Les chênes remarquables français vus par les peintres

Parmi les arbres remarquables présents en France (ou récemment disparus), le chêne figure en bonne place et nous en avons détecté au moins trois cents, pour ne citer que ceux auxquels un nom a été attribué, une forme de reconnaissance. Ce nom prend souvent celui d’un personnage célèbre, le plus fréquent étant Saint-Louis. Plusieurs évoquent la religion et en particulier la Vierge. Parfois un autel a été inséré dans une cavité de l’arbre, voire une chapelle. Un article récent(1*) évoque les chênes présents dans les peintures, essentiellement dans l’hémisphère Nord.

 

Les chênes remarquables ont souvent fait l’objet de photographies, parfois de cartes postales anciennes(2, 3*). Ceux qui ont été peints le furent généralement sous le pinceau des artistes de Barbizon et des impressionnistes. En voici quelques-uns.

Les chênes de la forêt de Fontainebleau

Le Rageur en forêt de Fontainebleau, huile sur toile, 39 x 41 cm, par Antoine-Louis Barye (1795-1875) © Collection Ville de Fontainebleau

Dès les années 1820, la forêt de Fontainebleau a attiré de nombreux peintres, qui se sont installés, en particulier, à l’auberge Ganne de Barbizon, dont les chênes ont constitué un des sujets favoris. Les « sylvains » Claude-François Denecourt et Charles Colinet ont tracé des sentiers, édité des guides de promenade et attribué des noms à plusieurs centaines d’arbres remarquables. Un tourisme sylvestre s’est développé, favorisé par l’arrivée du chemin de fer à Fontainebleau en 1849.

Il existe aujourd’hui des milliers de tableaux représentant la forêt de Fontainebleau et ses chênes, dans les musées et les collections particulières du monde entier. Il est parfois délicat d’identifier les arbres sur les tableaux car les artistes privilégient en général l’esthétisme au réalisme, les titres des œuvres ne sont pas toujours explicites sur le site et la plupart des arbres peints au XIXe siècle ont aujourd’hui disparu.

Parmi les chênes les plus célèbres, le Bodmer a été peint par Claude Monet et Karl Bodmer. Il était situé dans la futaie du Bas-Bréau, près d’un hêtre fourchu nommé le Caravagio. Le Rageur, l’arbre le plus célèbre des Gorges d’Apremont a été peint par la plupart des peintres de Barbizon selon différentes perspectives : Camille Corot, Théodore Rousseau, Narcisse Diaz de la Pena, Antoine Barye. Son emplacement, le long de la route Marie-Thérèse, peut être localisé grâce aux photos anciennes(4*)

Le Henri IV a été peint par Antoine Barye et Constant Troyon. Son emplacement, le long de la route de Sully, peut être localisé grâce aux rochers toujours présents qui l’entouraient. Le Clovis, peint par Gustave Courbet, Camille Delpy et Alphonse Asselbergs, était situé sur le plateau de Bellecroix. Il a été incendié en 1904. Ses formes caractéristiques permettent de le reconnaître, même si les titres des tableaux qui le représentent sont ambigus.

Le Chêne de Napoléon Ier a été peint par Théodore Rousseau, François Flameng, Jules Dupré, Charles-Ferdinand Ceramano, Ladislas de Paal, Ferdinand Chaigneau. Situé en bordure de la mare à Dagneau, il a également disparu dans un incendie. Le Charlemagne et son voisin le Roland (tombé en 2019) ont été peints par Camille Corot, Armand Cassagne et Constant Dutilleux. Situés au Mont Ussy, dans une réserve biologique intégrale, leurs chablis sont toujours là.

Le Bouquet du Nid de l’Aigle, peint par Joseph de Ruysscher, constitué de douze tiges, était également situé dans la réserve biologique. Une de ses branches, à terre, soudée entre deux tiges de son chablis, est encore visible.

Le Chêne des Fées, le Pharamond, le Bélus, dessinés, peints ou gravés sont visibles sur le site dédié aux représentations de la forêt de Fontainebleau(5*).

Le chêne des sorcières en forêt de Saint-Avold (Moselle) semble vieux de plus de 800 ans. Patrice Strozyk l’a peint en 1996 © P. Strozyk

 

Les chênes d’autres massifs

Les chênes d’autres massifs ont fait l’objet de peintures ou d’aquarelles. Dans l’Allier, Edouard Imer a peint le Chêne de la Dauphine qui semble être le Chêne de Voulliers. Cette œuvre est présente au musée des Beaux-Arts de La Rochelle. En revanche, nous ne connaissons pas son statut (vivant ou disparu).

