par la société française Fermob, elles habillent depuis quelques années les jardins des Tuileries et du Palais-Royal. Déclinées en différentes couleurs, on peut désormais les retrouver dans les jardins, les terrasses, les restaurants, les espaces publics et privés du monde entier, de New York à Amsterdam, de Tokyo à Paris Plage.

Les bancs en acier installés au jardin des Plantes (environ 250) [2] à partir de la fin des années 2000, participent au projet de valorisation et de rénovation du premier jardin botanique de Paris, banalisé par le mobilier standard du XIXe siècle. Selon une tradition issue des pays anglo-saxons, ils font également l’objet d’une action de parrainage qui prévoit l’insertion de plaques avec des citations et le nom des donateurs.

Une réponse aux nouveaux usages

Dans le cas des parcs plus récents, le choix du mobilier fait partie de l’élaboration du projet. Il s’accorde avec la démarche du concepteur et la volonté de donner au jardin une identité propre. De formes et de couleurs variées, intégrés aux ambiances végétales autour desquelles les jardins contemporains s’organisent, ils offrent une réponse adaptée aux nouveaux usages ainsi qu’aux attentes et au confort du public. C’est le cas, par exemple, du mobilier dessiné par l’architecte Patrick Berger pour le parc André-Citroën [3], ou des bancs à deux niveaux et des chaises longues du parc Martin Luther King [4].

 

Bancs du jardin du Muséum d’Histoire naturelle © Chiara Santini
Bancs du jardin du Muséum d’Histoire naturelle © Chiara Santini

 

[1] Sur ce sujet voir, par exemple, P. Sansot, Les jardins publics, Paris, Payot, 1993 et M. Jakob, Poétique du banc, Paris, Macula, 2014.

[2] Les bancs ont été conçus par l’agence Explorations architecture, lauréate en 2006 du concours pour la rénovation du mobilier du jardin.

[3] Le parc André Citroën (14 ha), réalisé dans le XVème arrondissement sur le site des anciennes usines homonymes, a été dessiné par les paysagistes et architectes, G. Clément, A. Provost, P. Berger, J.-P. Viguier et inauguré en 1992.

[4] Dessiné par la paysagiste Jacqueline Osty, le chantier du parc Martin Luther King (10 ha), dans le XVIIème arrondissement, à débuté en 2007. L’achèvement des travaux est prévu pour 2018.

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