Le Potager du Roi : Entre passé et avenir

Jean-Baptiste de La Quintinie serait-il ravi ou inquiet de voir tant de personnes, au XXIe siècle, se préoccuper de son œuvre, le Potager du Roi ? L’état de ce lieu historique, créé en bordure du domaine du château de Versailles à partir de 1678, à l’époque de Louis XIV, interpelle. Ses défenseurs sont nombreux. Mais, si les avis divergent quant à sa gestion, tous veulent que ce lieu, classé monument historique en 1926 et inscrit depuis 1979 au Patrimoine mondial de l’Unesco, retrouve de sa superbe, en respectant le projet historique mais aussi en l’adaptant à notre époque.

 

Le Potager du Roi était destiné à alimenter la table du roi mais aussi tout son entourage, des personnages de la cour, des couvents, jusqu’aux pauvres », précise Chiara Santini, historienne, ingénieure de recherche à l’ENSP (École nationale supérieure du paysage) dont dépend le Potager. « Dans ce Potager, on cultive à la fois des légumes et des fruits. Il est également destiné à expérimenter et doit être à la pointe de la technique et de la recherche tout en ayant un rôle d’enseignement, rôle qu’il assure depuis le XIXe siècle et qui a fait sa renommée internationale », précise Chiara Santini. À l’origine, La Quintinie a conçu le Potager pour une meilleure production, tenant compte du contexte climatique de l’époque et de l’esthétique.

On pourrait dire aussi que le Potager est porteur de l’image du roi. « Tout est sacralisé : comme un jardinier cultive son jardin, le roi cultive et nourrit la France », ajoute Chiara Santini. Et Louis XIV aimait ce potager, s’intéressant même à la taille des fruitiers.

Un patrimoine bâti dégradé

« Cent trente ans après les derniers grands travaux d’aménagement, le Potager du Roi est fragilisé, que ce soit au niveau des murs, des terrasses, des voûtes, du système de drainage et des serres », souligne Vincent Piveteau, le directeur de l’ENSP. Il y a donc urgence à intervenir.

Un diagnostic, réalisé avec l’architecte en chef des monuments historiques, confirme la situation. « Ce jardin est entouré de murs dont 15 % sont dans un état préoccupant. Le patrimoine arboré est vieillissant… », précise le rapport.

Appel au mécénat

Le nerf de la guerre est d’abord le financement. Rien que pour le patrimoine bâti (murs, voûtes, serres, voirie, bâtiments, drainage…), le coût de restauration et de rénovation est évalué à 17 millions d’euros sur dix ans « dont 1,2 million est en cours d’engagement sur le bâtiment des Suisses et sur la façade du pavillon La Quintinie », ajoute Vincent Piveteau. Grâce au mécénat du World Monuments Fund (WMF) (*1), auprès duquel un dossier a été déposé en collaboration avec Les Amis du potager du Roi (cf. encadré), une première subvention a été obtenue. Sous la direction d’Ana Teodorescu, spécialiste en finances et stratégie d’entreprises, l’ENSP a mis en place d’autres partenariats et mécénats en particulier avec la Fondation Ville et Patrimoine (attachée à la foncière Gecina) pour trouver les financements nécessaires à la restauration du Potager. L’ENSP a aussi créé un club, le Cercle La Quintinie, s’adressant à des acteurs économiques, de toutes les tailles et secteurs, pour « participer à la restauration et à la valorisation du Potager du Roi. »

La capacité à faire venir le public sans le décevoir est aussi une ressource potentielle. « L’objectif est d’attirer 100 000 visiteurs (payants et gratuits) contre 40 000 actuellement. » Il en est de même de l’organisation ou de la participation à de grands événements (*2),( *3).

