Les rosiers paysagers : les bien-nommés

Les rosiers paysagers portent si bien leur nom qu’ils passent pour être d’origine française. Ce n’est pas faux parce qu’ils doivent beaucoup à nos rosiéristes. Ils fleurissent partout où nous les plantons, dans les espaces publics, sur les ronds-points, dans les zones industrielles, les parkings de supermarchés. Ils font partie de notre paysage familier (1*).

Sacré Cœur © Jacques Gaimard - Pixabay

Les rosiers paysagers sont protéiformes, de la taille des miniatures à celle d’un homme, et c’est sous cet aspect que nous proposons de les examiner.

À la recherche des « paysagers » du temps jadis

 

Buisson de roses © JackieL – Pixabay

 

Les rosiers paysagers (2*) ont tous eu un Hybride de Thé dans leur ascendance et tous présentent des formules génétiques complexes auxquelles correspondent de larges variations des caractères. Le tout premier essai connu date de l’apparition, aux États- Unis, d’un hybride de R. wichurana et R. rugosa, appelé ‘Max  Graf’ et présenté comme couvre-sol3. En 1919, per- sonne n’aurait songé à utiliser des rosiers nains dans les jardins. Les pépinières J.H. Bowditche l’avaient sélectionné à cause de son port étalé et de sa capacité de marcottage de ses branches basses. Suivront les créations du Danois S. Poulsen, à la recherche d’Hybrides de Thé tolérant les climats rigoureux : ‘Else Poulsen’ (1924) et ‘Kirsten Poulsen’ (1925). Ces nouveautés ont été décriées parce qu’elles n’étaient pas des roses de concours. « Aussi beaux soient-ils, ces hybrides de Polyantha […] ne sont […] pas ce que j’appelle des rosiers dignes de ce nom. » écrivait G. M. Taylor dans son article « Neglected garden roses » (Rose Annual en 1941). À l’inverse, la clientèle plantant elle-même ses rosiers attendait des variétés moins capricieuses que les stars des catalogues. Malgré le succès phénoménal  de ‘Mme A. Meilland’ (alias ‘Peace’, Meilland 1945), le côté pratique l’a emporté sur la dictature de la beauté idéale.

Des rosiers utilitaires aux rosiers qui embellissent le paysage

Jusque-là, pour les plantations économiques qui n’ont pas besoin d’être hivernées, on ne disposait que des Polyantha et de leurs. hybrides dont les effets de masse convenaient aux plates-bandes. La nouveauté providentielle est arrivée avec un couvre-sol américain, ‘Sea Foam’ Ernie Schwartz, 1964. Le fort développement de la plante retint l’attention et une course de vitesse s’engagea entre Kordes et Meilland. L’Allemand fit le choix d’importer le cultivar libre de droits. Le Français se tourna vers la création de ses propres couvre-sols. ‘Swany’ vit le jour en 1978. Ce dernier, à peu près identique à ‘Sea Foam’, avait cependant obtenu la protection légale DHS4 parce qu’il ne produisait pas de fruits, à la différence de son prédécesseur (5*).

Dans le même temps, en Europe, les ventes des buissons à fleurs groupées rouges ne cessaient de ralentir, trop présents dans les jardins et plantations urbaines. Chez Meilland, ‘La Sevillana’ 1977 ne parvenait pas à décoller quand, un jour, un jardinier recourut à un expédient sacrilège : une taille hivernale mécanique réalisée à l’horizontale. Au printemps suivant, le résultat fut spectaculaire. La plante avait refleuri quinze jours plus tôt, ramifiée du niveau du sol jusqu’au faîte et entièrement couverte de fleurs. Du jamais vu pour un arbuste pouvant atteindre 1,50 mètre ! Les ventes s’envolèrent. Le deuxième prototype du rosier paysager était né, celui de la haie fleurie.

Il revint à Jacques Mouchotte, chargé de recherche chez Meilland à l’époque, de théoriser le concept du « paysager » tel qu’on le connaît aujourd’hui. Ce qui fut fait en quatorze points et complété jusqu’en 1982, au fur et à mesure des résultats d’une sélection d’un genre unique : entretien zéro et aucune taille autre que mécanique. Le concept a reçu le nom Meidiland® (6*) et a été dévoilé lors de la présentation de ‘Bonica 82’ 1981 (WFRS Hall of Fame 2003).

De nos jours, ces rosiers adaptés aux espaces publics doivent respecter quatre impératifs :

  • pousser sur leurs propres racines et s’étaler ;
  • fleurir abondamment dans toutes les parties ;
  • accepter l’absence de taille ou la taille mécanique ;
  • zéro traitement sanitaire.