Le plus impressionnant en peinture est probablement le Chêne de Flagey peint en 1864 par Gustave Courbet, la ferme de Flagey appartenant alors à sa famille. Ce chêne est figuré incomplètement en gros plan. Ce tableau est aussi appelé Le Chêne de Vercingétorix. Ainsi Courbet valide-t-il la bataille d’Alésia en Franche-Comté (Alaise dans le Doubs) et non à Alise-Sainte-Reine en Côte-d’Or. Ce chêne n’est plus, foudroyé vers 1920. Après avoir appartenu à des collections aux ÉtatsUnis et au Japon, cette œuvre remarquable est à présent à Ornans (Doubs) au musée Courbet.

Jean Cabrit a peint en Gironde les Chênes de Londex, actuellement au musée des Beaux-Arts de Bordeaux. Il s’agit d’un groupe de chênes assez jeunes au milieu d’une prairie, qui sont penchés et pour certains courbés sous l’effet probable du vent. Londex est peut-être Londeix, lieu-dit à divers endroits dont Captieux (Gironde), proche de Bazas. En forêt de Saint-Avold (Moselle) sont célèbres les Chênes des Sorcières auxquels Patrice Strozyk a consacré une peinture.

Il reste un arbre vénérable dont l’âge est estimé à au moins 850 ans. Sa forme résulte de la fusion de deux troncs. Il possède une large cavité. La légende veut qu’il s’agisse d’un lieu de rencontre des sorcières chevauchant leurs balais. Encore bien portant vers 1950, il a subi les affres des activités humaines, dont deux tentatives d’incendie. Le site de la Société d’histoire du pays naborien(6*) fournit d’autres éléments historiques à son sujet.

Edmond Yon a peint dans la vallée de Chevreuse (Yvelines) Le Grand Chêne de l’Étang de Cernay, œuvre présente au musée Vivenel de Compiègne (Oise). À la fin du XIXe siècle, de nombreux peintres paysagistes délaissant Barbizon et Pont-Aven, très fréquentés, sont passés par le moulin des Vaux-de-Cernay.

En forêt de Rambouillet (Yvelines), le Chêne de Montorgueil a été immortalisé en août 2006 dans une aquarelle d’Arnaud Fréminet. Dans la même forêt, le Chêne Baudet a été peint (aquarelle) par Le Tournier. L’état de ce chêne n’a pu être documenté.

Enfin, dans l’Essonne, le Chêne d’Antin (estimé à plus de 650 ans) a été figuré par Jean Hélion en forêt de Sénart dans un tableau que possède le musée de Montauban (Tarn-etGaronne). Il ne reste qu’une partie du tronc creux depuis la tempête de 1999(7*).

Arnaud Fréminet a peint le Chêne de Montorgueil, en forêt de Rambouillet, en 2009 (aquarelle 20×26)

 

Conclusion

Les chênes remarquables sont accessibles dans plusieurs ouvrages, notamment à la suite des inventaires réalisés par des associations comme ARBRES. Leurs photos et leur localisation sont disponibles sur Internet.

Les générations d’arbres se succèdent en forêt de Fontainebleau. Aujourd’hui, environ un millier d’arbres remarquables sont répertoriés(8*) . Cette forêt est toujours très appréciée des peintres contemporains qui continuent à la parcourir, avec leur chevalet, pour peindre les chênes « sur le motif » et nous transmettre leurs émotions.

Edmond Yon (1836-1897) a peint Le Grand Chêne de l’Étang de Cernay dans le dernier quart du XIXe siècle © Musée Antoine Vivenel, Direction des musées de France

 

 

Jean Pinon

Gérard Bayle-Labouré

 

(1*)Pinon, Jean. Les Chênes vus par les peintres. Revue Forestière Française, 2019, 71, 1, p. 75-86. https://doi.org/10.4267/2042/70521

(2*)https://krapooarboricole.wordpress.com /liste-des-arbres-venerables/

(3*)http://lestetardsarboricoles.fr/wordpress/ liste-arbres-du-blog-departement/#ancre1

(4*) https://art.rmngp.fr/fr/library/artworks/carte-postale-de-laforet-de-fontainebleau-barbizon-le-rageur_impression-technique

(5*)http://foret-fontainebleau.teria.fr/index.htm

(6*) http://www.shpn.fr/page93/page93.html

(7*) http://www.leparisien.fr/essonne-91/draveil-91210/draveil700-ans-apres-le-chene-d-antin-n-est-plus-que-l-ombre-de-luimeme-14-07-2015-4943447.php

(8*) Arbres remarquables du massif forestier de Fontainebleau (AAF, ONF)

 

Les auteurs remercient vivement Frédéric Valletoux, maire de Fontainebleau, et Jérôme Miquel, responsable des œuvres patrimoniales de la ville de Fontainebleau, Maryse Mocœur du service de la documentation du musée Antoine Vivenel de Compiègne ainsi qu’Arnaud Fréminet et Patrice Strozyk pour l’accès aux illustrations.