Theobroma cacao L. : le divin cacaoyer

En 1788, Jean-Samuel Guisan note dans son Traité sur les terres noyées de Guyane : « Le cacaoyer est infiniment moins vivace que le caféier, il est fort délicat ; lorsqu’il est jeune surtout, il est très sensible à l’impression du soleil, de l’air,
et des vents, même à celle des corps qui l’environnent. » Faisons sa connaissance !

Cabosse ouverte au Brésil © L. Alemanno

L’arbre amazonien de l’ombre

Linné nomme le cacaoyer Theobroma cacao ou « nourriture des dieux », en référence aux précolombiens, anciens et actuels, pour lesquels il est sacré ! Apparu au Cénozoïque, sa zone d’origine est la haute Amazonie, à la frontière entre Brésil, Colombie et Pérou. Petit arbre, il peut atteindre 25 mètres de haut, poussant ainsi à l’ombre des géants. Classé dans l’ordre des Malvales, famille des Malvacées, il commence à fleurir dès deux ou trois ans. Petites et de couleurs claires, les fleurs sont très nombreuses, jusqu’à plusieurs milliers par arbre et par an. De type V, elles possèdent une pièce florale rare, le staminode (1*), et se forment en coussinets sur le tronc et les branches : c’est la cauliflorie. La pollinisation se fait grâce au vent et à des insectes, les Forcypomia. Les jeunes fruits, ou chérelles, évoluent en cabosses après quatre à sept mois de maturation. Selon leur origine génétique, ils ont des tailles, formes et couleurs variées.

À l’intérieur, 20 à 60 graines sont réparties autour du rachis central et enveloppées d’une pulpe blanche, le mucilage. Fruité, sucré, acidulé, il sert à l’élaboration de jus délicieux. Sous la pulpe, le tégument protège l’embryon, composé de deux cotylédons souvent violets et d’un axe embryonnaire blanc. Un cacaoyer fructifie jusqu’à sa mort : entre quarante et plusieurs centaines d’années. Les graines, après fermentation et séchage, sont les fèves de cacao, la matière première pour la fabrication du chocolat.

Parmi les 22 espèces de Theobroma, deux autres sont cultivées et utilisées localement : Theobroma bicolor ou cacao jaguar pour les graines, en Amérique centrale, et Theobroma grandiflorum ou cupuaçu pour sa pulpe abondante et très fruitée, au Brésil et en Guyane.

Chérelles en Côte d'Ivoire © L. Alemanno
Dans une cacaoyère au Cameroun © L. Alemanno

Diversité génétique du cacaoyer

Une classification assez simpliste en trois groupes morphogénétiques est d’usage courant. Les Forasteros divisés en haut et bas-amazoniens ou Amelonados, sont robustes, résistants aux maladies, productifs, et portent plutôt de petites cabosses jaunes et lisses. Les graines sont violettes, nombreuses et aplaties. Ce sont les cacaoyers les plus cultivés : 80 %. Les Amelonados furent introduits en Afrique, via São Tomé. Cultivés dans bien des pays, ils sont très répandus au Brésil et en Afrique de l’Ouest. Le chocolat qui en découle est corsé et très chocolaté. Les Criollos assez fragiles, peu productifs demeurent rares et peu cultivés : quelque 5 %. Les fruits restent variables, mais plutôt grands, sillonnés, pointus, verts ou rouges. Les graines sont grosses, peu nombreuses, souvent blanches, claires, mais pas toujours. Le cacao est dit « fin » ou « aromatique » car, outre l’arôme chocolat, des arômes supplémentaires sont perçus. Les Criollos anciens, les cacaoyers des précolombiens de Mésoamérique, sont génétiquement très homogènes et proches des Forasteros haut-amazoniens. Les Criollos modernes ont intégré des gènes de Forasteros auxquels ils ont été hybridés.

