Les instruments de musique à vent et le tournage sur bois
On est souvent émerveillé par la beauté et la pureté des sons émis par les instruments de musique tels que les flûtes, les hautbois ou les clarinettes. On n’oublie guère le talent des musiciens qui les utilisent, mais on pense peu au travail du tourneur-luthier qui a su choisir l’essence et les techniques adéquates pour façonner l’instrument.
Sauf pour le cas particulier de l’orgue, dont les tuyaux en chêne ou en sapin sont de section carrée (ne confondons pas avec les tuyaux « de montre » qui sont en étain et pour certains en cuivre), les flûtes, hautbois, clarinettes… sont des pièces de bois creusées d’un évidement cylindrique ou conique.
De l’hétérogénéité du bois
Observons tout d’abord que le bois en général, celui des contrées tempérées en particulier, est un matériau hétérogène dont la croissance a accumulé des couches annuelles de densités faibles et fortes. Ces cernes d’accroissement sont faciles à voir (et à compter!) sur une section de tige franchement transversale. On comprend la difficulté à trouver une section de branche non susceptible de subir des déformations géométriques après usinage et, plus tard, des fentes à l’occasion des humidifications et séchages répétés durant l’émission des sons. Cette perfection recherchée est une gageure, elle explique pourquoi aussi peu d’instruments très anciens sont parvenus jusqu’à nous : le bois reste un matériau périssable. Bien que les luthiers choisissent des essences à bois dur et à croissance lente, comme les fruitiers, l’olivier, le buis, l’if, ils ont toujours recherché des matériaux plus inertes aux changements d’humidité et plus homogènes dans leurs caractéristiques mécaniques. Les bois tropicaux, qui ne présentent dans leurs cernes d’accroissement aucune alternance saisonnière, répondent finalement bien à cette préoccupation. Les ébènes, acajous, grenadilles ont ainsi, depuis la Renaissance, fourni un fort contingent de bons matériaux.
De la technique de fabrication: le tournage
Tout réside cependant dans la technique de fabrication: les luthiers ont d’abord été des tourneurs… Pour autant, la technique de creusement d’un tube sonore est bien différente de la sculpture d’un balustre ou de toute autre pièce décorative d’ébénisterie. Il ne s’agit plus de retirer du bois autour d’une pièce en rotation, il s’agit d’évider avec précision un canal cylindrique ou conique, d’un petit diamètre et d’une profondeur inaccessible aux outils ordinaires. Il est d’abord procédé à un percement de bout en bout par l’introduction d’une mèche dans l’axe de la pièce en rotation, préalablement ébauchée en cylindre. Cette mèche, que l’on appelle un fleuret, n’est mobile que dans sa progression longitudinale. L’étape suivante consiste à agrandir ce forage et à lui donner la forme désirée à l’aide d’un outil spécial coupant sur toute sa longueur: l’alésoir. Le luthier doit posséder autant d’alésoirs qu’il a d’instruments différents à fabriquer. Cette première phase très importante, car irréversible, étant accomplie, un mandrin est introduit dans la future flûte, le futur hautbois et va permettre de travailler l’extérieur, de percer les trous latéraux et de réaliser l’embouchure.
La Couture-Boussey et les Hotteterre
En France, c’est l’ancien village de tourneurs de La Couture-Boussey, près d’Anet, en Normandie, qui est devenu le haut lieu de la lutherie à vent, tout comme Mirecourt, dans les Vosges, était devenu celui de la fabrication des instruments du quatuor à cordes.
Le nom même de La Couture-Boussey tire probablement son origine de Buxus, le buis, qui fut abondant dans la région et qui est l’une des meilleures essences de tournage. Parmi les tourneurs-ébénistes de La Couture-Boussey devenus luthiers, une famille doit spécialement attirer notre attention car elle a rayonné dans toute l’Europe : il s’agit de la famille Hotteterre, qui fournit en outre des artistes célèbres jouant à la cour de Louis XIV.
Son fondateur, Loys Haulteterre, tourneur, est mort vers 1628. Plusieurs de ses fils furent facteurs de flûtes, de bassons, de hautbois, de musettes de cour, de cornemuses, etc. On prête ainsi à la dynastie des Hotteterre l’initiative de l’amélioration de la flûte traversière et du hautbois, en particulier par une réalisation en plusieurs segments ajustés l’un à l’autre.
Ce système, d’abord en trois parties, plus tard en quatre, permettait l’utilisation d’une série de « corps de rechange », résolvant d’une manière très convaincante le casse-tête des diapasons très variables d’une ville à l’autre et parfois d’un théâtre à l’autre dans un même lieu.
L’invention présentait en outre un second bénéfice car les différentes parties pouvaient être réalisées dans des bois de plus faible dimension, plus faciles à trouver, et faire l’objet de remplacements partiels en cas de sinistre (fentes, déformations, fractures accidentelles). Diminution des chutes de bois précieux et standardisation des sections de remplacement autorisant plusieurs diapasons de jeu ont fait de La Couture-Boussey un centre d’excellence dont profitèrent tous les instruments à vent de la famille des bois.
Puis, au XIXe siècle, époque de modernisation radicale de la plupart des instruments à vent qui reçurent les clétages inventés par Théobald Boehm pour la flûte, les luthiers, dont les différentes familles étaient souvent alliées les unes aux autres (Lot, Godfroy, Djalma-Julliot) se mirent à travailler aussi le métal, maillechort ou argent, parallèlement aux bois indigènes ou exotiques. La Première Guerre mondiale perturba profondément les exportations françaises outre-atlantique, dont la demande était forte.
La production nationale diminua. Les fabricants se regroupèrent de plus en plus pour résister, sans grand espoir face aux fabrications américaines, puis japonaises. Le site de La Couture-Boussey s’éteignit doucement.
Aujourd’hui, ne subsiste dans ce charmant village très rural qu’un musée municipal de lutherie, au demeurant fort intéressant à découvrir.
Daniel Lejeune
Administrateur de la SNHF