Un verger vieillissant

« Le jardin change continuellement en fonction des finalités, du contexte. Le reconstituer tel qu’au XVIIe siècle serait trahir son essence même, estime Antoine Jacobsohn, responsable du Potager. Le défi du siècle est de concilier alimentation et environnement urbain. Cela redonnera au potager un rôle d’expérimentation exceptionnel. »

Le verger est vieillissant. Certains arbres sont malades ou mourants et près de 60 % sont à remplacer. Mais avec quelles variétés ? Le Potager du Roi doit en conserver une partie mais aussi en implanter de nouvelles. « Dans les nouvelles variétés, lesquelles choisir pour préparer l’avenir sans perdre nos racines ? », interroge Antoine Jacobsohn. « Nous avons un plan à dix ans, tant pour le renouvellement du bâti que pour les végétaux », ajoute Vincent Piveteau. « Un programme de renouvellement des plantations est en cours, avec 800 mètres linéaires plantés en 2018, dont 450 mètres en arbres fruitiers et 350 en arbustes. »

Face à la loi Labbé

Mêmes réflexions pour les techniques culturales. « Il y a eu une diminution du tonnage de fruits, due au vieillissement des arbres et à l’absence de traitements, explique Antoine Jacobsohn, la loi Labbé nous interdit toute utilisation des produits phytosanitaires de synthèse (*4). »

D’où divers essais et conduites mis en place, tels que l’agroforesterie (*5), qui consiste à associer ici les arbres fruitiers aux cultures annuelles ou à enherber sous les arbres, afin de réduire l’impact de la tavelure en amortissant les projections de spores dues à la pluie qui les disperse (méthode considérée comme inefficace par certains).

Un terroir favorable aux légumes

Côté légumes, la production semble satisfaisante. « On a un terroir où des cultures fonctionnent très bien. C’est le cas des herbes aromatiques, avec une qualité gustative remarquable (thym, romarin, sauge), indique Antoine Jacobsohn. D’autres légumes se plaisent particulièrement bien dans le Potager, comme le fenouil, les épinards ou les blettes. »

 

Un manque de personnel

Pour mener à bien l’immense travail qu’exige le potager, le personnel est insuffisant. Il est loin le temps où les élèves participaient à une partie de l’entretien. Actuellement, il est assuré par neuf jardiniers, quelquefois aidés de quatre étudiants stagiaires et des étudiants du CFPPA de Saint-Germain-en-Laye. Depuis plus de trente ans, quelques bénévoles participent également à cet entretien.

Critiques et inquiétudes

Un certain nombre de personnes extérieures s’inquiètent pour la survie du Potager, que ce soit les membres des Amis du potager du Roi, ou de nombreux ingénieurs horticoles, dont un groupe venu en visite au printemps 2018, tous très attachés à ce lieu historique. Les derniers critiquent par exemple « l’abandon total de traitements, y compris ceux autorisés en agriculture biologique, conduisant à la mort de certaines variétés anciennes très sensibles ». Ils constatent aussi la mise en pratique de « méthodes dites biologiques hasardeuses », notamment vis-à-vis de la tavelure, et préconisent le ramassage et la destruction des feuilles de pommiers et poiriers à l’automne pour limiter l’inoculum primaire. Les premiers, quant à eux, déplorent, par exemple, les replantations avec des espèces et des formes fruitières inadaptées.

Les avis, hors ENSP, sont donc souvent critiques. Mais on y décèle, tout comme à l’ENSP, une volonté de redonner vie au Potager du Roi.

Jean-François Coffin

Journaliste et membre du comité de rédaction de Jardins de France

*1 https://www.wmf.org/project/potager-du-roi

*2 http://www.potager-du-roi.fr/site/potager/Calendrier-2019-des-evenements-publics__1.htm

*3 http://bap-idf.com

*4 Voir aussi dans Jardins de France : https://www.jardinsdefrance.org/suppression-phytos-jardiniers-a-preparer/

*5 L’agroforesterie est un exemple de rétro-innovation en lien avec l’histoire du site. Comme en témoignent les archives, elle était une pratique commune au Potager avant la spécialisation du XIXe siècle.