On en trouve au Venezuela, en Colombie, à Madagascar et à Java. Les Trinitarios, originaires de Trinidad, datent du XVIIIe siècle quand l’île est plantée de Criollos du Venezuela. Une catastrophe naturelle (1727) décime de nombreux arbres, qui sont remplacés par des Amelonados. Les hybridations entre les deux groupes en donnent un nouveau. Les fruits sont rouges, verruqueux et le cacao aromatique. Répandus aux Antilles et au Venezuela, ils sont présents dans le monde entier, y compris au Vietnam. Le Nacional est un quatrième groupe unique et endémique d’Équateur. Ses fruits ressemblent à ceux des Forasteros mais les graines sont souvent claires avec des arômes floraux surprenants dits « arria ». Grâce aux études moléculaires récentes du génome des cacaoyers, une nouvelle classification en dix groupes génétiques, encore uniquement utilisée par les spécialistes, a vu le jour : Marañon, Curaray, Criollo, Iquitos, Nanay, Contamana, Amelonado, Purús, Nacional et Guiana.

Fleurs de cacaoyer au Pérou © L. Alemanno

Le cacao des origines

Le fruit du cacaoyer a toujours été consommé par les animaux et les humains d’Amazonie. Au XVIIIe siècle, Von Humboldt en décrit l’usage par plusieurs tribus : seul le mucilage est dégusté frais, ou fermenté en boisson et vinaigre. La graine est recrachée. Bien que le cacaoyer soit né en Amazonie, c’est bien plus loin, en Amérique centrale, qu’il est domestiqué. Entre ces deux localisations, le site archéologique de Santa Ana-La Florida, en Équateur, occupé par les Mayo-Chinchipe, entre 3 500 et 3 000 ans avant J.-C. pourrait être une des étapes du long voyage de l’arbre.

 

Sous un cacaoyer au Mexique © L. Alemanno

 

Des pots à boissons y contiennent les plus anciennes traces d’utilisation de la fève de cacao. S’agissant de la domestication du cacaoyer, on pensait qu’elle avait été réalisée par les Olmèques, 1 500 ans avant J.-C., sans preuve archéologique. C’est chose faite ! Mais, au Mexique, dans l’actuel Soconusco, des traces de théobromine dans un pot de terre montrent qu’un peuple plus ancien, les Mokayas, 2 000 ans avant J. C., utilisait le cacao.

À partir des Mayas, grands cultivateurs du cacaoyer, postérieurs aux Olmèques, le cacao est essentiel. Toutes sortes de boissons, gruaux, porridges et poudres consommés chauds ou froids existent, et même du chocolat solide et des techniques pour extraire le beurre de cacao.

 

Boisson au mucilage Mexique © L. Alemanno

Jusqu’au XIXe siècle, les fèves servent de monnaie d’échange. Mais surtout, le cacao est une offrande. Les boissons ont une fonction rituelle de la naissance à la mort, en passant par le mariage. Associées à des plantes médicinales, elles sont remèdes, associées à des plantes hallucinogènes, elles permettent aux chamanes de communiquer avec le monde des esprits. L’arrivée des envahisseurs espagnols va bouleverser le destin du cacaoyer et des pré- colombiens… Exclusivement américain, il va petit à petit conquérir le monde, jusqu’à la situation actuelle, soit une cinquantaine de pays producteurs, entre les deux tropiques, tout autour du globe. Le cacao illustre bien l’économie d’aujourd’hui, injuste et dévastatrice.

Ainsi, deux visions coexistent : d’un côté, des industriels qui se soucient peu de l’origine de leur matière première et de la façon dont elle est produite (déforestation, conditions de travail, travail des enfants). De l’autre, de plus en plus fréquente, une production de cacao respectueuse de l’environnement et des planteurs, favorisant l’agroforesterie, la diversité génétique en conservant les variétés anciennes et en établissant des relations directes et durables entre chocolatiers et cultivateurs. Il est urgent que nous choisissions notre vision et réalisions combien, par nos achats, nous pouvons exercer notre pouvoir.

 

 

Laurence Alemanno
Docteur en physiologie végétale, fondatrice de Chocolatitudes

 

(1*) Staminode : étamine stérile, ils sont cinq dans le cas de la fleur de cacaoyer en alternance avec les étamines fertiles.

POUR EN SAVOIR PLUS

Laurence Alemanno, 1 001 Secrets sur le chocolat, Prat Éditions (on en trouve encore sur internet)
Michel Barel, Du cacao au chocolat, Quae Éditions
Juan C. Motamayor et al., Geographic and Genetic Population Differentiation of the Amazonian Chocolate Tree (Theobroma cacao L), PLoS ONE | www.plosone.org, 8 October 2008 | volume III | Issue 10 | e3311Le