Mieux connaître les graines pour améliorer la résistance des plantes à la sécheresse

La disponibilité en eau représente aujourd’hui l’une des limites majeures à la productivité des espèces agricoles, ainsi qu’une menace mondiale pour la sécurité alimentaire. En effet, la baisse des précipitations et l’augmentation de l’évaporation, dues au réchauffement climatique, aboutissent à des périodes de sécheresse de plus en plus longues et intenses qui pénalisent les productions agricoles et les rendements.

 

La fausse rose de Jéricho (Selaginella lepidophylla) de son état sec (en haut à gauche) à un bel épanouissement (en bas à droite) en… trois heures seulement ! À ne pas confondre avec la véritable rose de Jéricho (Anastatica hierochuntica) qui protège ses graines des animaux granivores en se recroquevillant en cas de sécheresse © U. Salvagnin CC by 2.0

Tolérance à la sécheresse contre tolérance à la dessiccation

Lorsqu’une plante est temporairement confrontée à un manque d’eau, elle met en place des mécanismes adaptatifs de tolérance à la sécheresse. Cela lui permet de réguler sa teneur interne en eau grâce à la fermeture de ses stomates, limitant ainsi l’évapotranspiration et la réduction de son activité photosynthétique. Grâce à ces mécanismes de tolérance à la sécheresse, plus ou moins performants en fonction des espèces végétales, les plantes sont capables de stabiliser leurs compartiments cellulaires pour maintenir une activité minimum jusqu’à un seuil critique de teneur en eau, généralement situé autour de 0,3 gramme d’eau par gramme de matière sèche.

En dessous de ce seuil critique, ou si les conditions de sécheresse perdurent dans le temps, ces mécanismes de protection temporaires ne sont plus suffisants et la plante meurt. Cependant, il existe des mécanismes moléculaires qui permettent de préserver les structures cellulaires même à des teneurs en eau très basses et durant de longues périodes de temps sans entraîner la mort : c’est ce que l’on appelle la tolérance à la dessiccation. En effet, la tolérance à la dessiccation est définie par la capacité de certains organismes à survivre à des déshydratations extrêmes (en dessous de 0,1 gramme d’eau par gramme de matière sèche), sans subir de dommages cellulaires, et à pouvoir reprendre leur croissance lorsque la ressource en eau est moins limitante.

Tolérance à la dessiccation dans l’évolution des plantes

Cette capacité à tolérer la dessiccation a été observée chez de nombreux organismes tels que les bactéries, les champignons, les arthropodes et les plantes. Chez les plantes, ce fut même un élément clef dans la colonisation du milieu terrestre. En effet, si l’on considère l’échelle évolutive des organismes photosynthétiques, les algues photosynthétiques et les bryophytes (comme les mousses) ont conservé cette capacité à tolérer une déshydratation extrême de leur partie végétative. En revanche, chez les plantes dites « supérieures » ou vasculaires, cette capacité à tolérer la dessiccation de la partie végétative semble avoir été perdue.

À ce jour, peu de plantes (environ 300), sont connues comme tolérantes à la dessiccation (Proctor and Pence, 2002). Elles sont d’ailleurs appelées « reviviscentes » ou « de résurrection » car elles paraissent mortes à l’état sec mais reverdissent et reprennent leur croissance lorsque l’eau redevient disponible (cf. photos page précédente et ci dessus). Bien que cette capacité à tolérer la dessiccation dans la partie végétative soit rare chez les plantes vasculaires telles que les angiospermes (plantes à fleur), la plupart de ces dernières produisent des graines qui présentent cette capacité à se déshydrater tout en restant en vie.

L’hypothèse la plus probable aujourd’hui documentée est que cette tolérance des parties végétatives, largement présente chez des espèces plus primitives, ait été désactivée durant l’évolution des plantes vasculaires au profit d’une croissance rapide, mais conservée dans les graines pour permettre leur survie à l’état sec et leur dissémination. Il a été démontré que les ancêtres de certaines plantes reviviscentes avaient initialement perdu cette capacité de tolérance à la dessiccation des parties végétatives et l’ont évolutivement réacquise grâce à une réactivation du processus de tolérance de leurs graines vers la partie végétative (Costa et al. 2017, van Buren et al. 2017).

 

Processus de tolérance à la dessiccation chez la plante reviviscente appelée la rose de Jéricho (Selaginella lepidophylla). (A) Plante avec disponibilité en eau ; (B) plante après quatorze jours sans apport d’eau (plante sèche) ; (C) Douze heures après apport d’eau sur plante sèche © J. Verdier

Un interrupteur moléculaire au niveau épigénétique ?

