Quand l'hiver s'installe au Jardin des Songes…
Snezana Gerbault , Liliane Martin
Aux confins du Jura suisse et de l’Alsace, entre plaines et vallées pittoresques du Sundgau, le Jardin des Songes est un endroit romantique qui invite à la rêverie. Partant d'un terrain nu naturellement ondulé, le jardin a germé, évolué et mûri grâce à la persévérance et la passion de Liliane et Pierre Martin. Un lieu de sérénité et de créativité – le Prix Bonpland 2011 – ici magnifié par le givre… À découvrir au fil des pas…
Dans une vallée du sud de l'Alsace, ce jardin lové à 375 m d'altitude, s’étale au coeur du petit village de Strueth. Le climat semi-continental, les hivers souvent froids, les étés chauds et secs, un terrain argileux et acide n’ont aucunement freiné les propriétaires dans la réalisation de leur rêve d’enfance. Aujourd’hui, la maison anglo-normande s’entoure de verdure, d’étangs, de topiaires et le tout se voile dans la lumière douce de l’Est... Le jardin mue au fil des saisons et, en hiver, lorsqu’il fait froid, les grandes baies vitrées offrent une vue captivante sur la nature endormie. Une barque accostée, figée dans la glace, au bord de l’étang… Ici, on se sent vite ailleurs, apaisé… Les propriétaires ont créé un lieu de calme, imprégné d’atmosphères qui rappellent la Toscane et la Provence. Le jardin est lauréat 2011 du 1er prix Bonpland de la SNHF autour du thème « Robinson ».
Ambiances multiples
Produit de l’imagination des propriétaires, cette réalisation d'inspiration anglaise résulte de 35 ans d’échanges et de travaux divers et variés. Le jardin ornemental s’étale sur 1 hectare et 50 ares, avec une entrée toscane et un coin japonisant. Le verger et le pré occupent 40 ares. « Nous avons eu envie de créer un cadre de vie agréable toute l'année dans lequel on peut se réfugier et se ressourcer loin de la vie trépidante des grandes villes. Le foisonnement et l’exubérance sont domptés et soutenus par divers éléments de structure, l'entretien est limité grâce aux couvre-sols variés... », affirme Liliane Martin. Ce terrain vierge a naturellement inspiré le couple qui, animé par une même passion, a conçu le jardin, tel un puzzle dont chaque pièce aurait été minutieusement apportée. Liliane imagine, compose les massifs, choisit les plantes… Le résultat : un ensemble harmonieux, des scènes sans excès, sans accumulation d'objets.
L’entrée – un vieux porche en pierres restauré par Pierre – met en valeur le portillon en fer forgé, orné d’un poisson, véritable effigie rappelant que les nombreux étangs de la vallée de la Largue regorgent de carpes. Cette première partie alterne des compositions de silhouettes tantôt érigées tantôt rondes, à l’instar de Taxus baccata fastigiata 'Robusta' et de boules taillées de buis, avec des roses, l’Iris pallida 'Bleu de Florence' et des
hortensias aux couleurs douces. Un mur de pierres sèches borde l'escalier en vielles pierres plates, authentiques. La fontaine ronde du XVIIIe siècle chinée à Houdan est agrémentée d'un petit jet d'eau. La balade est ponctuée de belles rencontres avec des plantes et des fleurs odorantes, telles que l’arbre caramel (Cercidiphyllum japonicum), les azalées chinoises, le thé du Labrador (Ledum groendlandicum), l’actée à grappes (Cimicifuga racemosa), les roses, les chèvrefeuilles, les glycines, le viorne de Carle (Viburnum carlesii Aurora), les lilas (Syringa sp.) et le seringat (Philadelphus 'Belle Etoile') qui mérite fort bien son appellation de « jasmin des poètes », étant assurément un des arbustes les plus parfumés du jardin.
Étangs, bassins, potager médiéval, sous-bois…
Tout près de la véranda, le premier bassin est entouré de plantes japonisantes, azalées et acers. Plus on s'éloigne de la maison, plus le naturel s’impose jusqu'à se fondre avec la flore indigène. Un petit potager d’inspiration médiévale bordé de buis, « Il Giardino Segreto », accueille principalement des herbes aromatiques et quelques rosiers. Il sert également de pépinière pour les boutures et les jeunes plants. L'acquisition d'une petite forêt centenaire a permis la création d'un sous-bois à l'anglaise, qui abrite dans sa partie la plus humide une vingtaine de Taxodiums distichum, mais aussi des plantes indigènes.