De son côté, Kordes poursuivait son objectif d’un couvre-sol à fort développement à partir de R. wichurana : ‘Repandia’ et ‘Immensee’, tous deux de 1983. La concurrence européenne essayait de suivre. Tous ces rosiers ont en commun de produire des effets colorés de masse dont on se sert pour réaliser des compositions ornementales à toutes les échelles, du jardin au territoire aménagé.

‘The Fairy’, parking du port de Lübeck– Travemünde © J.C. Brodbeck
‘La Sevillana’ © Meilland International

Rosiers paysagers d’aujourd’hui et mondialisation

La première introduction qui a marqué la fin du XXe siècle est un rosier paysager qui ne dit pas son nom, ‘The Fairy’, un Polyantha créé par Anne Bentall au Royaume-Uni en 1932. Parti conquérir les États-Unis où il a été accueilli avec succès, il est revenu en Europe alors que les « paysagers » commercialisés depuis les années 1970 1980 étaient en plein développement.

Le second héros est ‘Flower Carpet’ 1989 (‘Heidetraum’ en Allemagne, ‘Emera’ en France), dû à l’Allemand Werner Noack. Nouvelle offre d’excellente qualité bénéficiant du marketing extravagant d’un Australien du nom de Tesselaar, le rosier s’est rapidement imposé sur les marchés du monde entier. En France, il a été lancé avec d’énormes dépenses publicitaires et beaucoup de succès par une société dont il a été plusieurs années le seul rosier du catalogue, Verdia, créée dans les années 1990 en vue de distribuer les variétés de Noack (Décorosiers®). ‘Knock Out’, qui porte bien son nom, est un Floribunda appelé shrub, créé en 1995 par Will Radler aux États-Unis, également de renommée mondiale (WFRS Hall of Fame 2018). Il représente le prototype d’un rosier combinant la résistance aux gelées et aux étés chauds à l’est des montagnes Rocheuses. Ses performances ont été moins spectaculaires en Europe de l’Ouest, mais il s’est répandu dans le monde entier en raison d’un rythme de floraison continu et d’un cycle de production en pot bénéficiant d’une distribution innovante.

 

Plantation du métro Rome, Paris © J.C. Brodbeck

 

Tous les rosiers paysagers n’ont cependant pas été des succès. Les Britanniques, les Néerlandais et les Danois ont tenté leur chance mais sans résultats internationaux convaincants car un critère faisait défaut dans les procédures de sélection : la possibilité de se développer sans greffage dans les sols alcalins (7*). Les petits derniers d’une famille devenue universelle sont les Drift® lancés par Meilland en 2014. Ils font partie des paysagers modernes si compacts qu’ils produisent le maximum d’effet dans un minimum d’espace. Ils pourraient représenter le modèle d’une plante vivace appartenant au genre Rosa. Les Drift® sont très appréciés Outre Atlantique et au Japon. En Europe, où la préférence va aux rosiers greffés, ils sont moins distribués.

Aux conditions exigées pour qu’un rosier soit paysager, on peut espérer ajouter une cinquième : la résistance au stress hydrique. Malgré tous les efforts des sélectionneurs, le résultat n’est pas en vue. Le manque d’eau les prive de l’attrait principal de leur beauté, celui des fleurs épanouies.

 

Jean Claude Brodbeck
Membre de la SNHF

Jacques Mouchotte
Ancien directeur de la recherche aux Éts Meilland, membre du conseil scientifique de la SNHF

 

(1*) Depuis 1986, le concours de Roses nouvelles de Bagatelle comporte une catégorie Rosiers paysagers. Le Grand Prix de la rose SNHF, lancé en 2007, récompense également d’un premier prix les rosiers « Paysage ».
(2*) Il n’y a pas d’équivalent anglais pour désigner les paysagers. Landscape roses traduit la même idée mais n’est pas aussi courant. Les Meidiland® et les ‘Flower Carpet’ connus aux États- Unis depuis la fin du XXe siècle sont désignés sous leurs noms commerciaux. Le mot shrub, critiqué parce que tous les rosiers sont des buissons, tend à être utilisé de plus en plus fréquemment. Les Allemands et les Danois se servent des appellations commerciales.
(3*) En anglais, ground cover, et en allemand, Bodendecker.
(4*) DHS pour distinction (parce qu’on peut différencier nettement la variété de celles déjà disponibles), homogénéité et stabilité. La protection est attachée à la dénomination variétale enregistrée auprès de l’ Office communautaire des variétés végétales (OCVV).
(5*) La variété avait dépassé le délai des quatre ans pour obtenir un titre de protection au regard de la réglementation française.
(6*) La série a été commercialisée en France sous le nom de Meillandécor®.
(7*) Le climat ne permettant pas de pratiquer les bouturages de plein champ, les rosiers sont produits en serre sur des substrats qui ont le défaut de les destiner aux terres acides.