Ce résultat nous montre que l’évolution a permis la ré-acquisition du processus de tolérance à la dessiccation en activant un processus spécifique de la graine dans la plante entière. En conséquence, une de nos questions de recherche à l’Institut de recherche en horticulture et semences (IRHS1, Angers) est d’identifier l’interrupteur moléculaire qui active ce processus dans la graine et l’inactive durant le développement végétatif des plantes. Pour répondre à cette question, nous travaillons sur la compréhension des mécanismes moléculaires mis en place lors de la maturation de la graine.

En comparant les mécanismes moléculaires mis en oeuvre entre les graines orthodoxes (tolérantes à la dessiccation) et les graines récalcitrantes (intolérantes à la dessiccation), plusieurs centaines de gènes ont pu être identifiés comme indispensables dans l’établissement de la tolérance à la dessiccation. En analysant pourquoi ces gènes sont actifs pendant le développement des graines et inactifs dans la plante entière, nous avons mis en évidence que ces gènes sont régulés au niveau épigénétique2. En effet, ils sont localisés dans des régions du génome dont l’ADN est très fortement condensé dans les tissus intolérants, donc impossible à activer, alors qu’ils sont dans des régions du génome décondensées, donc potentiellement activables, dans la graine.

Un des projets de recherche actuels financé par l’Agence nationale de recherche (ANR) vise maintenant à identifier le(s) gène(s) capable(s) de condenser et surtout de décondenser ces parties de génome. L’identification de tels interrupteurs moléculaires, agissant sur l’état de condensation des gènes de tolérance à la dessiccation, serait une avancée importante dans la compréhension et l’utilisation du mécanisme de mise en place de cette tolérance.

Le travail sur les plantes résistantes à la dessiccation pourrait activer ces mécanismes de tolérance à la dessiccation dans les graines récalcitrantes telles que celles du cacaoyer et ainsi permettre leur stockage et leur conservation dans des banques de semences © R. Culos – CC by 3.0

Conclusion

La grande majorité des plantes de grande culture (telles que le maïs, le blé, le pois, le soja…) produisent des graines qui tolèrent la dessiccation. Elles possèdent donc dans leur génome le programme génétique nécessaire pour activer ce mécanisme de tolérance extrême dans leurs graines et le désactivent durant le reste de leur développement.

La caractérisation de cet interrupteur moléculaire permettrait, dans un premier temps, aux plantes d’induire ce mécanisme de tolérance à la dessiccation lors de périodes de stress dues à une sécheresse, longues et intenses, et donc d’avoir une plus forte tolérance au stress, une meilleure survie et des pertes limitées de rendements, mais également, dans un second temps, d’activer ces mécanismes de tolérance à la dessiccation dans les graines récalcitrantes (intolérantes à la dessiccation) telles que celles du caféier ou du cacaoyer et ainsi permettre leur stockage et leur conservation dans des banques de semences.

Jérôme Verdier
Chercheur Inrae, épigénétique et réseaux géniques, Institut
de recherche en horticulture et semences

1 L’unité IRHS (Institut de recherche en horticulture et semences)
est une unité de recherche Inrae, Agrocampus Ouest, Université d’Angers (https://www6.angers-nantes.inrae.fr/irhs).
2 Épigénétique : un mécanisme épigénétique (étymologiquement
signifiant « au-dessus de la génétique ») est un mécanisme modifiant de manière réversible, transmissible et adaptative l’expression des gènes sans en changer la séquence nucléotidique (ADN).

POUR EN SAVOIR PLUS

https://www.inserm.fr/information-en-sante/ dossiers information/epigenetique
https://www.jardinsdefrance.org/ le-genome-et-lepigenome-de-la-pomme-decodes/
https://m.simplyscience.ch/animaux-et-plantes-jeunes/ articles/des plantes-epatantes-qui-revivent-et-nemeurent-jamais.html?_locale=fr

RÉFÉRENCES

Costa MD et al. (2017). A Footprint of Desiccation Tolerance in the Genome of Xerophyta Viscosa. Nature Plants, 3, 17038.
Proctor MCF and Pence VC (2002). Vegetative Tissues: Bryophytes, Vascular Resurrection Plants and Vegetative Propagules. In Desiccation and Survival in Plants: Drying without Dying, M Black & HW Pritchard (Eds), CABI. pp. 207-237 VanBuren R et al. (2017). Seed Desiccation Mechanisms Co-Opted for Vegetative Desiccation in the Resurrection Grass Oropetium thomaeum. Plant Cell and Environment, 40(10), 2292-2306