Un étang, aujourd’hui sans eau, a été colonisé par les fougères traçantes allemandes (Matteucia struthiopteris porte le nom du village de Strueth !) qui déroulent leurs magnifiques frondes au printemps. L’eau est l’élément clé qui donne le ton à ce jardin. Les bassins et les étangs de différentes dimensions se succèdent et sont reliés par des cascades et petits ponts. Il en résulte une atmosphère agréable qui favorise l'épanouissement des érables japonais et des rhododendrons. Partout, on entend le murmure apaisant de la petite musique de l'eau. La maisonnette en bois « La Demoiselle » (du nom de la libellule) offre une pause agréable pour des hôtes de passage, avec vue sur l’étang animé par de nombreux canards… Pergolas et autres gloriettes en bois sont des créations de Pierre qui aime travailler toutes sortes de matériaux.
Une variété botanique exemplaire
Vers la mi-mai, le jardin est sublimé par l’explosion colorée des rhododendrons, des azalées chinoises et japonaises, des viornes, des wisterias grimpantes… Mi-juin, c'est au tour des roses de donner de la couleur
et d'exhaler leurs senteurs. Le jardin abonde en espèces : 65 variétés d’Acers dont 45 sont japonaises, 80 variétés de Rhododendrons et azalées, 20 variétés de fougères, 30 variétés d'hydrangeas, le Cornus florida et le C. chinensis, amelanchiers, 20 variétés de viburnums, 40 variétés de rosiers, 15 variétés de clématites, le Fothergillas sp., le Catalpa bignoides et C. aurea, le Liquidambar styracifolia et le L. orientalis, le Parrotia persica, le chêne (Quercus palustris), le bouleau (Betula doorenbos composant un massif « à la finlandaise »), le B. utilis jacquemontii mais aussi le Liriodendron, le Magnolia, le Zlatia, le Prunus, le Tsuga, etc. Les berges des étangs sont peuplées par les hydrangeas, les hémérocalles, les chélones, les peltiphyllums, les bergenias, les gunneras, rodgersias, iris des marais, astilbes, miscanthus, géums, fougères, cimicifugas, anémones du Japon, hostas... Quelques essences plus rares feront le bonheur des passionnés de botanique : un surprenant noisetier à feuille d'ortie (Coryllus avellana heterophylla), mais aussi des Itea virginica, Cephalanthus occidentalis, Taxodium distichum et Taxodium ascendens nutans, Ostrya carpinifolia, Cercidiphyllum japonicum, Cladastris lutea… De nombreuses vivaces et notamment des plantes couvre-sol, telles que l'Epimédium perralchicum Frohnleiten', l'alchemille, le lierre, la fougère, viennent compléter le décor et limiter l'entretien. Le jardin est aussi le refuge LPO et le biotope naturel de nombreux oiseaux (martins pêcheurs, hérons cendrés, rapaces divers...). On y croise souvent écureuils, écrevisses, tritons, salamandres, grenouilles, libellules, hérissons, lézards…
Planter et soigner
Les jeunes arbres ont été plantés selon l'adage de la princesse Sturdza : « Un shilling pour la plante et dix pour la terre ». De gros trous, du fumier décomposé, du compost et 1/3 de terre de bruyère pour alléger la terre lourde. Puis un arrosage régulier pendant les deux premières années et un bêchage autour du tronc. Les massifs de vivaces et d’arbustes sont arrosés grâce à l'arrosage semi-automatique avec l'eau des étangs. Le compost maison est la nourriture principale de tout ce beau monde. Ici l’on privilégie une culture raisonnée et on ne traite que si vraiment nécessaire.
Les coups de cœur de Liliane…
« Le choix des végétaux, la structure et les perspectives sont très importants pour composer un jardin beau toute l'année. Nous avons trois moments dans l'année où les couleurs sont très présentes: vers la mi-octobre, c'est l'embrasement des acers, des viburnums, des cornus, des fothergillas. Avec leur feuillage flamboyant, les arbres comme le parrotsia, le nyssa, les prunus et les fusains ne passent pas inaperçus », ajoute Liliane Martin. « Nos érables japonais se plaisent ici et nous offrent des couleurs et des ports très variés. On ne peut qu'admirer l'Acer palmatum Katsura (en japonais forêt) avec ses magnifiques bourgeons de couleur crevette très tôt au printemps et l'embrasement début novembre de l'Acer palmatum Osakazuki qui domine notre terrasse ».
Liliane et Pierre Martin remercient chaleureusement Sergey Karepanov, journaliste et photographe russe, pour sa contribution iconographique dans la réalisation de ce reportage.